En Pologne, un front commun des professionnels de la santé. « La santé publique agonise ! »

mardi 14 septembre 2021
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Source : le courrier d’Europe centrale
Société

En Pologne, un front commun des professionnels de la santé. « La santé publique agonise ! »

13 septembre 2021 par André Kapsas | Pays : Pologne

Cette fois, les diverses professions du secteur de la Santé résistent aux tentatives du gouvernement de scinder leur front commun pour de meilleures conditions de travail. Reportage à Varsovie.

« La santé publique agonise »,

« Nos problèmes sont les problèmes des patients »,
« Attention ! Les autres pays n’attendent que les infirmières polonaises »,
pouvait-on lire sur les pancartes des dizaines de milliers de manifestants à Varsovie ce samedi.

Venue de toutes les régions du pays, la foule composée majoritairement de travailleuses de la santé a exprimé son ras-le-bol avec ses conditions de travail.

Manque de personnel, salaires stagnants, contrats précaires, bureaucratisation : le système de santé public polonais est à bout de souffle après des années de négligence et deux vagues pandémiques mortelles.

Selon les organisations syndicales à l’origine de la manifestation, ils étaient de 30 à 40 000 à défiler devant diverses institutions du centre de la capitale, pour finalement s’arrêter devant le bureau du premier ministre Mateusz Morawiecki. Avec les équipes d’ambulanciers faisant retentir leurs bruyantes sirènes manuelles portatives, toute la ville a pu entendre la colère d’un secteur qui n’en peut plus. « Monsieur le premier ministre, vous avez tout fait, et même encore plus, pour pousser les travailleurs de la santé à la limite du supportable », a lancé Dorota Gardias, infirmière et meneuse syndicale depuis la scène mobile à la fin de la manifestation.

Âge moyen : 53 ans

Le président de l’Ordre général des médecins, Artur Drobniak, a résumé la situation catastrophique en quelques chiffres cinglants. Seuls 6% des travailleurs polonais sont employés dans le secteur de la santé, contre 10 à 15% en Europe de l’Ouest, et même 15 à 20% en Scandinavie, un chiffre qui n’a pas bougé depuis 2001, a-t-il rappelé à la foule. En plus d’avoir une société qui vieillit, le personnel médical vieillit lui aussi, a déploré le Dr Drobniak : « L’infirmière a en moyenne 53-54 ans. Le médecin 51 ans. Un médecin sur huit a plus de 70 ans. Ce sont des données officielles. »

« Le travailleur de la santé vit 20 ans de moins que le Polonais moyen », s’est insurgée la présidente de l’Ordre général des infirmières, Zofia Małas.

Relayant la voix de ses consœurs et confrères, elle a fait la demande au gouvernement de les traiter avec respect et de négocier : « Nous voulons un dialogue, mais un dialogue constructif. Nos demandes sont les demandes de toute la société. » « Nous essayons de toutes nos forces, mais elles ne suffisent pas toujours. Nous sommes fatigués. Le service de santé polonais agonise », a-t-elle conclu son discours. Maciej Krawczyk, président de l’Ordre régional des physiothérapeutes, a interpellé le premier ministre avec amertume : « Depuis 30 ans, depuis l’époque socialiste, nous sommes considérés comme des déchets. Nous sommes la main-d’œuvre la moins chère de Pologne. »

Le 11 septembre 2021 à Varsovie. @André Kapsas

Travailleurs unis

En plus des infirmières et des médecins, les autres travailleurs de la santé se sont aussi mobilisés, faisant preuve d’une rare unité face à la gravité de la situation. Par le passé, les différents métiers ont souvent poursuivi des intérêts différents. Cette fois-ci, il semble y avoir une plus grande solidarité entre les travailleurs afin d’empêcher le gouvernement de diviser pour mieux régner. Ainsi, plutôt que d’accepter l’offre du ministère de la Santé de rencontrer les ordres séparément, les organisations syndicales et professionnelles réunies sous la bannière du Comité polonais de grève et de protestation des travailleurs de la santé ont insisté pour être tous ensemble à la table des négociations.

