Gaspard Glanz : « Quand le ministre soutient les policiers quoi qu’ils fassent, ils ne respectent pas la loi »

samedi 27 avril 2019
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : reporterre

Gaspard Glanz : « Quand le ministre soutient les policiers quoi qu’ils fassent, ils ne respectent pas la loi »


27 avril 2019 / Entretien avec Gaspard Glanz

Le journaliste vidéo Gaspard Glanz documente depuis dix ans les manifestations et les mouvements sociaux.

Il raconte dans un entretien au long cours comment ont évolué les techniques policières de maintien de l’ordre, et explique sa position de journaliste.

Gaspard Glanz, qui a plusieurs fois collaboré à Reporterre a été interpellé samedi 20 avril alors qu’il couvrait la manifestation des Gilets jaunes et gardé à vue pendant plus de 48 heures. Il lui est interdit de filmer les manifestations à Paris les samedi.

Lundi 29 avril, le tribunal correctionnel jugera si cette interdiction peut être levée. À tête reposée, Gaspard Glanz revient sereinement sur son parcours et sur les logiques policières.


Reporterre — Comment le comportement des forces de l’ordre a-t-il évolué depuis que vous suivez les mobilisations sociales ?

Gaspard Glanz — J’ai commencé le journalisme en avril 2009, au sommet de l’Otan à Strasbourg.

C’est une des rares fois où autant de chefs d’États étaient présents en France. La ville était en état de siège. Les trois quarts des forces anti-émeute françaises étaient sur place. Des zones de sécurité avaient été délimitées et des maisons avaient été préalablement fouillées.

C’est la première fois que la police a utilisé le lanceur de balles de défense LBD 40 en manifestation. Les forces de l’ordre n’avaient pas l’habitude de s’en servir, il y avait même des instructeurs pour les aider ! Les Flash-Ball, eux, étaient utilisés depuis 1995.
Mais ce qui a le plus changé avec cet événement, ce sont les techniques des manifestants. Avant Strasbourg en 2009, on n’avait jamais vu d’organisation en black bloc dans des manifestations françaises. Certaines y ressemblaient, comme les manifestations de punks, mais elles ne mettaient pas en œuvre la méthodologie black bloc développée à Seattle aux États-Unis [lors des manifestations contre l’OMC en 1999] et européanisée en Allemagne — équipements noirs, mouvements, banderoles renforcées, etc.

Au sommet de l’Otan étaient présents de nombreux manifestants étrangers. Les manifestants français ont été impressionnés par l’efficacité des black blocs allemands. Cette méthodologie a ensuite été exportée dans d’autres villes.

Ce sommet a donc eu un effet aussi bien sur les manifestants que sur la police…

La police n’a pas tout de suite compris que les Français allaient imiter ces méthodes. On n’a pas revu de black bloc structuré en France avant les manifestations contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en 2012, au début de l’opération César.
Lors de la manifestation du 22 février 2014 à Nantes, un black bloc a affronté un mur de policiers pendant six heures d’affilée.

Cela a été possible grâce au soutien populaire : des agriculteurs ont d’une certaine manière protégé le black bloc. Les policiers étaient sidérés, ils n’avaient jamais vu ça.

Le maintien de l’ordre a donc évolué en réponse à cette évolution chez les manifestants ?

Les autorités ont vraiment changé quand elles se sont rendu compte que l’opération César était en échec sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes. 2.000 gendarmes mobiles avaient été mobilisés, et après trois ou quatre mois, ils n’arrivaient pas à venir à bout de mecs qui dormaient dans des cabanes.

Quand cette méthodologie a commencé à s’exporter au centre-ville, les autorités ont compris qu’elles devaient changer de méthode. Cette manifestation du 22 février 2014 a été une alerte pour le ministère de l’Intérieur, car elle était locale, sans manifestants étrangers ou presque, mais pourtant massive.

