Papiers et ciseaux – une coopérative de coiffeurs et couturiers pour sortir du travail informel, dans le quartier africain de Bruxelles

mercredi 19 août 2020
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : EqualTimes

Papiers et ciseaux – une coopérative de coiffeurs et couturiers pour sortir du travail informel, dans le quartier africain de Bruxelles

À l’angle de la rue de la Paix et celle de la Longue-Vie, au plein cœur de Matongé, un quartier bruxellois influencé par un riche mélange de cultures africaines, mais de plus en plus menacé par des processus de gentrification, se trouve un salon de coiffure, comme il y en a beaucoup dans les rues adjacentes.
Cependant, celui-ci a une vocation un peu plus large que de simplement offrir un dégradé ou un tressage traditionnel. C’est un espace de travail collaboratif, ouvert aux entrepreneurs indépendants de la coiffure et de l’esthétique.
C’est aussi à cette adresse que se trouvent les bureaux de la coopérative RCOOP, qui mène depuis deux ans un projet à finalité sociale, principalement dans Matongé, mais pas uniquement.

En 2017, l’inspection du travail de la ville de Bruxelles a mis en lumière le problème récurrent du travail informel dans le secteur des services et des soins au sein du quartier.

Pour tenter alors d’apporter une aide, des acteurs sociaux, œuvrant dans l’économie solidaire et collaborative, ont lancé le projet d’une coopérative, après avoir identifié que beaucoup de coiffeurs, coiffeuses et de couturiers, travaillant principalement à la tâche, faisaient face à une série de problèmes les empêchant souvent de trouver seuls les solutions pour exercer leur activité dans une totale légalité.

Aujourd’hui, la coopérative est là pour jouer un rôle d’accompagnatrice administrative, facilitant les démarches pour ses membres, mais pas seulement.

Elle apporte également des conseils légaux, de la formation en gestion d’entreprise et du partage d’expériences. Chez RCOOP, chaque coopérateur, qui reçoit un salaire sous forme d’émoluments en fonction du volume de son activité, possède une part égale de la société et peut prendre des décisions concernant celle-ci, ajoutant ainsi une dimension d’engagement collectif et de responsabilisation à des travailleurs habituellement isolés.

La plupart des travailleurs inclus dans le projet sont issus d’un parcours de migration et ont donc souvent des diplômes étrangers, ou une expérience qui n’est pas reconnue dans la profession. Certains connaissent également des problèmes liés à la langue et à la méconnaissance du système légal et fiscal belge.
Photo : Julie de Bellaing

La coopérative propose de s’occuper de la comptabilité des membres.

« Pour les indépendants, un ‘accident’ peut arriver très vite. La première cause de faillite est le non-paiement de la TVA. Car il faut penser à la provisionner. Il faut aussi penser aux cotisations sociales », explique Marie-Charlotte Pottier, coordinatrice du projet, qui ajoute qu’il y aussi un manque d’interlocuteurs vers qui se tourner pour trouver de l’aide. « Ce n’est pas leur comptable qui va leur donner des conseils en gestion d’entreprise », ajoute-t-elle.

La coopérative RCOOP a été créée à l’origine pour aider les coiffeurs et les coiffeuses du quartier de Matongé à légaliser leur statut de travailleur. Elle compte aujourd’hui 14 membres, qui d’ailleurs ne travaillent pas tous dans la coiffure (certains sont dans l’esthétique, la couture ou les soins à la personne). Marie-Charlotte Pottier, ici dans le « salon partagé » de la rue de la Paix, suit individuellement chacun d’entre eux.
Photo : Julie de Bellaing

La première année du projet a constitué à « recruter » des coopérateurs dans divers métiers.

« Au début, ils avaient peur de moi », s’amuse Marie-Charlotte.

Mais petit à petit, la confiance s’est installée.

Il y a désormais aussi bien des hommes que des femmes, des personnes qui « se lancent » pour la première fois ou qui sorte du travail informel, des travailleurs à temps plein et d’autres à mi-temps. Les profils sont variés et la coopérative reste assez ouverte, même pour des personnes hors du quartier. Le modèle économique à terme reposera sur un financement prélevé sur la marge brute des membres. L’engagement de chacun doit donc se faire à long terme.

Mais pour le moment, la coopérative achève sa phase de test, pour pouvoir se passer des subventions publiques qu’elle reçoit encore.

Experte du tressage et des perruques, Olayinka, ici dans sa boutique, raconte combien elle était effrayée par les démarches administratives. « Je ne sais rien de la comptabilité et ça me stresse énormément ». La coopérative lui a fait comprendre qu’elle pouvait avoir des avantages en ayant un statut légal.
Photo : Julie de Bellaing

D’origine nigériane, la jeune femme revient tout juste de son congé maternité. Olayinka a cinq garçons et travaille à mi-temps dans une entreprise de nettoyage. Pour elle, qui parle encore très peu le français, c’est surtout avoir une aide administrative qui lui a changé la vie. Une première expérience entrepreneuriale qui ne s’est pas très bien passée, l’avait fait basculer dans le travail au noir.

