Des milliers de « fainéants » révoltés de France défient Macron pour défendre le code du travail

dimanche 17 septembre 2017
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : EqualTimes

Des milliers de « fainéants » révoltés de France défient Macron pour défendre le code du travail

15 septembre 2017
(Bryan Carter)

Sans une once d’hésitation, Cathy Le Gac a troqué sa blouse d’infirmière pour une veste en cuir et des bonnes chaussures de marche. Avec ses collègues d’un hôpital parisien, elle tenait à participer à la manifestation du 12 septembre contre la réforme du code du travail.

« C’est du mépris », dit-elle avec amertume. « Du mépris des salariés, des travailleurs…Le mépris de classe. »

Comme Cathy, des milliers de travailleurs, étudiants et militants ont défilé dans plusieurs villes de France pour dénoncer les ordonnances du gouvernement français qui visent à faciliter le licenciement des salariés et à réformer le ‘dialogue social’ au sein des entreprises.

Menée par la Confédération générale du travail (CGT), la mobilisation a rassemblé plus de 400.000 personnes à travers le pays selon ses organisateurs, 223.000 d’après le ministère de l’Intérieur.

À Paris, entre 24.000 et 60.000 manifestants, dépendant des sources, ont battu le pavé sous une marée de drapeaux et de banderoles, au son de chants contestataires et de discours militants.

Principale cible des critiques : Emmanuel Macron, qui faisait face à sa première contestation sociale d’ampleur depuis sa prise de pouvoir en mai.

En baisse dans les sondages d’opinion, rattrapé par des révélations fracassantes comme ses frais de maquillage de 26.000 euros (31.000 USD) pour trois mois, et fragilisé par la gestion maladroite de certains dossiers, le président français a récemment déclaré dans un discours qu’il « ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes. »

Il n’en fallait pas plus aux manifestants, qui ont largement détourné cette phrase pour rivaliser de slogans : « Fainéants de tous pays, unissez-vous », « Les fainéants sont en marche contre la loi travail » ou encore « Macron fait néant » pouvait-on lire sur les pancartes.

Derrière la bonne humeur affichée, le ton est grave.

« Cette réforme ne va pas favoriser la paix sociale, » affirme Avi Bitton, un avocat spécialisé dans le droit du travail, vêtu de sa toge. « Cela va avoir des répercussions sur la vie de famille, sur la vie politique du pays, sur la vie en société. Ça risque de déstabiliser la société française… »

« Une loi sexiste »

Déjà sous François Hollande, les lois touchant au code du travail avaient suscité une vague de protestations. Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron promettait de poursuivre les mesures de son prédécesseur, avec pour objectif de faire baisser le chômage de 9,8% à 7% d’ici la fin de son quinquennat en 2022.

Selon le gouvernement, les ordonnances sont nécessaires car « notre droit du travail ne répond plus pleinement aux réalités économiques liées à la mondialisation, à la diversité des entreprises et des secteurs (…) Il crée des rigidités et des inégalités qui constituent des freins à l’initiative et à l’embauche. »

Depuis des décennies, les pourfendeurs du code du travail français dénoncent sa complexité et s’amusent à comparer devant les caméras cette brique de 3000 pages avec ses équivalents d’autres pays, qui ne sont guère plus épais qu’un catalogue de mode. Mais pour de nombreux français, le code est vu comme une protection contre l’arbitraire dans le monde du travail. Six français sur dix se disent d’ailleurs opposés aux réformes actuelles.

Plafonnement des indemnités prud’homales, fusion des instances représentatives du personnel, périmètre de licenciement économique... Derrière ces termes complexes se cache une philosophie économique simple, inspirée de la pensée entrepreneuriale : en facilitant le licenciement des salariés, en affaiblissant le pouvoir des syndicats, les employeurs engageront plus et contribueront à diminuer le chômage.

« Faux » rétorque Alexandre, un manifestant qui travaille dans l’expertise comptable. « Le patron, il embauche quand il a du business. S’il n’a pas de business il n’embauche pas, même si c’est plus facile de virer. »

« Les ordonnances se focalisent sur la sortie des salariés, pas sur les embauches. Je ne vois pas en quoi ça va aider à trouver des emplois aux salariés. »

Dans le cortège parisien, Sophia, qui se décrit comme « féministe et activiste », tient à bout de bras sa pancarte annonçant « La loi travail, une loi sexiste ».

