Dans le Lot, le solaire citoyen, ça marche !

samedi 5 décembre 2020
par  onvaulxmieuxqueca
popularité : 29%

Source : Reporterre

Dans le Lot, le solaire citoyen, ça marche !

5 décembre 2020 / Gaspard d’Allens (Reporterre)

Dans le Lot, l’électricité solaire est produite par une coopérative citoyenne. Portée par le désir d’autonomie et de limiter les conséquences environnementales de sa production, Céléwatt a séduit près de 500 sociétaires. Et les projets se multiplient.

• Brengues et Carayac (Lot), reportage

Arrivé à Brengues (Lot), la route monte à pic jusqu’au causse parsemé de petits chênes et de vieux murets en pierres sèches. C’est au bout du chemin, dans une clairière cachée par des haies, que la société coopérative Céléwatt a créé son premier parc solaire citoyen.

Sur la superficie d’un terrain de football, deux rangées de panneaux photovoltaïques sont alignées et forment comme un accent circonflexe. Ils ont été surélevés pour que des moutons puissent paître en dessous. Chaque année, la centrale villageoise produit 320.000 kWh, soit la consommation de 250 habitants, hors chauffage électrique [1].

Le président de Céléwatt, Bertrand Delpeuch, assure la visite. En cette matinée d’automne, le ciel gris contraste avec le bleu irisé des panneaux photovoltaïques. Le soleil perce à peine les nuages. « Ce n’est pas la meilleure période de l’année mais cela n’empêche pas le parc de fonctionner », assure le retraité. On entend d’ailleurs les onduleurs qui ronronnent. Un bruit léger, pas plus fort qu’une parole humaine.
Des élus des environs l’accompagnent.

Depuis que le projet est sorti de terre, il y a deux ans, l’initiative attire.

Elle a fait débarquer, dans ce bout de campagne, à l’ombre des falaises du Quercy, des délégations d’ingénieurs, d’étudiants, de politiques ou de citoyens venus des quatre coins de l’Occitanie. Localement, le projet suscite un véritable engouement. « Quand on a commencé à imaginer ces parcs solaires, nous n’étions que cinq habitants, raconte Bertrand Delpeuch.

On voulait se réapproprier la question énergétique, gagner en résilience et en autonomie », dit-il. Aujourd’hui, ils sont près de cinq cents sociétaires, au deux tiers des Lotois et des Aveyronnais. Tous ont souscrit des parts dans Céléwatt, dont le capital social culmine à plus de 300.000 euros.

Sur le site de la centrale citoyenne de Bengues, de gauche à droite, Bertrand Delpeuch, Patrick Le Magoerol, Jean-Luc Vallet, le maire de Brengues.

En seulement quatre ans d’existence, la société coopérative a connu un bel essor. Un premier parc solaire est apparu sur les hauteurs de Brengues. Un deuxième est en cours de construction à Carayac, à une dizaine de kilomètres, et d’autres sont à l’étude.

« On aimerait bien avoir une grappe de quatre ou cinq projets dans la vallée du Célé, explique le retraité. On n’a pas d’autre prétention que de produire l’électricité de nos communes. Mais ce n’est déjà pas si mal ! »

« La démarche citoyenne peut être rapide et efficace »

Dans ces petits villages du Lot, nichés au creux du causse, une dynamique est née. Des citoyens et des citoyennes ont repris en main tout un pan de leurs conditions matérielles laissées d’ordinaire aux élus ou aux professionnels.

« Dès 2016, on a commencé à inviter les autres habitants. On a privilégié les rencontres physiques plutôt que la communication sur internet, se souvient Patrick Le Magoero, un des administrateurs de la société. On avait toujours un stand sur les marchés et pendant les fêtes. On organisait des réunions “tupperwatt” pour parler d’énergie ». À Brengues, sur deux cents habitants, vingt sont ainsi devenues sociétaires.

Pour monter à bien leur projet et lancer les démarches administratives, l’équipe d’origine s’est élargie. Des juristes et des ingénieurs les ont rejoints bénévolement. Une ancienne salariée d’EDF, reconvertie dans la musique, les a aiguillés. « L’expertise est venue du territoire. On a rassemblé des compétences différentes qui n’auraient pas été valorisées si le projet était venu d’en haut avec des bureaux d’étude ou des consultants », souligne Bertrand Delpeuch.

Visite de sociétaires de Céléwatt à la centrale villageoise de Carayac, en octobre 2020.

« Au début, nous n’étions pas pris au sérieux. On était vus comme des ovnis », se rappelle l’ancien agronome. L’image a progressivement changé. Une aide de la région Occitanie, décrochée en 2017, leur a donné une première légitimité, le succès de la souscription citoyenne a fait le reste. La machine s’est mise en branle.

