Trente ans avant Tchernobyl, la catastrophe nucléaire de Kychtym

lundi 26 avril 2021
par  onvaulxmieuxqueca
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Catastrophes nucléaires

Trente ans avant Tchernobyl, la catastrophe nucléaire de Kychtym


Alors que la catastrophe nucléaire de Tchernobyl s’est produite il y a trente-cinq ans, une autre explosion, survenue en 1957 en Russie dans le centre nucléaire militaire de Mayak, continue d’empoisonner la région. Retour sur cette catastrophe tenue secrète pendant plus de vingt ans.

Moscou (Russie), correspondance

Le 29 septembre 1957, en Russie, l’explosion d’un stock de déchets radioactifs dans l’usine de Mayak, au sud de l’Oural, a provoqué l’irradiation d’une zone de 23 000 km² affectant plus de 270 000 habitants. Le secret maximum sur cet accident fut alors maintenu. De niveau 6 sur l’échelle internationale des événements nucléaires (Ines), il s’agit du troisième plus grave accident nucléaire de l’histoire après Tchernobyl et Fukushima, classés au niveau 7.

Il a pourtant fallu attendre près de vingt ans pour que les premières informations sur cette catastrophe soient révélées. Dans un article publié dans la revue New Scientist en 1976, le biochimiste soviétique Jaurès Medvedev, dissident exilé au Royaume-Uni, évoquait une explosion nucléaire dans la région de Kychtym, seule ville à proximité du complexe nucléaire apparaissant sur les cartes de l’époque.

Il publia un livre plus détaillé sur ses recherches trois ans plus tard, en 1979, Nuclear Disaster in the Urals (traduit en français en 1988, Désastre nucléaire en Oural, aux Éditions Isoète). Presque dix ans se sont écoulés avant que l’Académie soviétique des sciences reconnaisse officiellement l’accident en 1988.

C’est une défaillance du système de refroidissement de l’une des cuves de déchets qui causa l’explosion. Cette cuve contenait 70 à 80 tonnes de liquides hautement radioactifs qui ont été projetés en l’air. Si 90 % retombèrent à proximité immédiate du site de Mayak, l’explosion entraîna la formation d’un panache radioactif, dérivant vers le Nord-Est. « Des centaines de personnes ont été tuées et des milliers ont été contaminées par les radiations », estimait Jaurès Medvedev dès 1976.

En 1957, les autorités soviétiques prirent la décision de garder le secret sur la catastrophe. Ils mirent six jours avant d’évacuer les zones les plus exposées et ne donnèrent pas d’explication aux habitants. Au cours des deux années suivant la tragédie, 10 000 personnes d’une vingtaine de villages furent ainsi déplacées. D’autres, comme celui de Tatarskaya Karabolka, pourtant dans la zone irradiée, ne furent pas évacués, sans qu’aucune raison logique puisse expliquer cette décision.
Rapidement, les premières victimes des radiations sont apparues, mais il était interdit aux médecins d’en parler dans les rapports médicaux.

Une contamination durable

La construction du site de Mayak a été décidée à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Union soviétique voulait se doter de la bombe nucléaire. Au milieu de la forêt sibérienne, à 70 kilomètres au nord de Tcheliabinsk (la ville la plus importante et la proche du site), le complexe nucléaire dédié à la fabrication de plutonium vit le jour en 1948.
Parallèlement, une ville secrète baptisée Tcheliabinsk-65, puis Tcheliabinsk-40, était créée à proximité du site pour accueillir les travailleurs, avec des restrictions d’accès. Elle fut renommée Oziorsk en 1994.

L’entrée de l’« entité territoriale administrative fermée » d’Oziorsk, en 2007.

« Les dirigeants considéraient Mayak comme le pivot central pour empêcher les États-Unis d’attaquer l’URSS. Ils construisaient cette bombe pour protéger le socialisme et voulaient réussir quoi qu’il arrive », dit à Reporterre Jan Haverkamp, expert en énergie nucléaire à Greenpeace et auteur d’un rapport sur la catastrophe publié en 2017.

