La pauvreté, l’autre visage d’Israël. Trois ans tout juste après la « révolte des tentes », les oubliés sont toujours plus nombreux

mardi 15 juillet 2014
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Fédération des travailleurs des Industries du Livre,
du Papier et de la Communication Cgt.

QU’ISRAEL S’OCCUPE DE SES PAUVRES

dimanche 13 juillet 2014

La pauvreté, l’autre visage d’Israël


LE TAUX DE PAUVRETÉ ATTEINT PRÈS DE 19 %

Joe Rosen fait faire le tour de ses bureaux avec le pas alerte et le débit rapide de ceux qui n’ont pas une minute à gaspiller. Son activité est en pleine expansion et lui laisse peu de répit.

Ce constat ne suscite pourtant chez lui aucune fierté particulière : l’homme dirige l’association israélienne de prêts sans intérêts (IFLA), une organisation qui vient en aide à des particuliers en détresse financière en leur offrant un crédit à taux zéro.

Sa « clientèle » ? Les travailleurs pauvres, qui malgré un, voire deux salaires par foyer ne parviennent pas à boucler les fins de mois. En une décennie, leur nombre a explosé dans l’Etat hébreu.

A l’IFLA, cela s’est traduit, au premier semestre, par une augmentation de 25 % sur un an des demandes d’emprunt. « De plus en plus de membres de la classe moyenne sont en train de glisser dans cette catégorie, observe M. Rosen. La vie est chère en Israël ; pour beaucoup de gens, une dépense imprévue, un problème médical peut faire tout dérailler. On les voit alors arriver chez nous. »

Il y a trois ans tout juste, les revendications liées au coût de la vie provoquaient un mouvement social d’une ampleur inédite en Israël. Le 14 juillet 2011, des tentes faisaient brusquement leur apparition sur le très chic boulevard Rothschild, au coeur de Tel-Aviv.

Cette manifestation spontanée a vite fédéré des centaines de milliers de protestataires, dénonçant tout ensemble le prix des logements, la valse des étiquettes, la faiblesse des salaires et le fossé grandissant des inégalités.

En 2014, pas d’été social en vue. Alors que les tensions sécuritaires ont repris le dessus, les Israéliens s’inquiètent davantage du risque d’une troisième Intifada.

Mais sur le front économique, le diagnostic n’a pas changé d’un iota : celui d’un pays à deux vitesses où, malgré une croissance supérieure à 4 % en moyenne ces quatre dernières années, les laissés-pour-compte sont nombreux.

Le taux de pauvreté – près de 19 % – est le deuxième plus important parmi les Etats de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), juste derrière le Mexique.

En matière d’inégalités de revenus, il figure dans le peloton de tête, en cinquième position.

Selon le Bureau central des statistiques, 13,7 % des foyers dont l’un des membres travaille sont sous le seuil de pauvreté. Ils étaient 7 % il y a quinze ans.

Toutes ces données nuancent l’image enviable d’un pays ultra-innovant, cette fameuse « start-up nation » affichant la plus forte concentration de sociétés technologiques au monde. « En réalité, il y a deux Israël en un, décrit Dan Ben David, directeur du centre de recherche économique Taub.

D’un côté, il y a celui du savoir et de la performance, avec des universités parmi les meilleures au monde et un secteur high-tech en pointe.
Et puis, il y a l’autre Israël qui ne reçoit pas les outils lui permettant de prendre part à cette économie. »

Ce professeur au sourire affable et au regard mélancolique fait défiler sur son écran toute une série de graphes à l’appui de sa démonstration : sous-investissement dans les infrastructures, inégalités dans le secteur éducatif, écart de productivité d’un secteur économique à l’autre…

A l’en croire, l’autre idée fausse et pourtant répandue est de considérer la précarité comme un phénomène touchant presque exclusivement les ultraorthodoxes et les Arabes israéliens.

« C’est ne pas vouloir regarder le problème en face », accuse M. Ben David : même si l’on retranche ces deux communautés, les chiffres du dénuement restent incroyablement élevés.

Un comité national de lutte contre la pauvreté a pressé le gouvernement, fin juin, de consacrer 6,3 milliards de shekels (1,3 milliard d’euros) à la bataille contre ce fléau.

