Racisme et « « révolution » » : Le sort cruel des Noirs africains en Libye

mardi 15 octobre 2013
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : EQUAL TIMES
14 octobre 2013

Racisme et révolution : Le sort cruel des Noirs africains en Libye

Par Shaimaa Abul Hajj

eudi dernier, au moins 350 migrants majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Italie par bateau.

Mais tandis que l’onde de choc suscitée par la tragédie de Lampedusa continue de retentir aux quatre coins du monde, les projecteurs sont désormais braqués sur la Libye, point de départ d’une épopée tragique.

Rien que cette année, plus de 30000 migrants et réfugiés – provenant principalement de la Libye – sont arrivés en Italie par la mer, d’après les Nations Unies.

Que fuient-ils ?

Dans leurs pays d’origine, dont les principaux sont l’Érythrée, la Somalie et, de plus en plus, la Syrie, la réponse va du conflit armé à la persécution en passant par la répression.

Cependant, la Libye a longtemps été une base pour les « travailleurs invités » des quatre coins du continent africain, attirés par la perspective d’un emploi décent dans une économie pétrolière florissante.

Durant des années, ils ont été accueillis par Mouammar Kadhafi mais à présent la plupart de ces migrants tentent désespérément de fuir l’instabilité et la discrimination virulente dont ils sont la cible en Libye.

Divisions

À l’approche du deuxième anniversaire de la mort de Kadhafi, la paix est loin d’être acquise en Libye.

Alors qu’une grande partie du territoire national est sous contrôle de milices armées, la reconstruction des infrastructures du pays endommagées durant la guerre n’a toujours pas été achevée, cependant que la production pétrolière a reculé de plus de 1,5 million de barils par jour de brut de haute qualité à environ 150000 barils récemment.

Jeudi, le Premier ministre libyen Ali Zidan a été enlevé par des hommes d’une milice lié à un politicien rival, pour ensuite être libéré quelques heures plus tard.

La fin de 42 années de dictature de Kadhafi – à l’issue d’une guerre civile de huit mois – a aussi fait surgir de profondes fractures au sein de la société libyenne.

En particulier, elle a levé le voile sur un courant sous-jacent de racisme fanatique qui a résulté dans la détention, la torture et le meurtre de milliers de Libyens noirs et de migrants subsahariens depuis 2011.

Des allégations de massacres de civils par des mercenaires noirs en provenance de pays comme le Tchad, le Niger et le Mali et de viols collectifs, eux aussi, attribués majoritairement à des Noirs africains, à Tawergha, ont attisé la haine raciale et les mauvais traitements à l’égard des personnes de couleur au cours des dernières années.
Equal Times est allé à la rencontre de migrants d’Afrique subsaharienne qui tentent tant bien que mal de survivre en Libye.

Un groupe d’immigrés soudanais rencontrés près de la frontière est avec l’Égypte nous ont dit que suite à la révolution de 2011, des Libyens armés allaient de maison en maison à la recherche d’ « Africains ».

« Nous étions traqués partout où nous allions », a dit J. Kawasili, un originaire de Somalie. « Ils disaient que nous étions des partisans de Kadhafi, que nous tuions des rebelles et violions des femmes. »

Kawasili explique que lui et d’autres migrants ont été forcés d’abandonner la ville et qu’au moment où ils tentaient de fuir, une fille soudanaise de 15 ans a été violée par des rebelles.

Il a aussi dit que leurs papiers d’identité avaient été détruits par les milices.

Conditions épouvantables

On ne connait pas le nombre exact de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants économiques d’Afrique subsaharienne en Libye. Certains rapports avancent le chiffre de 18000.

Par ailleurs, la guerre en Syrie a provoqué l’arrivée en Libye d’un flot supplémentaire de quelque 110000 réfugiés, dont bon nombre sont à présent passés en Tunisie, où de meilleures infrastructures permettent une meilleure prise en charge, notamment pour les infirmes et les blessés.

Il y a officiellement quatre camps pour les personnes déplacées en Libye.

Ceux-ci sont situés aux frontières avec l’Égypte, la Tunisie et le Tchad. Seuls quelques chanceux parviennent à rester dans ces camps, où les conditions sont généralement extrêmement précaires. Les autres cherchent refuge là où ils peuvent.

C’est notamment le cas de quelque 650 personnes qui demeurent dans le camp de réfugiés de Choucha, proche de la frontière entre la Tunisie et la Libye, malgré sa fermeture officielle en juillet.

Bien que l’approvisionnement en eau et électricité ait été coupé, rester dans le camp constitue un moindre mal pour beaucoup de réfugiés qui n’ont nulle part autre où aller.

Le Croissant Rouge libyen (CRL) ne dispose que d’un seul camp, à Misrata, où sont logés environ 800 réfugiés en provenance de Gambie, d’Éthiopie et de Somalie notamment.

Or ces derniers mois ont vu l’arrivée dans la ville de près de 5000 réfugiés supplémentaires, cette fois de Syrie. Beaucoup d’entre eux ont cherché refuge dans le camp en dépit des conditions épouvantables.

