Sur le plateau des Glières, ils ont repris le maquis. En 1944, le programme des "jours heureux". Aux Glières, résister
 se conjugue au présent.

mardi 18 mai 2010
par  onvaulxmieuxqueca
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Dimanche 16 mai 2010 (dans le froid)

Reportage
Sur le plateau des Glières, ils ont repris le maquis
LE MONDE | 17.05.10 | 18h56
Plateau des Glières (Haute-Savoie)

De temps en temps, il neigeote. Pour un 16 mai, il fait un drôle de
froid, ce dimanche matin, sur le plateau des Glières. Pourtant, 3000
personnes, venues surtout de Haute-Savoie, mais aussi de Dunkerque,
d’Angers, de Montpellier ou d’ailleurs, sont là, immobiles. Comme
sorties de nulle part, sans banderoles ni tracts, elles écoutent,
debout, des résistants d’hier et d’aujourd’hui.
Parmi ceux d’hier, Walter Bassan. Walter a 83 ans et il "ne pensait pas
que [sa vie] finirait comme ça". Il préfère aller ramasser des
champignons "plutôt que pavaner sur une estrade". Mais pour la quatrième
année consécutive, le voilà à la tribune, répétant son message et celui
de ses amis : la Résistance avait certes pour objet la libération de la
France, mais elle avait aussi un projet de société, et il serait bon de
s’en inspirer à nouveau.
C’est par lui que tout a commencé, le 4 mai 2007. Ce matin-là, en
écoutant France Inter, Walter Bassan, qui a passé onze mois au camp de
Dachau quand il avait 17 ans, apprend la venue de Nicolas Sarkozy, le
jour même, sur le plateau des Glières. Ce haut lieu de la Résistance a
été le théâtre, en mars 1944, du premier grand combat entre nazis et
maquisards ; 129 d’entre eux ont été tués.
Un cadre idéal pour le candidat Sarkozy, à deux jours du deuxième tour
de l’élection présidentielle et à quelques heures du dernier "20 heures"
de la campagne. Les résistants n’ont pas été invités. Seuls des élus UMP
et, surtout, des dizaines de journalistes, assistent à cette visite
improvisée. A l’issue de la mise en scène, le candidat promet qu’il
reviendra chaque année s’il est élu. Le plateau des Glières sera à
Nicolas Sarkozy ce que la roche de Solutré fut à François Mitterrand.
Ulcéré, Walter Bassan appelle ses amis ; eux aussi sont en colère contre
cette "instrumentalisation de l’histoire". Puis il passe un coup de fil
à Gilles Perret, un réalisateur qui habite dans son village et qui,
justement, a entrepris, quelques mois plus tôt, le tournage d’un
documentaire sur le programme du Conseil national de la Résistance. Le
soir même, ce petit groupe envoie un communiqué à la presse –"M. Sarkozy
ne sert pas la mémoire des Glières et de la Résistance, M. Sarkozy se
sert des Glières"– et annonce l’organisation d’un pique-nique "citoyen"
sur le plateau, le dimanche suivant l’élection.
Surprise ! Malgré le silence des médias, grâce à Internet, près de 1 500
personnes sont là. Walter Bassan leur lit un texte qui a été diffusé
trois ans plus tôt, le 8 mars 2004, par treize grands noms de la
Résistance – dont certains aujourd’hui disparus –, Daniel Cordier,
Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Germaine Tillion, Lucie et
Raymond Aubrac, etc.
Selon eux, "le socle des conquêtes sociales de la Libération"est"remis
en cause". La"menace du fascisme n’a pas totalement disparu et notre
colère contre l’injustice est toujours intacte" écrivent-ils, en
appelant les jeunes générations à "trois gestes humanistes et
profondément politiques au sens vrai du terme" : la célébration de
l’anniversaire du programme du Conseil national de Résistance (CNR)
adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 ; la définition d’un
nouveau programme de résistance pour le XXIe siècle ; une "véritable
insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse, qui
ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation
marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie
généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous".
Stéphane Hessel et Raymond Aubrac deviendront les parrains de ce
"contre-pèlerinage" du plateau des Glières qui, chaque année, prend un
peu plus d’importance. Le collectif informel des débuts est devenu une
association, Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui
(www.citoyens-resistants.fr). Instituteurs, ingénieurs, ouvriers,
retraités… Ses membres sont presque tous d’anciens militants de gauche,
des déçus du Parti communiste (Walter Bassan y est toujours), d’Attac,
mais pas seulement. Parmi les dizaines de bénévoles qui contribuent ce
dimanche à l’organisation du rassemblement, il y a même un électeur de
Nicolas Sarkozy. "Ça me parle, ces valeurs, dit-il, le programme du CNR
n’est pas de gauche. Il y a énormément de gens de droite scandalisés par
la démolition des services publics." "On est des petits militants de
province, explique Didier Magnin, moi je suis kiné dans un centre
d’handicapés mentaux profonds et je me suis retrouvé président de cette
association. C’est une aventure magnifique." De locale, la participation
est devenue nationale.
En novembre 2009 est sorti le documentaire que Gilles Perret
entreprenait avant la première visite de Nicolas Sarkozy, et qui est
devenu Walter, retour en résistance (www.walterretourenresistance.com) ;
30 000 personnes ont vu le film dans des salles d’art et essai. Et
notamment cette scène où le président de la République se rend, le 18
mars 2008, au cimetière de Morette, où sont enterrés 105 combattants, et
blague, hilare, en ne parlant que de lui et de sa femme (voir la
bande-annonce ci-dessous).
Fidèle à sa promesse, Nicolas Sarkozy est revenu cette année, le 8
avril. Les invitations, pour le public, étaient à retirer à la
permanence départementale de l’UMP, à Annecy. Dans Le Dauphiné libéré,
le 13 mai, trois jours avant la contre-manifestation, le général
Jean-René Bachelet, président de l’association des Glières,
s’insurgeait : "On peut être contre un gouvernement, mais pas là-haut,
c’est indécent." Réponse du réalisateur Gilles Perret, deux jours plus
tard, dans le quotidien régional : "Il n’y a pas d’attaques contre les
personnes, mais contre une politique qui attaque de façon vive le
programme du CNR. On a fait des résistants des icônes, mais on a oublié
leur projet !"
Les organisateurs l’admettent : ils ont, entre eux, "des débats très
âpres". Qui fallait-il inviter ? Cette année, ce fut le magistrat Serge
Portelli, un représentant des Robin des bois – ces agents EDF qui
rebranchent l’électricité aux démunis –, Odette Nilès, qui fut l’amie de
Guy Môquet en prison – avant que celui-ci soit fusillé, en 1941 –, le
docteur Didier Poupardin, poursuivi pour ne pas respecter les consignes
de la Sécurité sociale.
Autre sujet de débat : faut-il élargir le cercle ? "On a des demandes de
partout", raconte le président de l’association, Didier Magnin, pour qui
l’objectif est clair : il s’agit de mobiliser les syndicats, les partis,
les associations, autour d’une adaptation du programme du CNR aux
problématiques du XXIe siècle
"Sur l’idée qu’il ne faut pas politiser l’association, on est tous
d’accord, assure l’un des fondateurs, Rémi Pergoux, qui se présente
toujours comme instituteur alors qu’il est à la retraite. Sur
l’antisarkozysme, nous freinons. Et je vous fiche mon billet qu’après
2012 nous continuerons."
*/
Marie-Pierre Subtil/*
*
En 1944, le programme des "jours heureux"*