Ce jour-là a été le festival des LBD 40, grenades GLI-F4, canons à eau. C’est une des pires manifs que j’ai couverte, en matière de nombre de blessures par rapport au nombre de manifestants. J’ai moi-même pris trois coups de LBD et deux grenades de désencerclement — plus en une manif que lors des cinq dernières années.


Que s’est-il passé les années suivantes ?

La COP21, en 2015, est un autre moment important. La grande manifestation a été maintenue malgré les attentats du 13 novembre. Je n’étais pas retourné à Paris depuis que j’avais perdu des amis au Bataclan. L’ambiance était très bizarre ; au moment de la manif, il y avait toujours des bougies et des gens qui priaient près de la statue de la place de la République.

29 novembre 2015, Paris. Manifestation interdite par l’état d’urgence lors de la COP21.
La police a verrouillé la place. Pour la première fois, j’ai observé les forces de l’ordre utiliser leur technique de tir de dix à quinze grenades explosives en même temps. Ils cherchaient à créer de l’espace entre eux et la foule et à la repousser vers le centre de la place. Ils ne voulaient surtout pas que les manifestants quittent le périmètre, alors qu’il y avait des chefs d’État plein la ville. Leurs méthodes n’étaient plus du tout les mêmes qu’en 2009.


Comment se traduisait ce changement ?

Auparavant, les CRS se positionnaient en ligne. Là, on a observé pour la première fois d’énormes paquets de CRS ou de policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) : quatre ou cinq unités placées les unes derrière les autres, boucliers devant et LBD derrière. Elles accroissaient la pression psychologique en faisant masse, en tapant sur les boucliers pour faire du bruit, pour impressionner.
Trois mois plus tard, en mars 2016, les premières manifestations contre la loi Travail ont montré un grand changement, pour les manifestants comme pour les policiers.

En quoi ?

Le ministère de l’Intérieur avait rattrapé le retard accumulé les années précédentes en matière de gestion du maintien de l’ordre.

Du côté des manifestants, on a vu apparaître le cortège de tête, qui est la méthodologie du black bloc adaptée aux manifestations françaises.

En Allemagne, le black bloc est derrière sa banderole, un peu à part du cortège syndical.

En France, les deux éléments sont plus mélangés. On a vu des membres de la CGT et de la CFDT participer, ou s’interposer entre le black bloc et la police pour empêcher les arrestations. Le black bloc peut aussi se servir du cortège comme d’un camouflage.

22 septembre 2016, à Paris. Blocage des lycées Bergson et Voltaire.

Les contextes sont très différents en France et en Allemagne. En Allemagne, la police ne tire pas de grenades explosives ou avec des LBD sur les gens, parce qu’ils n’en ont pas. Ils utilisent très peu de grenades lacrymogènes.

Pourtant, entre les footballeurs et les néonazis, les manifestants allemands ne sont pas des enfants de chœur. En septembre, j’étais à Chemnitz pour filmer les néonazis qui manifestaient contre les migrants en Allemagne de l’Est. Ils avaient entre trente et cinquante ans, 1,90 mètre pour 120 kilos, et buvaient tellement de bière qu’on avait l’impression qu’ils allaient rebondir sur leur ventre. Face à ce type de manifestants, les policiers français se feraient massacrer. La police allemande, avec moins de matériel anti-émeute, arrive à gérer mieux des manifestants beaucoup plus hostiles.

Pourquoi ?

Parce qu’elle respecte la loi. Je ne suis pas en train de promouvoir la police allemande. Mais la police allemande, quand elle nasse des manifestants, laisse toujours une sortie pour ceux qui ne souhaitent pas participer aux violences et veulent quitter la manifestation. Elle parle en permanence aux manifestants, très poliment, dans des mégaphones ultra-puissants. C’est comme si, en France, un policier sur le canon à eau disait : « Monsieur avec la casquette verte, veuillez lâcher cette bouteille s’il vous plaît. Monsieur là-bas, sur la droite, avec le cocktail Molotov, vous risquez un an de prison ferme » !