Aujourd’hui, ils sont quasiment les seuls porteurs de projets photovoltaïques de la région à pouvoir s’autofinancer.

Céléwatt a investi 260.000 euros à Brengues et 220.000 euros à Carayac, sans aucun prêt.

« La démarche citoyenne peut être rapide et efficace », répète Bertrand Delpeuch comme un credo. Mais le résultat est bien là, palpable. Au-dessus de Brengues, 862 panneaux monocristallins reçoivent le soleil du causse. Quelques-uns ont des noms collés sur leur bord. « Malik », « Axelle », « Sarah », etc. « Des sociétaires ont fait le choix de parrainer leurs enfants en leur offrant un panneau », dit le président de la société. Lui-même en a donné un à sa petite-fille de huit ans. Un cadeau « aux vertus pédagogiques », qui a le mérite, en outre, de montrer que le solaire à taille humaine est « un investissement d’avenir ».

« Notre objectif est d’être le plus réversible possible »


La question éthique est ici fondamentale.

Les sociétaires veulent éviter toute forme de nuisance et limiter le plus possible l’artificialisation des sols.

Si du béton a été coulé au pied des panneaux, « l’emprise totale représente moins de mètres carrés qu’un hangar agricole », assure Patrick Le Magoero.

La petite taille des parcs — 7.000 m² pour Brengues et 3.200 m² pour Carayac — permet également aux sociétaires d’éviter de demander un permis de construire. Une déclaration préalable de travaux suffit.

« Notre objectif est d’être le plus réversible possible », résume Bertrand Delpeuch. Sur le site de Carayac, Céléwatt expérimente une technique inédite. Elle a remplacé les supports en acier galvanisé par du bois brut. Les panneaux photovoltaïques sont désormais portés par des petits chênes du causse, coupés à trente kilomètres du site. Une première en France qui n’est pas sans intérêt : « L’utilisation de cette ressource locale diminue l’empreinte carbone du projet, explique le retraité. On économise toute l’énergie nécessaire à l’extraction du minerai, son transport sur des milliers de kilomètres, sa transformation et son façonnage », poursuit-il.

La centrale de Carayac en construction, en novembre 2020.

Pour accueillir les parcs, les terrains sont choisis parmi d’anciennes friches agricoles laissées à l’abandon et gagnées par la végétation.

À Brengues, Céléwatt mène, avec le parc naturel régional, une étude naturaliste pour analyser les conséquences du projet sur la faune et la flore. Des scientifiques suivent l’évolution du sol et expérimentent différentes méthodes.

Ils laissent des bandes naturelles avec la végétation, en débroussaillent d’autres.

Des haies d’arbustes ont été plantées pour faire venir des oiseaux et cacher à la vue les panneaux.

Sous les barrières, des trous ont été laissés pour que les petites bêtes ne rencontrent pas d’obstacle sur leur route.

Depuis deux ans, un semblant de prairie est réapparu et les moutons paissent à nouveau. « Nous voulons montrer que la biodiversité peut être aussi riche qu’avant », dit Betrand Delpeuch.

« On a réussi à embarquer les gens avec nous »

Quand on lui parle du projet, le maire de Brengues, Jean-Luc Vallet, affiche un grand sourire. « Pour une fois qu’on produit autre chose que du Rocamadour ! [le fromage local] On montre qu’une commune rurale peut faire autre chose qu’organiser des comités des fêtes ou des rendez-vous de chasseurs. »

De sensibilité écologique, l’édile est frappé par « la prise de conscience »qu’a entraîné le projet. À Brengues, les installations de panneaux solaires se sont multipliées sur les toitures des maisons ou sur les hangars agricoles.

« On a réussi à embarquer les gens avec nous, dans un milieu où les préoccupations environnementales n’étaient pas une priorité. »

Le maire reconnaît l’importance de l’implication citoyenne.

« Si le projet était venu de l’extérieur, s’il avait été porté par une grosse entreprise, l’acceptabilité sociale n’aurait pas été là même. » Avec Céléwatt, « on ne peut pas suspecter les sociétaires de vouloir dégrader l’environnement ou le cachet du village, puisqu’ils vivent eux aussi sur place ! ».

On ne peut pas non plus les soupçonner de vouloir s’enrichir. Si les souscripteurs bénéficient de défiscalisation, le profit reste limité. Le taux de rendement de leurs parts équivaut à celui de l’inflation et les bénéfices de la société — autour de 30.000 euros chaque année — sont directement réinvestis pour construire de nouveaux parcs.