Mais RCOOP a su la convaincre qu’avec un peu d’accompagnement, elle pourrait retrouver un statut légal, comme « indépendante complémentaire ». Depuis, Olayinka n’hésite jamais à traverser la rue pour poser ses questions ou simplement entretenir le lien et parler des nouvelles du quartier.

Pour le moment, Fanta « teste » son activité comme indépendante. Elle fait des rendez-vous à la demande avec une clientèle de connaissances et loue un salon avec une autre esthéticienne, juste à côté de la place Saint-Boniface. C’est grâce à Olayinka, véritable ambassadrice de la coopérative dans la communauté, qu’elle a eu le déclic pour se lancer.
Photo : Julie de Bellaing

Mère de famille de cinq enfants, Fanta a fait une école de coiffure en Guinée-Conakry, mais ses diplômes ne sont pas reconnus en Europe. On lui a demandé de refaire une école pour avoir une équivalence et un statut dans la profession. Quand elle est arrivée en Belgique, elle a commencé par travailler comme femme de chambre et dans la restauration.

Depuis quelques mois, elle « teste » son activité comme coiffeuse, grâce à un statut spécifique de la région bruxelloise qui lui permet de travailler, tout en touchant son chômage, ses gains étant mis de côté. Si au bout de 18 mois, l’expérience est concluante, elle pourra être membre à part entière de RCOOP.

« Je veux être en règle. C’est important, pour que je me sente en sécurité, que les choses soient en ordre », affirme celui qui dit aussi vouloir dépendre d’aucune aide sociale. Couturier de formation, Rahim partage en location un minuscule atelier avec Diallo, un autre membre de la coopérative, où il travaille d’arrache-pied sur sa machine à coudre le jour, tandis qu’il travaille la nuit comme gardien.
Photo : Julie de Bellaing

Guinéen comme Fanta, Rahim a passé deux ans en centre d’accueil avant d’avoir ses papiers. Un jour, on lui a proposé une formation dans le nettoyage, domaine dans lequel il a travaillé pendant sept ans. Aujourd’hui, il travaille la nuit dans un hôtel et a lancé en parallèle son entreprise de couture – activité qu’il pratiquait déjà dans son pays. Il dit que, dès le début, il a voulu que son activité soit légale.

Pour lui, cela a été très simple d’entrer à la coopérative, il y a maintenant un an.

Il a simplement dû acheter une « part sociale », à 50 euros, pour devenir membre, et c’est RCOOP qui s’occupe de toute sa compatibilité, qui lui prête son numéro de TVA. Il n’a eu aucune démarche à faire, mais doit simplement transmettre ses rentrées d’argent. La coopérative a aussi mis en place un système d’auto-prêt pour l’achat de sa machine à coudre. Au mur, s’affichent les « Conditions générales de vente », quelques règles qui rappellent que les deux couturiers sont des entrepreneurs, pour éviter les petits arrangements ou tentative de marchandage de la part des clients.

Alphonse a un statut d’« indépendant complet », mais sans horaires fixes. Il ne dépend d’aucun patron et, depuis presque un an que l’ancien chimiste congolais fait partie de la coopérative, il trouve que cela a répondu à un réel besoin pour pérenniser son activité. Il a même créé un système de carte de fidélité.
Photo : Julie de Bellaing

Barbiers et coiffeurs, Alphonse et Grace « louent une chaise » au Salon Frank.
Ils racontent que l’ancien propriétaire ne déclarait pas ses coiffeurs. À la suite de plusieurs contrôles et le rachat du salon par une autre commerçante de la rue qui voulaient faire respecter les règles, les deux hommes ont accepté l’offre de faire partie de la coopérative. « On voulait aussi travailler plus sereinement », soulignent-ils.

Grace vient tous les jours au salon et commence à avoir une clientèle qui le connait. Il y loue une chaise et la plupart des clients poussent simplement la porte pour une coupe ou une taille de barbe, sans rendez-vous. Au Congo, il étudiait la pédagogie, mais il s’est formé à la coiffure sur le tas en Belgique, avec d’autres professionnels.
Photo : Julie de Bellaing

Une fois par mois, les coopérateurs font le point avec Marie-Charlotte.

« Mais j’aime aussi passer dans les boutiques, pour voir ce qu’il se passe », explique la jeune femme.

Elle y croise souvent d’autres travailleurs du quartier, à qui elle peut présenter, à l’occasion, les missions et les activités de la coopérative. Comme, par exemple, lorsqu’il y a un événement au salon partagé, une rencontre-débat ou un atelier d’informations autour d’un café. Et ainsi, petit à petit, le réseau se créé et la coopérative grandit.


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