Ils suscitent donc moins d’agressivité de la part des manifestants ?

Exactement. En Allemagne, j’ai déjà vu deux policiers choper quelqu’un qui avait donné un coup de pied dans un bouclier, lui mettre deux claques pour le calmer, et le relâcher !

Pour la foule, c’est une réaction légitime.

Par contre, si les policiers s’étaient mis à cinq dessus, lui avaient éclaté la gueule en sang, l’avaient traîné au sol avant de l’arrêter, cela aurait énervé la foule. Or, c’est exactement ce que fait la police française.

En juillet 2017, j’ai été à la mobilisation contre le G20 à Hambourg, trois jours d’émeute sur six rues parallèles. La police avait abandonné un quartier entier aux manifestants. À un moment, les manifestants ont chargé une ligne de six canons à eau en se protégeant des jets avec des parasols de terrasses !

L’ambiance était très tendue. Une dizaine de blindés avaient été déployés pour forcer les barricades en feu. Mais en trois jours, je n’ai vu que trois grenades lacrymogènes et zéro grenade explosive. Il y a eu un nombre proportionné de poursuites, pas comme en France où 1.723 personnes ont été interpellées le 8 décembre, avec finalement une majorité de classements sans suite et de non-lieu.

Certains ont ensuite accusé le maire de Hambourg d’avoir laissé sa ville brûler. Mais il a déclaré quelque chose qui a fait taire tout le monde : « Dites ce que vous voulez, mais je suis fier d’une chose, c’est qu’il n’y ait eu ni mort ni blessé grave. »

Revenons à 2016. Que s’est-il passé lors de Nuit debout ?

Un soir, le 28 avril, la compagnie de sécurisation et d’intervention de Paris (CSI 75) est arrivée sur la place équipée de boucliers pare-balles de la brigade de recherche et d’intervention (BRI). Je les ai vu se structurer en unités de quatre : un qui tenait le bouclier, un autre derrière équipé du LBD, et deux autres avec une grenade et un talkie-walkie. Si l’on remplace le LBD par une mitrailleuse, c’est exactement le dispositif utilisé en cas d’attentat !

Ce soir-là, le nombre de blessés a été gargantuesque. Ils ont balancé tellement de grenades, il y avait tellement de blessés, que les autres photographes et moi avons fini par reculer de 150 mètres. On s’est dit que si on avançait, on allait tous se retrouver blessés au lit pendant trois semaines, à ne plus pouvoir couvrir la suite du mouvement.

23 juin 2016, à Paris. Manifestation contre la loi Travail.

J’ai compris ensuite que la CSI venait d’être formée à l’antiterrorisme et de valider son autorisation de tirer au fusil d’assaut HK G36 pour être capable de venir en renfort de la BRI. Les chefs devaient vouloir vérifier qu’elle était capable de gérer en situation de stress, en terrain hostile. Nuit debout a servi d’entraînement !

Certaines évolutions des techniques de maintien de l’ordre sont donc liées à l’antiterrorisme ?

Exactement. L’état d’urgence a aussi donné plus de droits aux forces de l’ordre : plus de possibilités de faire feu, plus de matériel… Tout était possible. Ils m’ont déjà retenu six heures en contrôle d’identité pour m’empêcher de couvrir une manifestation, grâce à l’état d’urgence.

Y a-t-il des différences de comportement entre les CRS, les gendarmes, la BAC, etc. ?
Complètement. Les seuls à qui je tourne le dos sans les surveiller en permanence, c’est les gendarmes mobiles. Parce que s’ils n’en reçoivent pas l’ordre, ils ne tireront pas ni ne frapperont. Il ne m’est jamais arrivé de me faire tirer dessus, frapper ou arrêter par un gendarme mobile. En revanche, cela m’est arrivé à de nombreuses reprises avec les CRS. D’ailleurs, j’ai récemment entendu des commandants de gendarmerie souffler à propos des CRS : « Mais quelle bande d’abrutis, ce sont vraiment des amateurs ! » Les gendarmes mobiles méprisent la gestion du maintien de l’ordre par les CRS. Et je ne parle pas de la manière dont ils considèrent les BAC…


Les gendarmes sont durs, mais respectent la loi ?