Il préconise d’augmenter les allocations vieillesse et santé, d’améliorer l’offre de logement et de renforcer les travailleurs sociaux.

Dans un rapport très commenté, ses membres se désolent que « la société israélienne et ses institutions traité avec indifférence les gens vivant dans la pauvreté, refusant de s’en soucier ou d’en assumer la responsabilité ».

LES PRIX DE L’IMMOBILIER ONT BONDI DE 80 % DEPUIS 2007

Ces oubliés de la croissance, on les retrouve au restaurant gratuit Meir Panim.

Des jeunes et des vieux, de toutes origines religieuses et ethniques, se pressent dans cette cantine sans apprêt située à l’entrée de Jérusalem.

Ici, plus de 300 repas chauds sont distribués chaque jour. « A la fin, il ne reste plus rien, j’ai même déjà vu des gens mettre des morceaux de poulet dans leur poche », raconte Goldie Sternbuch, une responsable de cette soupe populaire. Parmi ceux qui se réfugient ici, certains ont un travail, fait remarquer la jeune femme. Mais même avec un salaire, « ils doivent parfois choisir entre la nourriture, le gaz et les médicaments ».

Pour beaucoup de familles israéliennes, l’équation budgétaire se révèle très complexe. Alors que le salaire moyen a stagné ces dernières années, les prix de l’immobilier ont bondi de 80 % depuis 2007, et de 40 % pour la location entre 2008 et 2012. Résultat d’un manque de concurrence, les prix alimentaires sont 25 % plus élevés en Israël que dans l’Union européenne, selon le centre de recherche de la Knesset, le parlement israélien.

Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou affirme s’être saisi de la question. Mais hormis quelques mesures symboliques telles que le blocage des prix de certains produits laitiers, et un projet de réforme – critiqué par la quasi-totalité des experts – pour faciliter l’accession à la propriété, le grand soir n’a pas eu lieu. L’opinion a davantage retenu la hausse de l’impôt sur le revenu et la baisse de certaines allocations, décidées après les élections de janvier 2013 pour réduire le déficit budgétaire.

« NOUS AVONS PERDU NOTRE IDÉAL D’ÉGALITÉ »

« Jusqu’à maintenant, rien n’a changé pour la classe moyenne », tonne Avishay Braverman, député de l’opposition travailliste, qui dirige, à la Knesset, la commission des affaires économiques.

« Tant qu’on ne s’attellera pas aux vraies réformes, dénonce cet ancien de la Banque mondiale, notre croissance ne profitera qu’à une classe restreinte de puissants. »

Tout va bien, d’ailleurs, pour ces derniers.

Comme le révélait en juin Forbes Israel, la fortune cumulée des 100 personnalités les plus riches de ce pays de 8 millions d’habitants équivaut à celle de 850 000 Israéliens ordinaires…

Ce fossé nourrit amertume et déception.

« Nous avons perdu notre idéal d’égalité, pourtant très fort à la création de l’Etat, comme le symbolisait le mouvement des kibboutz », déplore Gilles Darmon, président fondateur de Latet, la principale organisation humanitaire du pays.

Ce Français d’origine ne comprend pas que le gouvernement puisse déléguer à des associations comme la sienne le soin de venir en aide aux centaines de milliers de personnes souffrant d’insécurité alimentaire.

« Cette masse gigantesque de pauvreté est le véritable défi de la société israélienne, assène-t-il. C’est un phénomène bien plus dangereux pour sa cohésion que la menace iranienne. »

Dans un café de Jaffa, à la périphérie de Tel-Aviv, on retrouve Daphni Leef, l’ancienne égérie des « indignés » israéliens. Trois ans après, la voix de celle qui, la première, avait planté sa tente sur le boulevard Rothschild vibre de la même exaspération. Lunettes plantées dans sa longue chevelure brune, cette monteuse vidéo de 28 ans constate que « les politiciens ont promis beaucoup et n’ont rien fait ».

Y aura-t-il une nouvelle « révolte des tentes » ?

Elle-même confesse n’avoir ni l’argent ni l’énergie pour lancer un gros mouvement. « Mais si ça continue comme ça, prédit-elle le regard sombre, il y aura des protestations et elles pourraient être violentes car elles viendront des plus pauvres qui ne savent plus vers qui se tourner. »

LE MONDE 12 JUILLET


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