Hongrie : "Jouez pas avec la Constitution". L’État de droit menacé.

lundi 11 mars 2013
par  onvaulxmieuxqueca
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Photo Manifestation lundi 11 mars à Budapest "Jouez pas avec la Constitution"


12 mars

Le parlement a voté à grande majorité les amendements qui détruisent la structure institutionnelle de la démocratie en Hongrie. Ils limitent aux formalités le pouvoir du Cours constitutionnel, ouvre la porte à la chasse aux sans toit et les mendiantEs, criminalisent la justice, consolident la mainmise sur les média, contrôle les jeunes diplômés sur la libre circulation au marché européen du travail, affirment le droit de l’état à décider sur le statut des églises…
Photo : manifestation devant le palais de président de la république. Les manifestantEs scandaient : "Ne le signe pas, János !"

Notre Correspondant à Budapest.


Source : Hulala

L’État de droit menacé en Hongrie

Posté par hu lala • 11 mars 2013

Par Benjámin Vargha et Corentin Léotard

Le parlement hongrois débute ce lundi une session de deux jours au terme de laquelle pourrait être votée la 4ème modification de la constitution en vigueur depuis le 1er Janvier 2012. Selon plusieurs associations civiles, ces amendements porteraient gravement atteinte à l’Etat de droit en Hongrie.

Ces modifications de la constitution auront pour effet d’affaiblir le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle sur le Parlement. En excluant les références aux décisions de la cour constitutionnelle adoptée avant la loi fondamentale du 1er janvier 2012 et en interdisant à la cour constitutionnelle d’examiner la constitutionnalité de fond des projets d’amendements à la Loi fondamentale, explique l’ONG hongroise pour les libertés civiles TASZ (Társaság a Szabadságjogokért).

Ces modifications prévoient aussi d’insérer des dispositions pour jeter des bases constitutionnelles à des projets de loi controversés et qui avaient été précédemment jugés anticonstitutionnels :

restreindre la notion de famille ; interdire les publicités politiques dans les médias publics ; faire du sans-abrisme un délit ; violer la liberté de religion et remettre en cause la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; abolir l’autonomie financière des universités ; imposer le contrat étudiant contraignant les étudiants boursier à travailler plusieurs années en Hongrie.

"La quatrième modification de la Loi fondamentale porterait gravement atteinte à l’Etat de droit en Hongrie", mettent en garde dans un communiqué commun trois associations de défenses des libertés civiles : TASZ, le Comité Helsinki et l’Institut Eötvös Károly. Au cours d’une manifestation samedi après-midi à Budapest, Dr. Marta Padravi, co-présidente du Comité Helsinki, s’exprimant au nom de ces trois ONG a déclaré : "Après la 4è modification de la Loi fondamentale il faut en finir avec l’illusion que l’élite politique actuellement au pouvoir est engagée à la constitutionnalité et à la démocratie".


"La Hongrie ne sera plus un État de droit"

Balázs Tóth, juriste et leader de programme au Comité Helsinki met en garde : "Avec cette modification, il n’existera plus de contre-pouvoirs constitutionnels et la Hongrie ne sera plus un État de droit. Le droit ne pourra plus réguler les actes de la majorité politique au pouvoir".
"Tout ce que l’on a connu jusqu’ici comme barrières constitutionnelles cessera d’exister.

Désormais, on peut écrire n’importe quoi dans la Loi fondamentale et cette modification exclue aussi tout recours légal contre des modifications absurdes de la constitution", déplore pour sa part Máté Dániel Szabó, juriste expert de la protection des données et directeur de l’Institut Eötvös Károly.

Máté Dániel Szabó estime que, bien que la constitution de 1989 n’était pas parfaite, la Loi fondamentale entrée en vigueur en 2012 représente une régression significative.

Rappelant qu’une mauvaise constitution est préférable à pas de constitution du tout, il prévient qu’en cas de ratification, celle-ci ne disposera plus des attributs d’une constitution : elle n’aura plus d’aspect contraignant et ne défendra pas l’individu face au pouvoir public, mais défendra les actes du pouvoir public face à la constitutionnalité.

Après cette modification, la constitution va assurer une protection constitutionnelle à des mesures anticonstitutionnelles, explique-t-il.

Tous les juristes ne sont pas au diapason cependant sur l’interprétation de cette modification de la constitution et sur ses conséquences possibles.