Regardez le décompte des tirs. En ce moment, il y a autant de gendarmes mobiles que de CRS sur le terrain, mais ils ont tiré dix ou vingt fois moins de munitions que les CRS.

Pourquoi ?

Parce qu’ils tirent sur des cibles qu’ils considèrent être de vraies cibles. Tandis que les CRS tirent sur tout ce qui bouge. Les « baqueux » [policiers des BAC], c’est encore pire ! Alors que les CRS sont toujours en binôme pour tirer — un CRS doit valider le tir de l’autre —, les baqueux ou les unités en civil décident seuls et tirent dix fois plus.
Beaucoup de journalistes se sont pris des tirs de LBD alors qu’ils étaient hors zone de conflit. Un policier regarde à droite, à gauche, voit que son commissaire regarde ailleurs et se dit : « Tiens, ce journaliste m’a filmé la dernière fois, je vais lui en mettre une. » David Dufresne a compté que 10 % des blessés par la police durant le mouvement des Gilets jaunes étaient des journalistes, alors qu’ils ne représentent pas 10 % des manifestants ! On est visés.

Que s’est-il passé entre Nuit debout et maintenant ?

L’affaire Benalla a changé les choses : à cause de la commission parlementaire, le gouvernement a limogé ou mis au placard la moitié des têtes de la préfecture de police de Paris. Or, ces gens étaient en place depuis des dizaines d’années et avaient l’expérience du maintien de l’ordre. Les nouvelles personnes aux commandes de la préfecture de police de Paris ont voulu marquer leur arrivée par des changements. Ils ont unifié le commandement, ce qui n’avait jamais été fait — c’était demandé par les policiers, refusé par les gendarmes. Ils ont aussi changé les méthodes des détachements d’action rapide (DAR).
La manière dont ils considèrent la liberté de la presse est inquiétante : clairement, les photographes deviennent des cibles. On a pratiquement tous été à l’hosto voir un pote photographe ou journaliste un soir de manif. On fait un travail dangereux, on prend des risques, on les accepte. Mais il y a un moment où ce n’est plus acceptable.

Quels autres éléments caractérisent le mouvement actuel du point de vue de la gestion policière ?

Le nouveau préfet de police, Didier Lallement, et le nouveau ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, veulent montrer qu’ils sont des durs, qu’ils tiennent le truc. Ils veulent montrer qu’ils sont intraitables. Ils prétendent que la loi, c’est la loi. Sauf que, quand on arrive au commissariat, la loi, les policiers s’asseyent dessus. Ils n’en ont rien à battre !

1er mai 2017, à Paris.

Les manifestations continuent malgré une augmentation considérable de la violence policière. Comment expliquez-vous que les gens n’aient pas peur et continuent à venir manifester ?
Cela fait trop longtemps que les gens sont à bout. Quand je vois les retraites de mes grands-parents, je comprends qu’ils soient énervés : ils ont bossé toute leur vie, ils ont reconstruit le pays. Maintenant, ils arrivent à la retraite et ils gagnent 600 ou 800 balles par mois. Je comprends qu’ils soient plus en colère que nous.

Nous ?

Notre génération, les jeunes.
On n’a pas d’avenir, on a le sentiment d’être enfermés.

Mais on a encore l’âge devant nous, on a le temps de voir venir ! Eux, ils ont tout donné, ils ont bossé, ils sont à la retraite, ils veulent se poser. Et ils voient que leurs petits enfants n’ont pas d’avenir. C’est dur pour eux. Le gouvernement n’a pas compris l’union générationnelle qui s’est mise en place. Cela dépasse les clivages politiques.