L’ex-vice-président du Medef, Denis Kessler, évoquait dans le magazine
Challenges du 4 octobre 2007 la liste des réformes programmées par
Nicolas Sarkozy : "C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place
entre 1944 et 1952, sans exception. Il s’agit aujourd’hui de sortir de
1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la
Résistance."
Mis en place par le général de Gaulle en 1943, le Conseil national de la
Résistance (CNR) rassemblait, outre la Résistance armée, les principaux
partis politiques de droite et de gauche, et deux syndicats. Son
programme, élaboré en neuf mois dans la clandestinité, portait non
seulement sur la libération, mais aussi sur la société, plus juste, dont
rêvaient les résistants. Il jetait les bases du modèle social à venir,
avec la Sécurité sociale, les retraites, les services publics, la
liberté de la presse, le droit du travail, etc.
Ce texte, très court, vient d’être publié aux éditions La Découverte,
agrémenté de contributions d’historiens et de journalistes, qui
racontent l’élaboration de chaque réforme au sortir de la guerre, et son
évolution jusqu’à nos jours. Le livre, réalisé avec l’association
Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui (CRHA), est intitulé Les
Jours heureux (195 pages, 14 euros).
L’historien Olivier Vallade raconte que 200 000 brochures du programme
avaient été tirées à Toulon en mai 1944 avec, en page de garde, Les
Jours heureux par le CNR. Un titre inspiré d’un film éponyme, réalisé en
1941 par Jean de Marguenat, lui-même tiré d’un très grand succès
théâtral datant de 1938.
Le monde a changé, admet l’association dans l’ouvrage, il n’est plus
possible d’avoir une vision centrée sur la France. Mais, écrit-elle, "on
ne peut pas, comme le pouvoir du jour, justifier tous les renoncements,
tous les démantèlements, par la mondialisation et la nécessité qui
ferait loi d’assurer la "compétitivité" de l’"entreprise France"."
Ce qui était possible il y a soixante-cinq ans, alors que la France
était ruinée, l’est encore de nos jours. Tel est le credo de ces
"résistants d’hier et d’aujourd’hui", qui notent que, "en 1944 aussi,
nombre de choses paraissaient insurmontables."