Dans les premières années, les conditions de travail sur le site étaient effroyables. En outre, le complexe nucléaire était exploité sans porter attention ni aux habitants ni à l’environnement local. Au début, les déchets radioactifs issus de la fabrication du plutonium étaient directement déversés dans la rivière Tetcha, puis ils furent stockés dans des réservoirs entreposés dans le lac Karatchaï, qui fut ensuite asséché. Ces pratiques et la catastrophe de 1957 ont entraîné une contamination durable du territoire et de sa population, avec de graves conséquences sanitaires et environnementales.

« Les habitants de la région ont tous souffert des radiations. »

Dans le village de Muslimovo, situé à 30 kilomètres de Mayak, le nombre de cancers est aujourd’hui encore 3,6 fois plus élevé que dans le reste de la Russie et les anomalies génétiques 25 fois, selon le rapport de Greenpeace. « J’ai vécu à côté de la rivière Tetcha, je me baignais dedans. Personne ne disait rien de spécial car il était interdit de parler », témoigne Roustam Khassanov, 46 ans, joint au téléphone par Reporterre. Cet ancien habitant de Muslimovo a fondé une ONG locale qui soutient les victimes des radiations.

« Nous fournissons une aide aux habitants de la région, qui ont tous souffert des radiations. Les autorités ne font rien pour améliorer leur vie. Elles ne font que l’empirer. »

Une réserve d’État de l’Oural oriental a été créée en 1966 après l’accident.

En 2006, un programme de relogement a été proposé aux habitants de Muslimovo. Mais tous n’ont pas pu en profiter, et le nouveau village a été construit juste à côté de l’ancien. « Concernant la rivière, rien n’a changé, le bétail continue de paître sur les bords de la Tetcha », précise Roustam Khassanov.

Et Mayak contamine toujours la rivière avec des substances radioactives, selon Greenpeace. Exploité par la société d’État russe Rosatom, le site sert aujourd’hui au retraitement du combustible nucléaire usé, dont une part importante provient de pays étrangers. La ville d’Oziorsk, qui compte 80 000 habitants environ, demeure soumise à un régime spécial en raison de l’existence du site de Mayak. Comme une vingtaine d’autres villes en Russie, elle est fermée aux non-résidents.

20 000 personnes officiellement affectées

Autour de cet immense complexe, la culture du secret reste forte. En 2017, une émission dans l’atmosphère de ruthénium-106, un gaz radioactif non présent à l’état naturel, a été observée en Europe. Bien que toutes les investigations ont conclu que la source était localisée dans la zone de Mayak, Rosatom affirme qu’aucun incident ne s’est produit sur ses installations.

Pour Jan Haverkamp, cette attitude de déni est très inquiétante, car en cas d’accident, elle ralentit la prise de décisions appropriées. « Le problème est que les fidèles au nucléaire font tout pour empêcher la diffusion d’informations négatives, c’est devenu une sorte de religion. »

Aujourd’hui, « jusqu’à 20 000 personnes sont officiellement considérées comme ayant été affectés par les conséquences de la catastrophe de 1957 et des activités de Mayak », indique Greenpeace dans son rapport, en précisant toutefois que la commission médicale mise en place pour évaluer le lien entre les effets sur la santé et l’exposition aux rayonnements « ne travaille plus depuis 2016 en raison de manque de fonds ».

Construction du site d’entreposage des déchets nucléaires de Mayak (date inconnue).

Pourtant, soixante ans après cette tragédie, de nouveaux malades apparaissent tous les jours. Petite-fille d’une ingénieure chimiste de Mayak décédée d’un cancer du système lymphatique, l’avocate russe Nadezhda Kutepova se bat depuis des années pour faire reconnaître le droit des victimes et a déjà gagné plusieurs procès devant la justice.

Contrainte de s’enfuir en France en 2015 (Reporterre l’avait rencontrée en 2016), cette ancienne habitante d’Oziorsk défend notamment des descendants d’habitants de la région. « Elle a mis au jour des effets transgénérationnels des radiations. C’est une découverte très préoccupante », souligne Jan Haverkamp, qui plaide pour une suppression progressive des installations nucléaires.

En 1989, Reporterre avait livré les premières informations en France sur la catastrophe de Kychtym.


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