Elle dénonce spécifiquement l’inversion de la hiérarchie des normes : le fait que les accords d’entreprise primeront désormais sur les accords de branche. Ces derniers, négociés par les représentants des secteurs professionnels, sont plus avantageux que les dispositions nationales. Mais en autorisant les entreprises à imposer des conditions moins favorables que celles prévues par leur secteur d’activité, la réforme risque, selon la CGT, d’entrainer « l’amplification du dumping social, en accentuant la mise en concurrence des PME et de leurs salariés. Cela va aggraver l’insécurité sociale de ces entreprises toujours plus placées sous l’emprise des donneurs d’ordres. »

Dans les entreprises de moins de 20 salariés, le dirigeant pourra négocier directement avec ses employés sur tous les sujets, y compris le temps de travail, les salaires, les primes et l’organisation sans devoir passer par un représentant du personnel. Pour les entreprises de 20 à 50 employés, la négociation devra se faire avec un délégué élu, mais pas forcément lié à un syndicat.

Pour Annabelle Chassagnieux, experte auprès des CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) : « Les rapports de force déjà inégaux vont se trouver encore plus déséquilibrés en faveur des employeurs. On nous sert des ordonnances comme si le dialogue était équilibré entre des gens qui parlent d’un même niveau. Mais dans des réunions entre des responsables de ressources humaines, formés, et les salariés, il y a un déséquilibre. Prétendre que ce déséquilibre n’existe pas, c’est se moquer des gens. »

« On remarque que les relations de travail s’individualisent de plus en plus et qu’il y a davantage de concurrence entre les employés. Ce type de mesure n’aura que pour effet d’isoler les groupes les plus fragiles, » ajoute-t-elle dans un entretien avec Equal Times.

Sous crainte de ne pas voir leur contrat renouvelé, les salariés les plus précaires, notamment ceux en contrat à durée déterminée (CDD), pourront difficilement refuser les conditions imposées dans l’entreprise. Or, les femmes seraient surreprésentées parmi les salariés en CDD et ceux travaillant dans les PME.

Les organisations féministes craignent aussi une remise en cause des droits familiaux contenus dans les conventions de branche, comme le congé de maternité ou ceux liés aux enfants malades.

Dans une économie toujours plus compétitive, et face à la logique de rendement de la direction, l’éviction progressive des femmes et des personnes vulnérables constituerait donc une forme de discrimination qui ne dit pas son nom.

« Cette loi paupérise les femmes » conclut Sophia.

Le plafonnement des indemnités prud’homales est un autre affront, aux yeux des protestataires. Auparavant, si un employé subissait un licenciement « abusif », c’est-à-dire sans motif réel ou sérieux, c’était au juge de fixer les indemnités en fonction du préjudice estimé. Ces montants seront à l’avenir limités, de sorte qu’un employeur saura exactement le prix que lui coutera le licenciement « abusif » d’un de ses salariés.

Le gouvernement justifie cette mesure en affirmant que « l’incertitude sur le coût d’une rupture potentielle peut dissuader à l’embauche. Le barème apporte une prévisibilité qui permettra de lever cette incertitude et de libérer la création d’emplois dans notre pays. »

Longtemps une revendication des membres du patronat, qui agitent le spectre de faillites quand leurs anciens employés les attaquent en justice pour obtenir réparation, ce plafonnement fait bondir Yann Gillet, syndicaliste dans la métallurgie.

« Le licenciement abusif c’est un licenciement abusif ! Donc illégal, hors-la-loi. Comment se fait-il qu’on mette un barème si c’est hors-la-loi ? »

En compensation, les syndicats ont réussi à arracher une hausse de 25% des indemnités légales de licenciement : sans doute la seule contrepartie pour les salariés parmi l’ensemble des ordonnances.

Patrons unanimes, syndicats divisés

Malgré l’assentiment d’une partie de la presse nationale et internationale – le New York Times allant jusqu’à qualifier le code du travail d’ « encombrant, obtus et nuisible » tout en encourageant le gouvernement à « maintenir le cap » – de nombreux médias français estiment que ces mesures penchent clairement en faveur du patronat.