Comment concevez-vous le rôle de journaliste qui filme ces opérations de maintien de l’ordre ?

Mon boulot est de fournir des images brutes, le plus possible, le plus près possible, le plus détaillées possible, pour comprendre ce qui s’est passé. Beaucoup de policiers viennent me dire : « Merci pour vos images Monsieur Glanz ! » Et plein de policiers sont fans de ma page Facebook.

Pourquoi ?

J’ai demandé une fois à un policier, il m’a répondu : « Parce que vous êtes juste, vous montrez autant la violence des black blocs que celle des policiers. Je n’entends pas votre voix en train de me raconter ce que je dois penser en regardant la vidéo. » Au commissariat, dimanche dernier, il y en avait un ou deux qui sont venus me dire « Bon anniversaire » en regardant si personne ne les entendait par la porte ! Pendant ma garde à vue, j’ai interrogé des policiers : « Vous ne trouvez pas cela dingue que vos collègues m’aient interpellé ? » Ils regardaient pour voir si personne ne les entendait, et m’ont dit : « C’est du délire, vous ne devriez pas être là. Mais j’obéis aux ordres. »


Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser sur ce sujet ?

Je suis diplômé de sociologie criminelle.

Mon mémoire était une étude comparative des mouvements sociaux entre l’université de Rennes et l’université de Strasbourg, deux facs très différentes.

Arrivé au journalisme, il était logique que je m’intéresse aux mouvements sociaux.

Mais je n’ai pas fait que ça ! J’ai filmé 450 artistes différents dans des concerts, dans les festivals. J’ai couvert les crises des migrants. Là, en ce moment je couvre beaucoup les mouvements sociaux parce qu’il y en a énormément depuis quelques années. Mais les migrants étaient mon sujet numéro 2. J’ai fait une pause parce que quatre ans d’affilée, c’était trop dur : j’avais le sentiment de remontrer à chaque fois la même chose, sans effet. Cela me frustrait que des gens qui crevaient de faim, de soif, de froid après avoir fait 20.000 km à pied pour fuir des guerres, ça n’intéresse pas les gens. Cela m’a remis en question comme journaliste. Je me suis demandé : « Mettre autant d’énergie pour montrer une situation pareille et que tout le monde s’en fiche, à quoi cela sert ? »

Et maintenant, votre travail sur le maintien de l’ordre est-il utile ?

La réponse est simple : mon travail sur les migrants, les gens ne voulaient pas le voir. Là, c’est le contraire : tout le monde regarde.



15 décembre 2018, à Paris. Manifestation des Gilets jaunes.

Les images que vous faites sur les manifestions influencent-elles les gens, est-ce que cela change la manière de se mobiliser ?

Plein de gens sont venus me voir durant les manifs en me disant : « Je suis là parce que j’ai vu tes reportages. Cela m’a donné envie de venir ! » D’autres me disent : « Merci d’être là parce que quand je ne suis pas en manifestation, avec toi, je vois la vérité de ce qui passe. »

N’y a-t-il pas une certaine complaisance dans votre travail, une esthétisation de la lutte ?
Je viens de la photo, je fais donc attention au cadrage, à la lumière. Il est important pour moi de faire de beaux reportages. BFM cherche à avoir tel ou tel élément dans son cadre, il s’en fiche que l’image soit belle. Moi, il faut qu’il y ait en plus quelque chose d’esthétique. Je rêverais de faire du format cinéma, avec des barres et du 16/9e plus panoramique. Pour qu’un reportage de 20, 30 ou 50 minutes soit sympa à regarder, il faut qu’il soit beau ! La beauté attire l’œil, les gens voient davantage de détails. Peut-être que ça les amène à mieux comprendre la situation. J’adore prendre la tour Eiffel en contre-plongée d’un côté, le soleil de l’autre et les flics au milieu, pour qu’ils aient l’air immense.