La structure en bois du parc solaire de Carayac.

En 2019 , Céléwatt a produit un excédent d’électricité par rapport à son contrat.

Elle a décidé d’utiliser la somme obtenue pour financer des ateliers sur la précarité énergétique et sensibiliser la population aux écogestes.

L’avenir de Céléwatt semble dégagé.

Son rêve est de mailler le territoire de petites centrales villageoises.

« 7 % de l’électricité est perdu dans les réseaux de transport. Pour être plus économe, il est indispensable de relocaliser la production », pense Bertrand Delpeuch.

La société coopérative bénéficie d’un soutien d’Enercoop, un fournisseur d’électricité 100 % renouvelable qui lui achète sa production à un tarif préférentiel. « Sans eux, on ne pourrait pas se développer », explique-t-il.

Car aujourd’hui en France il n’y a aucune forme de soutien pour les petits parcs solaires au sol, contrairement aux autres projets.

Les installations photovoltaïques en toiture bénéficient d’une obligation d’achat garantie par l’État.

Les opérateurs de grands projets au sol profitent de complément de prix négocié avec la Commission de régulation de l’énergie. Rien de cet ordre n’existe pour les projets citoyens de petite taille.

L’initiative dépend donc de la solidarité des coopérateurs d’Enercoop, qui acceptent de payer l’électricité un peu plus cher.

« On vit la même situation que l’agriculture biologique, en somme, constate Bertrand Delpeuch. À défaut de politique structurelle, on doit compter sur l’aide des citoyens pour porter ces alternatives. » Céléwatt vend son kilowattheure à huit centimes d’euros. Bien au-dessus du prix du marché situé autour de cinq centimes. La société coopérative n’en reste pas moins compétitive selon son président.

« D’après la Cour des comptes, le prix de revient du kilowattheure pour le nouveau EPR de Flamanville est de 12 centimes d’euros. Dans la vallée du Célé, on produit 30 % moins cher ! »

Pour l’ancien militant antinucléaire, qui a vécu les manifestations de Creys-Malville (Isère) et l’essor de la filière atomique, ça a tout d’une revanche.

C’est maintenant que tout se joue…
Le désastre environnemental s’accélère et s’aggrave, les citoyens sont de plus en plus concernés, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale dans le traitement de l’actualité.
Contrairement à de nombreux autres médias, nous avons fait des choix drastiques :
• celui de l’indépendance éditoriale, ne laissant aucune prise aux influences de pouvoirs. Le journal n’appartient à aucun milliardaire ou entreprise ; Reporterre est géré par une association à but non lucratif. Nous pensons que l’information ne doit pas être un levier d’influence de l’opinion au profit d’intérêts particuliers.
• celui de l’ouverture : tous nos articles sont en libre consultation, sans aucune restriction. Nous considérons que l’accès à information est essentiel à la compréhension du monde et de ses enjeux, et ne doit pas être dépendant des ressources financières de chacun.
• celui de la cohérence : Reporterre traite des bouleversements environnementaux, causés entre autres par la surconsommation. C’est pourquoi le journal n’affiche strictement aucune publicité. De même, sans publicité, nous ne nous soucions pas de l’opinion que pourrait avoir un annonceur de la teneur des informations publiées.
Pour ces raisons, Reporterre est un modèle rare dans le paysage médiatique. Le journal est composé d’une équipe de journalistes professionnels, qui produisent quotidiennement des articles, enquêtes et reportages sur les enjeux environnementaux et sociaux. Tout cela, nous le faisons car nous pensons qu’une information fiable, indépendante et transparente sur ces enjeux est une partie de la solution.
Vous comprenez donc pourquoi nous sollicitons votre soutien. Des dizaines de milliers de personnes viennent chaque jour s’informer sur Reporterre, et de plus en plus de lecteurs comme vous soutiennent le journal, mais nos revenus ne sont toutefois pas assurés. Si toutes les personnes qui lisent et apprécient nos articles contribuent financièrement, le journal sera renforcé. Même pour 1 €, vous pouvez soutenir Reporterre — et cela ne prend qu’une minute. Merci.
Soutenir Reporterre


[1] Selon les évaluations, la consommation énergétique moyenne par foyer en France (hors chauffage électrique) est comprise entre 2.500 et 5.000 kWh.


Lire aussi : Ils s’associent pour produire de l’énergie renouvelable - et ça marche !


Source : Gaspard d’Allens pour Reporterre
Photos :
. chapô : la centrale citoyenne de Carayc. © Céléwatt
. Bengues : © Gaspard d’Allens/Reporterre


Commentaires