Même le présentateur du journal télévisé de France 2, Julian Bugier, avait du mal à cacher son agacement face au premier ministre Edouard Philippe le jour de la présentation des ordonnances.

Après avoir rappelé au premier ministre ses propres propos selon lesquels « le droit du travail n’est pas la première cause du chômage en France, » le journaliste lui demande s’il n’y a pas « une forme de mensonge à faire croire que le carnet de commande va repartir en flexibilisant le travail », et que cette réforme « reprend point par point les revendications historiques du MEDEF. »

De fait, le président du Mouvement des entreprises de France, Pierre Gattaz, estime que c’est « une étape importante et intéressante qui peut aider à conforter la confiance des chefs d’entreprise ».

Même son de cloche du côté de la Confédération des petites et moyennes entreprises, qui salue un contenu « pragmatique, qui colle à la réalité de terrain et qui n’enlève rien à l’équilibre de la sécurité dont ont besoin les salariés. »

Une disposition particulièrement plébiscitée par le monde patronal est celle du « périmètre d’appréciation du motif économique fixé au niveau national ».

Dorénavant, une multinationale ne devra plus démontrer un manque de rentabilité à l’échelle de l’ensemble du groupe pour pouvoir licencier en France. Seule la situation économique de sa filiale française pourra justifier le lancement d’un licenciement collectif.

Les organisations syndicales ont rapidement dénoncé ce dispositif comptable, en mettant en garde contre les supercheries fiscales qui permettent de plomber artificiellement la santé financière d’une filiale dans le but de réduire ses effectifs.

Cette faveur aux multinationales n’a guère surpris ceux qui évoquent le passé des principaux protagonistes du texte, à savoir la ministre du Travail Muriel Pénicaud, issue du géant de l’agroalimentaire Danone, Edouard Philippe, autrefois cadre au sein de la multinationale de l’énergie Areva, et Emmanuel Macron, ancien banquier d’affaires chez Rothschild.

L’annonce par l’exécutif de nouvelles réformes au pas de charge dans la formation, les retraites et l’assurance-chômage fait déjà grincer des dents du côté des syndicats. Mais ces derniers, minés par leurs rivalités et une faible représentativité (environ 10%) des travailleurs français, peinent à trouver une posture commune pour faire barrage au « macronisme ».

La Confédération française démocratique du travail (CFDT), premier syndicat de France, n’a pas appelé à rejoindre la mobilisation de mardi, malgré qu’elle ait qualifié les ordonnances de « profonde déception ».

À Paris, seule une petite délégation de métallurgistes CFDT était visible dans le cortège. « Je pense qu’il y a plein d’individualismes et d’égos qui se cultivent de chaque côté » dit le syndicaliste Yann Gillet, un peu dépité.

Le syndicat Force ouvrière (FO) n’avait pas non plus appelé à défiler aux côtés de la CGT, et s’est déjà désolidarisé de la prochaine mobilisation, prévue le 21 septembre, soit la veille de l’adoption des ordonnances en Conseil des ministres.

Il est cependant fort probable que des fédérations ou des unions départementales FO se joignent au mouvement, comme ce fut le cas le 12 septembre.

« Notre direction nationale a fait une analyse liée à la concertation et estime qu’elle a obtenu des résultats positifs » avance Gabriel Gaudy, secrétaire général FO pour l’Île-de-France.

« Mais après avoir combattu pendant 14 manifestations contre la loi El Khomri, je considère que je ne peux pas être en dehors de l’action engagée par mes camarades. »

S’il estime que les syndicats sont « terriblement attaqués dans leurs fondements essentiels », il juge que les manifestations à elles seules ne suffisent pas et qu’il faut « poursuivre la lutte à l’intérieur des entreprises. »

Reste à convaincre. La grande majorité des Français n’a pas suivi l’appel à la grève et l’ampleur de la grogne sociale reste modeste par rapport à ce qu’a pu connaître la France dans le passé.

« Je pense qu’il y a toujours la crainte de la précarisation et aussi un peu de fatalisme, on se dit que ça aurait pu être pire » avance Alexandre, l’expert-comptable, avant de conclure : « C’est ça qui est dommage, on fait des reculs en arrière, soi-disant pour éviter le pire. Mais il y a un moment où on ne pourra plus reculer. »


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