Dans la région de Białystok, 130 ambulanciers ont remis leur démission et la moitié de la région risque de se retrouver sans ambulance.

De fait, les problèmes rencontrant les différents métiers diffèrent. Ainsi, les ambulanciers ne sont même pas considérés comme un ordre professionnel et ils sont donc directement embauchés par les hôpitaux, avec des salaires et des conditions de travail non régulées, ce qui se traduit souvent par des contrats précaires de travailleurs indépendants, une pratique illégale mais largement répandue en Pologne.

Au cours des dernières semaines, les ambulanciers ont été les plus actifs, avec des démissions en masse dans certaines villes, où la capacité de répondre aux appels d’urgence en vient même à être menacée. Ainsi, dans la région de Białystok, 130 ambulanciers ont remis leur démission et la moitié de la région risque de se retrouver sans ambulance.

Outre des augmentations salariales, les protestataires réclament des embauches supplémentaires et une reconnaissance des métiers comme celui des ambulanciers ou des travailleurs de laboratoire.

Alors que le gouvernement accuse les travailleurs d’être trop gourmands, ceux-ci rappellent qu’ils ne demandent pas des salaires allemands, mais qu’ils exigent de gagner la même chose que leurs collègues allemands proportionnellement au salaire national moyen.

@André Kapsas

Irréalistes, dit le gouvernement

Du côté du gouvernement mené par les nationalistes conservateurs du PiS, il ne semble pas y avoir de véritable volonté de négocier pour le moment.

Après avoir traîné les pieds, le ministre de la Santé, Adam Niedzielski, a reçu des représentants du mouvement, mais la rencontre n’a duré qu’une vingtaine de minutes, le premier ministre n’y ayant pas participé comme le réclamait le Comité.

À la sortie de la rencontre, le ministre Niedzielski a énuméré aux médias les coûts des demandes et a argué que « leur proposition ne montre aucun signe de sérieux ».

Après la manifestation, il a déclaré aux médias pro-gouvernementaux que le Comité ne représentait pas tout le secteur et a dénoncé une « politique de chantage », tout en se disant ouvert à des pourparlers.

Selon l’Agence de presse polonaise PAP relayant les propos d’une source de l’entourage du premier ministre, « les demandes des professionnels de la santé sont irréalistes. Tant qu’ils ne seront pas plus réalistes, le premier ministre ne rencontrera pas les manifestants. »

Ce lundi, le ministre Niedzielski les a invité à s’asseoir avec lui demain après-midi, mais sans le premier ministre.

Il a reçu une fin de non-recevoir du Comité, qui a réitéré sa condition.

« Le secteur de la santé polonais agonise : soit vous l’achevez, soit vous le sauver, » ont-ils répondu au ministre les protestataires, selon Gazeta Wyborcza.

Pendant que le gouvernement semble vouloir camper sur ses positions et fatiguer le mouvement, le comité continue sa mobilisation sous les fenêtres du premier ministre, où il a installé un « Village blanc 2.0 ».

Sous une tente, les travailleurs invitent les citoyens à venir les soutenir et à discuter des problèmes du secteur de la santé, une répétition de la mobilisation de 2007 sous le premier gouvernement du PiS.

Les travailleurs de la santé promettent d’y rester jusqu’à la satisfaction de leurs demandes et envisagent d’autres actions.

Ainsi, le bras de fer risque de durer, mettant possiblement à mal le discours social d’un gouvernement qui en a déjà beaucoup sur les bras, entre les tensions avec Bruxelles et la gestion des demandeurs d’asile à la frontière polono-bélarusienne.

Thèmes : Mouvement social, Santé, une, Varsovie
André Kapsas
Correspondant basé à Prague
A étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l’Université Charles (Prague) et au Collège d’Europe (Varsovie). Spécialiste de l’Europe Centrale et de l’ex-Union Soviétique.


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