Manifestations en Turquie : témoignage d’une lycéenne à Istanbul. « Ne te soumets pas »

vendredi 7 juin 2013
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : RFI
Turquie -
Article publié le : jeudi 06 juin 2013 à 23:57 - Dernière modification le : vendredi 07 juin 2013

Manifestations en Turquie : témoignage d’une lycéenne à Istanbul

Notre envoyée spéciale à Istanbul, Stefanie Schüler, a fait parvenir à la rédaction de RFI une lettre que lui a adressée Yeliz (nom d’emprunt), une lycéenne de la ville. Dans cette missive, la jeune fille, mineure, témoigne de son quotidien depuis huit jours au parc Gezi, qui jouxte la place Taksim.

C’est ce parc que le gouvernement souhaite transformer en centre commercial, et qui a mis le feu aux poudres. Yeliz y vit une phase de politisation accélérée, avec un goût prononcé pour les formes de solidarité qui y naissent. « Chacun écoute et s’occupe d’un autre, témoigne-t-elle. C’est pour cela que je ne perdrai jamais espoir. C’est pour cela que #occupygezi ira jusqu’au bout, et nous aussi. » Voici son récit.

Je veux vous transmettre un côté qui n’est pas forcément mis en avant de notre résistance, et que j’ai vécu. C’est l’aspect qui me laisse le plus d’espoir, et qui me donne des frissons même quand j’écris en ce moment. Je m’appelle Yeliz, j’ai 17 ans et je vis dans la ville de mon cœur : Istanbul.

Je veux vous raconter notre parc, Gezi, notre forteresse que nous protégeons maintenant depuis plus de huit jours, là où tout a commencé. Le paradis. Les gens assis sur l’herbe, un air de pique-nique paisible, calme et heureux. La musique retentit dans tout Gezi, et s’entend même aux alentours.

Je vois des bébés sur les épaules de leurs pères, des petits enfants avec leurs petits drapeaux à la main, des adolescents suréquipés par précaution, des étudiants qui prennent les choses en main, qui distribuent des pancartes « Ne te soumets pas », des parents inquiets mais fiers, et des retraités, ceux qui connaissent mieux l’histoire et la gloire de ce parc et de ce merveilleux quartier qu’est Taksim.

« Une étincelle de curiosité et d’excitation »

A l’intérieur du parc se trouve une petite scène, sur laquelle un homme s’adresse à la foule. Son speech serein est un appel au Premier ministre, lui souhaitant bon voyage dans sa tournée planifiée au début comme une tournée de gloire au Maghreb, et qui s’est plutôt transformée en une fuite dans le contexte présent.

Un air de fête, avec des chansons, des danses et des poèmes dans le parc. D’un coup, la voix au micro devient sérieuse : « Mes amis, ne paniquez pas et restez calmes, on vient de sentir du gaz, que tout le monde mette ses masques rapidement mais calmement ». A ce moment précis, je suis submergée par la peur, l’inquiétude - c’est la première fois que je me trouve dans une situation pareille -, mais plus fortement par une étincelle de curiosité et d’excitation. Pourquoi ? Parce qu’on est tous là. Jusqu’à la fin.


« Nous qui sommes gazés pour rien »

A la sortie du parc, sur la place Taksim, on ressent une deuxième bombe de gaz. Les personnes pleurent, vomissent, mais ils sont calmes. Dans l’odeur écœurante et piquante du gaz, ceux qui ont les remèdes s’arrêtent, et cherchent les gens à aider. Vous y croyez ? Personne ne court. Personne ne bouscule les autres pour se sauver en premier. Tout le monde s’aide.

Chacun écoute et s’occupe d’un autre C’est pour cela que je ne perdrai jamais espoir. C’est pour cela que #occupygezi ira jusqu’au bout, et nous aussi. Nous, les « çapulcu », c’est-à-dire les « vauriens », les « pillards », de la bouche même de notre propre Premier ministre, M. Erdogan. Nous qui sommes gazés dans nos parcs, nos rues, pour rien. Enfin si ! Pour y avoir été présents justement...

« La résistance continue »

Nous qui ramassons les poubelles des rues dès le petit matin pour garder notre espace de résistance et notre ville propres. Nous qui sommes montrés comme des sauvages, des assoiffés de violence, par notre gouvernement. Nous qui passons nos nuits et nos journées dans la rue, avec nos masques, nos citrons, nos médicaments et notre lait dans nos sacs, au cas où, juste comme ça, la police déciderait de nous tirer dessus, de nous gazer ou de nous arroser.

Mais nous sommes nombreux, unis et nous résistons.

Nous sommes des musulmans, des chrétiens, des juifs, des Turcs, des Kurdes, des Arméniens, des Grecs. Nous sommes de droite ou de gauche, religieux ou non, mais nous sommes tous là et ne faisons qu’un. La résistance continue et grandit. Les gens ne se retirent pas. A l’inverse, ils s’investissent davantage dans la solidarité et le message pacifique que nous voulons diffuser.

tags : Recep Tayyip Erdogan - Turquie


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