Rroms de Roumanie : l’intégration par la démolition

vendredi 1er novembre 2013
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Courrier des Balkans

Roms de Roumanie : l’intégration par la démolition

De notre envoyée spéciale à Eforie Sud

Mise en ligne : mardi 22 octobre 2013

Le 27 septembre, 22 familles roms d’Eforie Sud, une station balnéaire de la mer Noire, étaient évacuées.

Ces Roms s’étaient installés il y plusieurs années sur un terrain appartenant à la mairie et y avaient construit leur maison. En attendant d’être relogées, les familles se sont abritées dans deux anciens bâtiments de l’école à la limite de l’insalubrité. Reportage.
Par Julia Beurq

Le calme après la tempête. Comme si un ouragan avait tout ravagé. De ce quartier, il ne reste presque plus rien. Une femme fouille dans les décombres à la recherche de morceaux de bois pour alimenter le feu. La tête basse, le dos voûté, un vieil homme, une enfant blonde à la main, observe le tractopelle jaune qui fait disparaître les dernières traces de sa maison : des briques, du parquet et du carrelage. Un champ de ruines, des maisons démolies et des vies brisées.

Depuis le 27 septembre, tout n’est que poussière et colère. Vasile Enache, un Rrom de 34 ans qui travaille dans le bâtiment, erre encore dans son ancien quartier. Un bonnet sur la tête, les mains dans les poches de son gros blouson, ce père de trois enfants enrage : « Regardez, ma maison était là, j’ai travaillé toute ma vie pour la construire, ce n’était pas une baraque en plastique, comme ils disaient, mais une vraie maison, avec l’électricité, l’eau courante, une cuisine, une salle de bain, trois chambres, avec tout le confort.

Même si nous n’étions pas dans la légalité, il n’a tenu compte de rien. » Un de ses anciens voisins renchérit : « Mon grand-père est enterré ici, mon père aussi. En plus je payais l’eau, l’électricité et même des impôts. Comment ont-ils pu faire ça ? »

Des Rroms sans actes de propriété

Aux yeux de Vasile Enache, celui qui n’a « tenu compte de rien » n’est autre qu’Ovidiu Brăiloiu, le maire social-démocrate de cette ville de 10.000 habitants.

Cela fait six ans que les autorités locales veulent récupérer ce terrain de 3,000 m2 occupé depuis des générations par une centaine de Rroms majoritairement de confession musulmane.

Le maire désirait « nettoyer ce foyer d’infection » afin de pouvoir finir d’y construire des logements sociaux qui s’élèvent déjà depuis deux ans au bout de ce terrain, à 500 mètres du littoral.

« Tout a été fait dans la légalité » s’est justifié le maire dans les médias après l’évacuation. En effet, au regard de la loi, payer des impôts fonciers auprès des autorités locales ne remplace pas un titre de propriété.

Cristian Buceanu, un activiste rrom également élu municipal à Frumușani - une commune proche de la capitale - est venu sur place voir l’ampleur des dégâts et amener de la nourriture collectée à Bucarest. Au milieu des gravats, avec véhémence, il discute avec les Rroms qui l’entourent.

Lui aussi est choqué par la situation, mais pas étonné. « Vous n’êtes pas les seuls dans cette situation, la majorité des Tziganes de Roumanie sont confrontés à ce problème : ils n’ont pas d’actes de propriété, leur explique-t-il.

À l’inverse, si on interroge un Roumain d’ici, il va nous montrer un acte de vente et un titre de propriété.

Ce sont des documents qui te protègent face à ce genre de situation, car si on étudie le cadastre, ce terrain sur lequel vous avez vécu appartient au conseil municipal et aucune de vos maisons n’y apparaît. »

Les chiffres confirment les propos de l’activiste. Selon une étude récemment publiée par l’ONG « Impreuna » [1], dans le milieu rural, 15,1% des Rroms, vivent illégalement dans leurs logements, contre 2,1% chez les non-Rroms.

Un relogement qui traîne

Dans son petit bureau, Robert Şerban, le vice-maire d’Eforie Sud, est assailli par les critiques des activistes rroms et essaie de se défendre tant bien que mal. Une femme travaillant pour l’Agence nationale des Rroms l’accuse de ne pas leur avoir préparé de relogement. « C’est faux, lui répond-il, nous avons mis à leur disposition l’ancienne école ».

Le ton monte. « Vous appelez ça un logement décent ? » rétorque-t-elle. Dans le grand bâtiment en question s’entassent deux ou trois familles par chambre.

Il n’y a pas d’eau courante, pas de chauffage, pas de groupes sanitaires et l’électricité est assurée seulement le soir. Edie Suliman, mère de trois enfants, regrette son ancienne maison et est à bout de nerfs : « Regardez le plafond est tout fissuré et hier quand il a plu, il s’est effondré sur le lit. Heureusement que mon gamin était à l’école quand c’est arrivé. Imaginez que le plafond lui soit tombé dessus ».

Mais le pire pour elle, ce sont les rats qui subsistent toujours, bien que les autorités aient dératisé deux jours après leur arrivée.

Dans la pièce d’à côté aux murs décrépis qu’il partage avec une autre famille, Memet Sever, un homme de 42 ans, rumine lui aussi sa colère. Il sort sa carte d’identité et au dos de celle-ci, exhibe les tampons prouvant qu’il est allé voter.

Il en veut au maire de les avoir utilisés dans un but électoral.

« Mes voisins m’ont raconté la comparaison que le maire Brăioliu avait faite à la télévision, il a dit qu’après avoir démoli un abattoir, les chiens restent puis s’en vont [2]. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Que nous sommes des chiens ?

Lorsqu’il est venu dans notre quartier nous promettre des choses pour qu’on vote pour lui, on n’était pas des chiens à ce moment-là, on était des hommes. Je crois qu’il aurait dû y réfléchir à deux fois avant de parler. »

Les évacuations, un modèle gouvernemental ?

Cristian Buceanu regrette cependant qu’aucune démarche n’ait été entreprise en amont pour légaliser la situation des Rroms d’Eforie Sud. Il prend l’exemple de la commune de Frumușani où la situation était similaire.

« En tant qu’élu municipal, j’ai fait pression auprès de la mairie et du conseil général pour inscrire ces logements dans le cadastre, et j’ai réussi à obtenir une dizaine de certificats de propriété.

Des solutions existent, il est possible de régulariser la situation de ces Rroms, mais il faut créer un cadre légal au niveau national. S’il existe une volonté politique, la solution sera législative, j’en suis convaincu. » Mais pour le moment, la ville d’Eforie Sud est loin de prendre cette direction.

En effet, certaines des familles évacuées se sont aussi réfugiées dans l’ancien internat de la ville où d’autres Rroms vivent depuis cinq ans. Là encore une menace d’expulsion plane sur cette communauté, car au printemps, l’ancien internat devra lui aussi être évacué.

À croire que l’histoire se répète car tous les activistes rroms ont en tête « le modèle Baia Mare ». « Ce type d’évacuation est en train de devenir une véritable pratique gouvernementale, dénonce Costel Berkus, représentant du Roma Education Fund.

Depuis deux semaines, il n’y a eu aucune réaction de la part du gouvernement qui laisse ce genre de pratique exister. C’est une honte. Nous voulons une sanction ferme à l’égard de ce maire social-démocrate pour que cela ne se reproduise plus. »

Jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement roumain ne s’est pas exprimé officiellement sur le sujet, et les Rroms d’Eforie Sud sont toujours en attente d’être relogés dignement.


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