John, un résident originaire du Darfour explique que les réfugiés sont exposés à des températures extrêmement basses en hiver et une chaleur insoutenable en été. Lors d’une visite dans le camp, Equal Times a trouvé des constructions délabrées aux fenêtres brisées et des sanitaires non privatifs.

Quand on lui demande ce qu’il faisait dans la vie avant la chute de Kadhafi, John répond qu’il était employé en tant que travailleur invité dans un atelier de Benghazi. Mais les préjugés croissants à l’égard des Africains subsahariens, fréquemment montrés du doigt comme des criminels, des narcotrafiquants ou des toxicomanes, lui ôtent tout espoir d’un retour possible.

« Même si j’avais la possibilité de retourner, ils n’accepteraient pas de me rembaucher », dit-il.

Départ

La Libye est le principal point d’embarquement pour les migrants africains qui tentent la traversée de la Mer Méditerranée pour rejoindre l’Italie et d’autres rivages du sud de l’Europe.
Le gouvernement italien, qui travaille en collaboration avec l’agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (Frontex), a été critiqué pour son recours à des méthodes fortes en voulant empêcher l’afflux de migrants au lieu d’accorder l’aide qui est due aux réfugiés en vertu du droit international.

Ses méthodes incluent l’interception en mer et le retour forcé vers l’Afrique du Nord des petites embarcations de pêche sur lesquelles les réfugiés sont transportés.

Selon les estimations de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), près de 500 migrants ont perdu la vie ou ont disparu l’année dernière en tentant la traversée. Et au moins 20000 personnes ont trouvé la mort en tentant la traversée depuis 1990.

Ceux qui sont forcés de retourner en Libye ou qui ne réussissent pas à en sortir se voient pris au piège d’un no man’s land juridique dès lors que la Libye est dépourvue d’un politique nationale d’asile.
Les plus vulnérables disposent de très peu de recours juridiques.
Autrement dit, les personnes qui ont le plus besoin d’aide sont, en réalité, livrées à elles-mêmes.

La situation n’est guère plus enviable dans les pays limitrophes.

L’Égypte, qui se trouve aujourd’hui elle aussi en proie à une profonde instabilité a annoncé récemment qu’elle n’autoriserait aucun camp de réfugiés sur son territoire, dès lors que ceux-ci sont considérés comme une menace à la sécurité nationale.

« Le bouclier de Libye »

Pour en revenir à la Libye, le « Bouclier de Libye » est un autre sujet de préoccupation majeur.

Ce groupe composé d’anciennes milices anti-Kadhafi, qui opèrent de facto comme une armée et une force de police sous l’égide du ministère de la Défense nouvellement formé ont, au nombre de leurs responsabilités, celle de veiller à la « sécurisation » des camps de réfugiés et de leurs résidents.

Ce qui se résume dans les faits à empêcher quiconque de partir, même si cela implique un recours à la violence extrême.

Nous avons entendu les témoignages de migrants et de réfugiés à qui des agents du Bouclier avaient volé leurs effets personnels, y compris argent, téléphones portables et même leurs instruments de musique. Quiconque proteste est violemment battu et torturé aux électrochocs.

Un rôle plus utile est joué par l’Agence libyenne de secours et d’aide humanitaire (LibAid), l’instance gouvernementale chargée de coordonner l’aide nationale et internationale pour les camps de réfugiés sur l’ensemble du territoire libyen.

LibAid affirme être au courant des violations de droits humains commises par le Bouclier de Libye et organise une série de séminaires de formation pour tenter de s’attaquer au problème.

Mais quand bien même des améliorations semblent possibles au plan des conditions dans les camps, le vrai défi se trouve à l’extérieur du périmètre des camps.

« Même ici, nous ne sommes pas en sécurité », confie Danny, un réfugié sud-soudanais. « Comment pouvons-nous garantir ce qui arrivera de l’autre côté du grillage ? »

Beaucoup de migrants se sentent abandonnés par la communauté internationale.

Malgré la présence limitée de certaines instances
intergouvernementales et d’ONG internationales et nationales, la plupart de ces migrants sont livrés à leur sort, sous prétexte que l’ultime responsabilité incombe à leurs gouvernements respectifs.
Amnesty International a appelé récemment le gouvernement libyen à mettre un terme aux mauvais traitements contre les immigrés et les demandeurs d’asile subsahariens.

Elle a aussi demandé à l’Union européenne de revoir ses politiques draconiennes qui font que des personnes soient maintenues en captivité en Libye alors qu’elles réunissent des motifs légitimes d’éligibilité pour une demande d’asile en Europe.

L’organisation affirme aussi disposer de preuves formelles de tortures infligées à des immigrés subsahariens – y compris des femmes et des enfants – par les autorités libyennes dans sept centres de détention situés en territoire libyen.

À moins que le gouvernement libyen et ses partenaires internationaux ne s’engagent formellement à mettre un terme à ces atteintes flagrantes aux droits humains, il est peu probable que la situation ne change – surtout à la lumière des autres défis auxquels le pays fait face.

En attendant, dans cette « Nouvelle Libye », dont la révolution était supposée garantir l’égalité et les droits humains pour tous, c’est la débâcle la plus complète qui règne.


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