Quelques impressions de voyage dans l’autogestion sanitaire, à Athènes :

mercredi 9 décembre 2015
par  onvaulxmieuxqueca
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Quelques impressions de voyage dans l’autogestion sanitaire, à Athènes :

Source : Philippe GASSER, responsable de l’USP-Union Syndicale de la Psychiatrie

Dès l’arrivée à Athènes, nous constatons que ce n’est pas la "grande misère" (rencontrée en Afrique ...ou ailleurs)... mais que ça pourrait commencer à y ressembler : tristes rassemblements d’"ainés" sur les places de la ville, couvertures ou cartons jetés ça et là dans les encoignures des rues , recouvrant parfois un être dont seule dépasse une main tendant un gobelet-sébille à l’intention du passant ... boutiques aux devantures résolument fermées dans les quartiers populaires, contrastant avec les vitrines luxueusement éclairées du quartier Kolonaki, traversé par la rue Solonos dont le long parcours semble une transition directe entre la richesse et la précarité , sans que ne soit perceptible la dimension médiane des classes moyennes ’…

C’’est d’ailleurs ce que nous traduirons nos interlocuteurs rapidement rencontrés dans les dispensaires sociaux et centres de santé autogérés, installés çà et là dans la ville et sa périphérie : la précarisation, voir la disparition des classes moyennes, qui, premières victimes du chômage et de l’austérité imposée par la troïka, voient rapidement leurs conditions de vie se dégrader : plus moyen de payer l’eau... puis électricité, les charges... le mois prochain le loyer, les impôts … et ce sera la rue ou , dans le meilleur des cas, la famille qui se regroupe et accueille ses plus démunis.

L’accès aux soins n’est plus longtemps garanti, car avec le non emploi, impossible de garder longtemps une assurance maladie et encore plus de se payer une assurance santé privée ; heureusement, malgré la morosité politique ambiante, la déception vis à vis d’un gouvernement dont beaucoup attendaient , à l’instar des sud-américains , qu’il refuse et dénonce la dette odieuse, illégitime et insoutenable pour le peuple grec , et certains qui se réfugient maintenant dans le désespoir , la résignation, la révolte et la colère , existent aussi : des mobilisations spontanées surgissent de toutes part pour compenser un service public de soins rapidement défaillant, et économiquement étouffé, les citoyens s’organisent, souvent avec l’aide de ceux qui étaient justement venu en chercher, et transgressent impunément les règles de délivrance des médicaments , mais avec toujours le sérieux et la rigueur de professionnels qui en supervisent la gestion et l’administration .

Notre visite aux dispensaires de santé autogérés , à Halendri, Ellenikon, Péristéri, Athènes Centre, la pharmacie Patissia ou encore le dispensaire du Pirée nous laisseront apparaitre des motivations, des fonctionnements et des objectifs souvent différents , liés à des déterminants historico-politiques parfois divergents , mais dont le point commun demeurent le souci de maintenir un accès aux soins possible pour tous et toutes .. même si la continuité est loin d’être garantie !

Tous insisteront cependant sur le sens POLITIQUE de leur action, s’élevant avec force contre toute caractérisation "humanitaire" de leur fonctionnement, et réfutant parfois l’inscription des ONG parmi leurs "généreux donateurs », préférant ici mettre en avant la dimension solidaire des peuples d’Europe que la participation d’organisation telles que MdM ou MSF !!

Mais toutes les nuances -d’importance - existent, du dispensaire de Peristeri dont l’organisation se veut résolument autogestionnaire et "irresponsable " (... au sens où aucun responsable n’est formellement désigné) et qui se montre sinon suspicieux du moins frileux sur la dimension "internationaliste" de l’aide proposée, jusqu’à "solidarité pour tous", au centre d’Athènes, dont les membres nous reçoivent devant un tableau-organigramme détaillant précisément chaque action entreprise,
qui prône le regroupement fédératif des centres de soins, accepte l’aide humanitaire (non gouvernementale.. mais aussi gouvernementale !) et, tout en reconnaissant l’urgence dramatique de la situation ne semblent pas vouloir émettre de critique trop appuyée de la position politique actuelle ....