Gergely Gulyás, expert de droit constitutionnel et vice-président du groupe parlementaire Fidesz (le parti de Viktor Orbán) conteste ces interprétations dans une interview publiée le 8 mars sur le site Index.hu.

Parmi d’autres désaccords avec les détracteurs du projet gouvernemental, il estime que "cet amendement ne restreint en aucun cas les attributions de la Cour constitutionnelle, la Cour elle-même n’a pas formulé une telle critique […]. En Hongrie et en Allemagne les limites de la liberté d’expression sont plus strictes, aux États-Unis elle n’a pratiquement aucune limite. On considère tout de même légitimement ces deux pays comme des démocraties. Si le parlement souhaite limiter ou élargir ces cadres démocratiques vagues, il en a le droit. Les instances du pouvoir d’État sont séparées, mais le pouvoir constituant n’appartient qu’au Parlement".

Le président Áder, le dernier recours

Si le gouvernement ne renonce pas au vote prévu ce lundi ou mardi sous les pressions internationales, il ne fait aucun doute qu’avec la majorité des deux-tiers dont dispose la coalition Fidesz-KDNP, le parlement va adopter ces modifications de la constitution.

Il faudra ensuite se tourner vers le président de la République, János Áder, qui disposera de 5 jours pour ratifier les amendements, ou mettre son veto en saisissant la Cour constitutionnelle.

"Est-ce que le Président sera moralement capable de s’identifier avec la position de gardien principal de la démocratie et d’envoyer le texte à la Cour constitutionnelle ?", interroge le juriste Máté Dániel Szabó. C’est peu probable selon lui, étant donné qu’il est un membre fondateur du Fidesz et n’a quitté le parti qu’après avoir été élu président de la République.

Szabolcs Hegyi, en charge du programme des libertés politiques publiques à l’ONG hongroise pour les libertés civiles TASZ estime qu’"étant donné que le président de la République est le gardien principal de la démocratie, il ne pourra pas l’approuver.

Il a donc deux possibilités : soit il saisit la cour constitutionnelle, soit il démissionne. S’il signe la modification, il rend manifeste qu’il n’est pas le gardien de la démocratie, mais bien l’exécuteur des vœux des partis au pouvoir".

Toutefois, les chances d’un veto présidentiel sont loin d’êtres nulles car cette 4ème modification de la constitution affaiblit le rôle du président, en intégrant des amendements qu’il avait refusé d’approuver ces derniers mois, la nouvelle loi électorale, par exemple.

Le médiateur de la République a exhorté Janos Ader à ne pas signer l’amendement, estimant que "cette situation pourrait mettre en péril l’équilibre du fonctionnement démocratique des institutions d’Etat".


L’opposition se met en branle

Dans l’opposition, beaucoup voient de la part du gouvernement un acte de représailles à l’encontre de la Cour constitutionnelle qui lui avait infligé de sérieux revers en invalidant plusieurs lois au cours de ces derniers mois, dont la loi électorale et la loi sur les sans-abris… que l’on retrouve désormais dans les 15 pages d’amendements à la Loi fondamentale soumis au parlement cette semaine.

Une nouvelle manifestation est prévue ce lundi.
manifestation du 11 mars à Budapest

Dès jeudi, quelques manifestants avaient squatté pendant quelques heures la cour du siège de la Fidesz, le parti du 1er ministre Viktor Orbán.

Samedi après-midi, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Budapest à quelques pas du parlement, dans Alkotmány utca (la rue de la constitution). Une répétition générale avant la fête nationale de ce vendredi 15 mars, pendant laquelle les partis d’opposition devraient mobiliser amplement dans la rue contre cette modification de la constitution.

Vers un nouveau clash avec l’Europe

Après de sérieuses passes d’armes il y a deux ans au moment de l’adoption d’une loi sur les médias controversée, puis l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution un an plus tard, il faut s’attendre à une nouvelle période de tumulte entre Budapest et Bruxelles.
Dès la semaine dernière, le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjon Jagland, a exhorté Budapest à reporter le vote. Vendredi, c’est le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, qui a téléphoné à Viktor Orban pour lui demander de modifier le texte pour le mettre "en conformité avec les principes démocratiques de l’UE".

Les critiques arrivent aussi d’outre-Atlantique puisque le département d’Etat américain a estimé que "les principes de l’indépendance institutionnelle" et devaient être revus et corrigés.


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