Un « printemps bosniaque » émerge après un long hiver de malaise social

lundi 17 février 2014
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : EQUAL TIMES

12 février 2014

Un « printemps bosniaque » émerge après un long hiver de malaise social

Par Mirza Mustafić

En Bosnie-Herzégovine, les manifestations de masse, que certains qualifient de « printemps bosniaque », ont mis du temps à venir.

Mais elles ont débuté le 5 février dans le nord-est du pays, à Tuzla, qui a jadis connu un extraordinaire dynamisme industriel, et dont le mouvement des travailleurs est toujours solidement ancré dans la tradition.

Les ouvriers qui travaillaient dans diverses grandes usines, condamnées à la ruine par une « privatisation d’escrocs », sont descendus dans la rue pour demander des indemnités de licenciement, le remboursement des frais de santé et le paiement des retraites.

La Bosnie-Herzégovine ne s’est jamais remise de la guerre qui a déchiré la Yougoslavie au début des années 90.

Le taux de chômage officiel, qui dépasse les 40 %, y est le plus élevé d’Europe, et avoisine les 60 % chez les 15-24 ans.

Ceux qui travaillent gagnent à peine de quoi vivre et doivent se contenter d’emplois temporaires faiblement rémunérés ou informels, de dons et d’argent envoyé de l’étranger par des membres de la famille.

La semaine dernière, les habitants de Tuzla en ont eu assez de cette situation.


Escalade

Suite à un appel lancé sur Facebook, les travailleurs qui manifestaient ont été rejoints par des sympathisants ordinaires qui protestaient également contre le chômage de masse, la corruption et deux décennies d’échec politique.

Aldin Širanović, le principal organisateur des manifestations, a déclaré aux manifestants : « C’est la voix des gens libres… Nous allons jusqu’au gouvernement du canton de Tuzla pour leur dire que ce n’est plus possible d’avoir faim, d’être au chômage. »

Le premier jour, un millier de manifestants ont défilé en direction du gouvernement du canton, mais ils se sont heurtés à des forces de police disproportionnées, qui ont frappé les manifestants sans discernement, recouru à l’aide de chiens policiers et lancé des gaz lacrymogènes.

Širanović et plusieurs autres personnes ont rapidement été arrêtés.
Le lendemain, un rassemblement estimé à 6000 personnes s’est formé devant les bâtiments du gouvernement pour demander, entre autres choses, la libération immédiate de Širanović et la démission du dirigeant du canton, Sead Čaušević.

Les représentants du gouvernement ont refusé de rencontrer les manifestants. C’est alors que les manifestants ont jeté des œufs et des pierres sur les locaux de la police et du gouvernement.

La police a de nouveau réagi par la force et de nombreuses personnes ont été blessées et arrêtées. Une manifestation de solidarité s’est organisée à Sarajevo et Širanović a été libéré dans la soirée.

Le troisième jour, les manifestations se sont étendues aux grandes villes de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, à majorité bosno-croate, une des deux entités qui composent le pays (l’autre étant la République serbe de Bosnie, à majorité serbe).

La police a été la cible de jets de pierres ; des bâtiments ont été incendiés et plusieurs magasins pillés.

Les personnes qui ont participé aux violences étaient pour la plupart de jeunes hommes désespérés qui pensaient que c’était le seul moyen d’être entendus par le gouvernement.

Un jeune manifestant a déclaré à Equal Times : « L’État n’a rien prévu pour nous. La retraite de mon père prend du retard. Je ne pense pas réussir à obtenir grand-chose à Tuzla, mais j’aurai au moins exprimé ma colère. »

Les revendications des manifestants

Depuis le début des manifestations, plusieurs démissions ont fait la une, notamment celle des dirigeants des cantons de Tuzla et de Sarajevo.
La population considère souvent que les cantons, qui n’existent que dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine et ont leurs propres dirigeants et ministères, représentent une strate inutile de gouvernement et une lourde charge pour un budget national déjà serré.

De nombreux citoyens estiment que les gouvernements cantonaux sont superflus et devraient disparaître, mais les partis politiques hésitent à prendre des décisions sur cette question en raison des opportunités que les cantons apportent aux responsables politiques locaux.

En ce qui concerne les revendications, les manifestants souhaitent également l’établissement d’un État social attentif aux besoins élémentaires de ses citoyens.

Ils appellent en outre à une administration publique plus efficace et moins coûteuse, à la mise en place d’une politique de création d’emplois et d’apaisement des tensions nationales.

Or, cela fait des années que le mouvement des travailleurs de Bosnie-Herzégovine exprime ces revendications, et la centrale syndicale de la Fédération, la Savez samostalnih sindikata BiH (Confédération des syndicats indépendants de Bosnie-Herzégovine – SSSBiH – qui fait partie de la Confédération des syndicats de Bosnie-Herzégovine – KSBiH), soutient fortement les manifestations.

Dans une déclaration signée le 11 février par Ismet Bajramović, le président de la SSSBiH, le syndicat affirmait que « la SSSBiH soutenait les revendications légitimes des travailleurs, des chômeurs, en particulier des jeunes, mais aussi des autres citoyens privés de leurs droits. »

« La SSSBiH a déjà réclamé récemment un changement de gouvernement à tous les niveaux, conformément à la Constitution et à la législation. Nous appelons les formations politiques à prendre leurs responsabilités et à proposer des solutions aux revendications du SSSBiH. »

En dépit d’une ou deux manifestations à petite échelle, la situation de la République serbe de Bosnie est beaucoup plus calme pour l’instant, bien que le contexte économique y soit légèrement plus défavorable que dans la Fédération, où demeure l’essentiel de l’économie et de l’industrie du pays.

Dimanche, les dirigeants politiques ont rencontré le Premier ministre serbe Ivica Dačić à Belgrade pour appeler à la stabilité et empêcher que les manifestations ne fassent tache d’huile.

Les partis de l’opposition serbe demandent la démission du gouvernement de la République serbe de Bosnie et souhaitent des élections anticipées.

Les principaux partis politiques de la Fédération de Bosnie-Herzégovine se reprochent mutuellement d’avoir créé une situation qui a obligé les citoyens à descendre dans la rue.

De profondes divisions au sein de la coalition nationale dirigeante a généré des débats passionnés entre les deux blocs, qui demandent chacun la démission de leurs fonctionnaires respectifs.

Et pendant ces querelles politiques, les manifestants s’efforcent d’obtenir gain de cause.

Interrogé par Equal Times au sujet des revendications des manifestants, un jeune homme, qui a tenu à garder l’anonymat, a répondu qu’ils voulaient un vrai changement politique.

« Il faut qu’ils s’en aillent, tous. Nos dirigeants n’ont pas répondu aux attentes du peuple de Bosnie. Il est temps de passer à quelque chose de nouveau. »


A lire également

Le Courrier des Balkans : Vers un « printemps des Balkans » ? Depuis plusieurs années déjà, un spectre parcourt les Balkans, celui d’une révolte sociale qui n’a plus rien à voir avec les conflits « ethniques » des années 1990. Après la Croatie dès 2011, la Bosnie, la Serbie et le Monténégro ont été gagnés par la vague. La révolution bosnienne ouvre tous les possibles pour la région.
http://onvaulxmieuxqueca.ouvaton.org/spip.php?article3699

A Tuzla (Bosnie-Herzégovine), les citoyens réinventent la démocratie directe
http://onvaulxmieuxqueca.ouvaton.org/spip.php?article3701


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