Contraste aussi entre le centre "vedette" (des médias et réseaux sociaux !) Ellenikon, sur une ancienne base américaine, menacé de fermeture pour vente au secteur privé, dont l’"opulence" -toute relative malgré tout- de la pharmacie ne déparerait pas dans l’une de nos officines "occidentalisée », et la "petite" pharmacie de Patissia, hébergée dans les locaux d’une école, dont la salle des profs sert de lieu de stockage des quelques caisses de médicaments fournies par la solidarité internationaliste... et dont la cabane du gardien sert de pauvre lieu de consultation !

Si tous insistent sur la précarité et l’incertitude de leur action dans le temps, l’impossibilité de garantir la continuité des soins en relatant hélas de tragiques épisodes d’interruption de traitement laissant des patients , atteints de cancers notamment, abandonnés à eux même et à leur maladie parle qu’ils ne veulent pas imposer à leurs proches l’endettement généré par un traitement long et couteux, certains centres, tels celui du Pirée, affichent clairement leurs objectifs , consistant notamment à ne pas se substituer au service public , et même à œuvrer pour la restauration de celui-ci, comme en témoigne (en pj) une déclaration traduite en plusieurs langues.

Dans tous les cas , la motivation des bénévoles demeurent exemplaire et sans failles ; parmi eux des personnes sans compétences particulières dans le domaine de la santé , mais mues par une nécessaire solidarité, des médecins souvent spécialisés ( ... Il y a plus de spécialistes que de généralistes en Grèce !) et des dentistes - souvent en retraite - qui viennent donner une partie de leur temps, quelques figures exemplaires -souvent des femmes - rencontrées au gré de nos pérégrinations dans la solidarité, telle Sofia , pharmacienne qui nous dit ne pouvoir rester dans son officine ou sur son canapé tandis que le peuple souffre, Eleni, assistante sociale au grand cœur et au discours véhément qui malgré ses difficultés familiales se consacre entièrement à la vie de la petite pharmacie de Patissia et nous mettra d’emblée en "accusation", nous, européens qui sommes à la fois la cause de l’austérité qui frappe la Grèce et qui n’avons pas su imposer à nos dirigeants une politique visant à l’annulation de la dette , Véra , psychologue engagée ,dont l’analyse politique se révèle toujours fine et subtile et qui contribue à soutenir le moral des "troupes " de bénévoles qui officient au dispensaire d’Ellenikon ... Et tant d’autres encore !! ... Bien nécessaires quand on sait qu’il y a encore 3 millions de gens sans aucune couverture sociale ...

Inutile de dire que les médicaments et le matériel médical apportés par Jocelyn et Saad, du Collectif Nîmois de Solidarité avec le Peuple Grec, après un périple rocambolesque à travers l’Europe seront les bienvenus !!

Et puis il y a les réfugiés , syriens, kurdes , Afghans qui, sauvés des eaux , débarquent en flots continus des bateaux qui les ramènent des îles, croyant souvent toucher la terre promise en mettant un pied en Europe , exprimant parfois, presque banalement, l’horreur du quotidien , tel ce bébé de 3 mois que nous voyons , miraculé, après être tombé 2 fois à l’eau et 2 fois repêché ... Ou ne disent rien , discrets, prostrés, attendant la nuit pour se projeter fantomatiquement vers d’autres frontières improbables ...

Alors que la Grèce accueille 700 000 réfugiés ( près de 8% de la population ), et qu’à la suite de la grève du transport maritime nous voyons, en un jour, débarquer plus de 2000 personnes, bloquées dans les îles , au port du Piree, tout se passe dans une -presque joyeuse- organisation informelle ...

Le centre d’accueil Galatsi , situé dans les anciennes installations olympiques , que nous visitons en compagnie du maire adjoint de la commune n’a qu’une vocation d’accueil provisoire ...

Sans qu’on sache combien dure le provisoire , combien de temps "limité " restent les gens ici : pas de contrôles, pas de fichier ,pas de surveillance ... Juste le respect .. Des personnes ... Des lieux... Des histoires ... Simplement le souci de transférer ce lieu d’accueil dans une autre commune , d’établir un roulement entre les territoires accueillant , afin de ne pas créer de réflexes de rejet ou de réactions stigmatisantes dans les populations avoisinantes ... et afin que les élus puissent aussi se consacrer à leur administrés , nous confie Yorgos , l’adjoint municipal, qui nous avoue ne dormir que 4 h par jour depuis des semaines !

