Gaz de schiste en Roumanie : à Pungeşti, Chevron ne relâche pas la pression

dimanche 26 janvier 2014
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Le Courrier des Balkans

Gaz de schiste en Roumanie : à Pungeşti, Chevron ne relâche pas la pression

De notre envoyée spéciale à Pungeşti

samedi 25 janvier 2014

Une lutte acharnée oppose toujours les habitants de Pungeşti, dans le département de Vaslui, l’un des plus pauvres de Roumanie, à la compagnie américaine Chevron. L’exploitation des gaz de schiste signifierait la fin de l’agriculture qui permet aux paysans de subvenir à leurs besoins. Déclaré « zone de sécurité spéciale » il y a un mois et demi, le village est toujours en état de siège. Chevron veut aussi lancer des prospections dans le village voisin de Paltiniş. Reportage.

Par Julia Beurq

Sur cette route départementale de Moldavie, au nord-est de la Roumanie, il est impossible de manquer le croisement pour Pungeşti. Depuis le début du mois de décembre, une équipe de policiers se tient jour et nuit à cette intersection et arrête toutes les voitures qui passent. « Je suppose que vous allez à Pungeşti ? »...

Plus loin, les premières maisons apparaissent, modestes et colorées. Des champs s’étendent à perte de vue sur de douces collines. Accrochés aux portails, des drapeaux flottent au vent. Deux mots s’étalent en rouge et noir sur la blancheur de la toile. Deux mots suffisamment visibles pour comprendre le combat qui se joue dans ce petit village : « Stop Chevron ».

Cela fait deux ans que le géant pétrolier lorgne sur le sous-sol roumain, mais de toutes les concessions qu’il détient dans le pays – quatre en Moldavie et trois en Dobrodgea à la frontière bulgare – celle de Pungeşti pourrait bien être la première à être forée.

En effet, le 4 octobre dernier, la compagnie américaine a reçu les dernières autorisations nécessaires pour commencer la phase d’exploration conventionnelle des gaz de schiste. Et c’est ce qui inquiète les villageois.

Constantin Spiridon est l’un d’entre d’eux. Cet homme de 57 ans est l’une des fortes têtes du mouvement de résistance. Sans cesse au téléphone, il s’intéresse de près au sort de la sonde de Chevron, censée arriver ce jour-là, mais dont on ne verra finalement pas la couleur.

L’ancien maire du village a édifié une ferme moderne grâce aux financements européens. Dans la grange, tout en donnant à boire à ses vaches laitières, il explique pourtant avec résignation : « nous avons peur que la sonde arrive. Du moment où elle sera là, nous sommes finis ».

L’enjeu est vital pour ce village moldave qui a pour unique ressource ce que lui donne la terre, si noire et si riche. « Ici, tous le monde vit de l’agriculture de subsistance et de l’élevage des animaux.

Quand la fracturation hydraulique commencera, la région sera contaminée, on ne pourra plus donner d’eau à nos bêtes, on ne pourra plus cultiver nos terres. Pungeşti deviendra un désert. Nous ne pourrons plus subvenir à nos besoins et on sera obligé de partir, mais pour aller où ? » s’interroge l’agriculteur.

Pungeşti toujours en « zone de sécurité spéciale »

Du haut de sa ferme, Constantin a une vue splendide sur le terrain de Chevron et les gendarmes qui patrouillent sans discontinuer depuis le 7 décembre dernier. Ce jour-là, des centaines d’opposants au gaz de schiste provenant de tout le pays avaient détruit la clôture entourant les 20.000 m2 du terrain occupé par Chevron.

Les images de ces affrontements d’une grande violence entre paysans aux mains nues et gendarmes armés jusqu’aux dents avaient fait le tour de l’Internet et choqué la société roumaine. Pungeşti avait été déclaré « zone de sécurité spéciale » par la gendarmerie de Vaslui, des forces de l’ordre supplémentaires dépêchées sur place.

Elles sont toujours là : un mois et demi après son instauration, cette mesure d’exception qui n’est d’habitude mise en place que dans des cas d’extrême violence, n’a toujours pas été levée, ce qui a le don a le don d’exaspérer Marius Ignat.

Âgé de 31 ans, ce supporter de l’équipe de football de Vaslui a rejoint le « mouvement de résistance » et s’est installé à Pungeşti, comme d’autres activistes du pays.

Celui qui se considère comme un « patriote », patrouille dans la rue principale du village, afin de surveiller les moindres faits et gestes des gendarmes.

« On a vraiment l’impression que les policiers servent de gardien à une compagnie privée, soutient-il, c’est inadmissible car ils sont payés par les contribuables ».

Ce sentiment est renforcée par le fait qu’en amont et en aval du terrain de Chevron, deux barrages de police arrêtent et contrôlent chaque véhicule.

Beaucoup de villageois sont exaspérés par la tension qui règne dans le village et, à la fin de l’année dernière, certains se sont mis en grève de la faim afin de protester contre cette mesure de sécurité, mais sans succès.

Chevron exploite la pauvreté de la région

Maria Dediu est surtout en colère parce que Chevron a pris les habitants du village « pour de pauvres idiots ». « Nous sommes renseignés grâce à l’Internet et la télévision, nous savons ce que sont les gaz de schiste, et je ne pense pas que cela va nous aider à vivre mieux.

Nous, à Pungeşti, nous ne verrons même pas la couleur de la redevance de 3,5% que versera Chevron à l’État », explique avec virulence cette assistante maternelle de 31 ans. Elle conclue sa diatribe : « Certes, nous sommes pauvres, nous n’avons pas beaucoup d’argent, mais nous ne manquons de rien, nous produisons notre propre nourriture, et nous sommes satisfaits de la vie que nous menons. Nous n’avons pas besoin de Chevron ».

À Paltiniş, à 30 kilomètres à vol d’oiseau au Nord de Pungeşti, c’est le même discours. La compagnie américaine compte aussi explorer les gaz de schiste près de ce village, bien qu’elle en soit ici à un stade moins avancé.

Au bout d’un chemin de terre reculé, sans accès à Internet, loin de la médiatisation de Pungeşti, vit une communauté de Rroms. Ici, la compagnie pétrolière a largement essayé de profiter de la pauvreté des gens.

Irina, 27 ans et mère de cinq enfants, raconte l’arrivée de Chevron : « Ils sont venus venus le 12 décembre, puis à nouveau le 20 janvier à l’école, ils ont apporté des sucreries, des sacs-à-dos, et des crayons aux enfants, avec une lettre destinée aux parents, mais sans dire que c’était pour cette histoire de gaz. Ils veulent nous amadouer avec leurs cadeaux, mais on les a chassés du village ». Pourtant, dans la lettre remise aux parents, tout comme dans les réponses qu’il fait aux journalistes, Chevron insiste sur « la construction d’un partenariat à long terme avec les communautés locales »... Une vieille femme clôt la discussion : « On nous met la pression. On nous dit que ça va se passer comme à Pungeşti, que les gendarmes vont venir et que tout va finir comme là-bas »...

http://balkans.courriers.info/article24096.html


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