Cela n’a rien à voir avec une esthétisation de la violence. J’ai fait quelques riot porn, ces images de violences sur fond musical. Ça m’amuse, c’est joli à regarder. Mais franchement, avec toutes les images que j’ai, je pourrais faire beaucoup plus.

Vous avez écrit sur votre comte Twitter « J’adore respirer l’odeur du gaz lacrymogène, le matin » et « Ideals are peaceful, history is violent ». Pourquoi ?

Ce sont deux références à des films. « Ideals are peaceful, history is violent » est tiré de Fury, sorti en 2014, l’histoire de quatre tankistes américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Au moment où cette phrase est prononcée, les tankistes viennent de montrer à un jeune que tous les nazis ont organisé une grande fête, ont bu et se sont suicidés en se tirant une balle dans la tête, avant que les Américains n’arrivent.
L’autre est inspirée d’Apocalypse Now, quand des bombes au napalm explosent sur une plage et que le commandant Kilgore tombe à genoux et dit « j’adore sentir l’odeur du napalm au petit matin ».

Vos images ont servi à la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Benalla. L’image et la vidéo peuvent servir à identifier et coincer des personnes. Comment intégrez-vous ce risque ?



Je n’ai jamais entendu parler d’une seule personne qui aurait eu une de mes images dans son dossier judiciaire. Et je suis bien placé pour le dire, parce que la plupart de mes avocats font partie du collectif qui défend les manifestants inculpés.
Par contre, j’ai été appelé à de nombreuses reprises par des personnes accusées et que mes images permettaient de disculper. C’est arrivé une bonne quinzaine de fois depuis le début de l’année ! Des personnes m’ont envoyé des lettres avec des bisous en rouge à lèvre de leur mère et de leur grand-mère, et un mot du genre « Merci d’avoir donné tes images à nos avocats. On a pu contredire ce que disaient les flics et montrer que je n’avais pas frappé le policier. Grâce à toi, je n’ai pas fait de prison ».
Si je mettais quelqu’un en prison, j’en serais traumatisé, j’arrêterais de travailler.

Vous pratiquez un journalisme dangereux. Avez-vous peur ?

Plus maintenant. J’ai eu peur au moment où j’ai été blessé par une grenade en 2014.

Chez tous les journalistes de manifs, si l’on va en première ligne, il y a un moment où l’on est blessé sérieusement.

Cela arrive assez rapidement en général, la première ou la deuxième année.

Après ça, pendant un certain temps, on ne peut plus rien faire.

On a mal, et on se dit : « Putain, cela pourrait être pire encore ! J’aurai pu perdre un œil. » À ce moment, il y a ceux qui arrêtent et ceux qui continuent. Quand tu continues, tu sais pourquoi tu y vas. Tu sais les risques que tu prends. Ton cerveau a le souvenir de la douleur. Quand tu passes ce stade, tu n’as plus peur ! C’est fini.

« Nos disques durs sont cryptés et enterrés sous terre, dans des planques, et pas chez moi ou chez ma famille. Si la police vient perquisitionner, elle ne trouvera rien. »
Avant une manif, notre salle de commandement est plus belle que celle de la Préfecture de police ! On a des plans de bataille avec la ville, des surligneurs, des post-it. On n’est pas des rigolos ! Nos disques durs sont cryptés et enterrés sous terre, dans des planques, et pas chez moi ou chez ma famille. Si la police vient perquisitionner, elle ne trouvera rien.

Pensez-vous qu’il y a eu une évolution dans l’attitude des forces de l’ordre à l’égard des journalistes vidéo et photo ?

Cela dépend des ministres et des préfets.

Ils donnent des instructions.

Par exemple, en 2008, le Directeur général de la police nationale (DGPN) avait rappelé aux policiers qu’il était tout à fait permis de les filmer. Mais quand les policiers sentent qu’ils ont un préfet, un ministre et un DGPN qui les soutient quoi qu’ils fassent, ils se font plaisir, ils ne respectent pas la loi.

• Propos recueillis par Hervé Kempf et Émilie Massemin

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