A Babel, autre centre d’accueil plus "feutré" au centre-ville, où certains réfugiés se sont "sédentarisés », pour un temps au moins, en participant à la vie du lieu, remplissant divers taches fonctionnelles ou d’interprétariat , nous apprenons que des centres de rétention existent encore en Grèce, totalement fermés et susceptibles de retenir les personnes sur plusieurs semaines, sinon des mois, que la vie n’est pas non plus si facile pour ceux qui décideraient de rester (... Mais pourquoi rester dans un pays qui se précarise à ce point ?), mais que, globalement, selon les témoignages recueillis, les contrôles de police se font plus rares et moins insistants depuis l’avènement du gouvernement Syriza ...

Enfin, last but non least, comme on dit en Grec, le domaine de la santé mentale et de la psychiatrie est sans doute, dans le champ sanitaire, celui qui est le plus précocement et le plus durement touché par l’austérité, ici comme dans d’autres pays : à Dafni un des hôpitaux psychiatriques encore en service dans la banlieue d’Athènes, il nous est indiqué que le secteur concerne .... L’ensemble du Péloponnèse ..!!

Plusieurs rencontres ont eu lieu avec des psys ou travailleurs de Santé mentale, notamment D.IACOVOU dans la cafétéria autogérée de l’hôpital et dans le secteur 9 ... Visiblement la vitrine de la psychiatrie encore "sectorisée " de l’hôpital qu’on veut bien nous montrer ! Les autres services seraient plus "dégradés ", pratiquant isolement et contention selon ce qui a pu nous être rapporté, Mais la Psychiatrie mobilise, si l’on en juge par les psys de toutes obédiences présents à la conférence de presse donnée le vendredi avec le SMG et A. Karakostas, à laquelle nous avons participé avec P Boissel, avec des questionnements résolument orientées sur la dimension politique de la psychiatrie, la stratégie de santé mentale d’un pays pouvant faire symptôme de l’orientation politique de ses gouvernants..

Les hospitalisations en psychiatrie se multiplient, souvent sous le mode de la contrainte, demandées par la famille, via le procureur : l’austérité, la promiscuité, le manque ont souvent raison de la solidarité familiale et une majoration des violences familiales et conjugales nous est également rapportée .... Sans compter l’augmentation significative des suicides (+38%) liée à la crise, la précarité, qui génèrent désespoir et dépressions sévères dans la population générale ...

Mais , plutôt que la résignation, la colère gronde chez les psys , tel Y. Kourmoulakis , représentant syndical des personnels de Dafni qui s’insurge contre la souffrance que la politique européenne et du FMI fait subir à son peuple, décrit les souffrances psychiques endurées par l’étranglement économique qu’elle génère et encore plus pour les retraités qui voient fondre leur retraite comme peau de chagrin , ou les personnes handicapées , désormais pratiquement sans ressources propres et qui ne devront bientôt compter que sur l’entraide des proches ....

Puis K. MATSA et Th. MEGALOECONOMOU, psychiatre et ancien chef de service du secteur 9, retraceront une brève histoire d’une psychiatrie qu’ils auraient souhaités desalieniste, notamment depuis la fermeture du " bagne psychiatrique " de l’île de Leros... Résolument engagés politiquement, ils déclarent conjointement que pour eux, et dans l’histoire de la Grèce, la psychiatrie est, en elle- même, porteuse de sens politique (l’asile de Leros servait aussi pour enfermer et éloigner des opposants politiques !), et qu’elle constitue également, dans le contexte actuel d’austérité un indicateur social d’importance, la régression des pratiques allant de pair avec l’oppression économique ...

Partisan d’une psychiatrie sociale et à visage humain et culturel, Katarina a organisé le 11 novembre, au sein même de l’hôpital de Dafni, une représentation théâtrale mise en scène par une comédienne amie , sur le thème de l’exil , en écho à la fois à l’exode vécu par les populations européennes sous le joug nazi, à celui actuel des réfugiés et à l’exil intérieur que connaissent les personnes souffrant de maladies mentales .

Cette représentation était aussi prétexte à une journée " portes ouvertes " de l’hôpital psychiatrique (habituellement "gardé " par des vigiles privés !) qui a connu un certain succès et fut suivi de nombreuses prises de paroles et de témoignages, de spectateurs, de soignants, et d’un membre des " écouteurs de voix" (association de personnes psychotiques)…

Au terme de cette réunion la perspective de la création d’un réseau européen démocratique et solidaire de santé mentale fut annoncée et accueille avec ferveur !

Ph GASSER
Président USP
Membre du Comité Nîmois de Solidarité avec le peuple Grec


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