Huma
Politique
Aux Glières, résister
se conjugue au présent
Sur l’ancien haut lieu de la Résistance armée en Haute-Savoie, 3 000 personnes défendent le modèle social issu du Conseil national de la Résistance. Et appellent à renouer avec ses promesses de 
« jours heureux ».
Plateau des Glières (Haute-Savoie), envoyé spécial. En tant que chef de l’État depuis 2007, Nicolas Sarkozy aurait donc le droit de piétiner, un jour par an, lors d’un pieux « pèlerinage », la mémoire des résistants, multipliant les saillies déplacées au cœur de la nécropole nationale de Morette, sur le plateau des Glières. Les autres jours de l’année, le président de la République aurait la permission d’accélérer le travail de sape contre les conquêtes sociales issues du programme du Conseil national de la Résistance (CNR). Malgré les pressions de la droite et le boycott de la presse locale, en dépit des tentatives d’intimidation contre les figures de la Résistance qui le parrainent, le rassemblement, organisé à la mi-mai depuis 2007 par une poignée de militants haut-savoyards, s’élargit chaque année. Hier, au cœur de ce maquis à 1 500 mètres d’altitude, par une température de deux degrés, 3 000 citoyens venus des environs comme de tout le pays, sans badges ni banderoles, ont écouté pendant deux heures et demie un beau plateau de « résistants d’hier et d’aujourd’hui », selon l’expression qui sert de nom au comité organisateur.
les valeurs de la Révolution
Odette Nilès, amie de Guy Môquet, résistante et présidente de l’amicale de Châteaubriant, invite à « faire nôtre cette phrase de Lucie Aubrac : “Résister se conjugue au présent.” ». Membre des bataillons FTP-MOI à Lyon, Léon Landini s’élève contre 
« tout ce qui peut porter atteinte aux acquis mis en place lors de l’application du programme du CNR », contre cette « destruction systématique effectuée au nom d’une Europe que 55 % des Français ont rejetée en mai 2005 ». Après Didier Poupardin, médecin de quartier à Ivry, refuznik de la santé à l’économie sur le dos des malades les plus pauvres, ou encore Dominique Liot, « Robin des bois » à ErDF en Midi-Pyrénées, le magistrat Serge Portelli, membre de l’Appel des appels, décrit une situation où « nous ne sommes plus dans une démocratie, pas dans un État autoritaire, mais dans un État limite » : « Il y a aujourd’hui une haine de notre passé : ce n’est pas simplement Mai 68 dont on ne peut plus parler, ce sont les valeurs, effectivement, de la Résistance et même au-delà, les valeurs de la Révolution et celles des Lumières. » Pilier de l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, avec le résistant Walter Bassan et le réalisateur Gilles Perret (1), Didier Magnin appelle, en référence au modèle du CNR, à « réinventer notre modèle social » : « Aujourd’hui, résister est une nécessité impérieuse, mais résister ne suffira pas pour tracer un avenir meilleur : il faut appeler à constituer un programme politique, social du XXIe siècle, à construire une nouvelle utopie réaliste ! »
Thomas Lemahieu
(1) L’Humanité reviendra sur l’expérience citoyenne et politique que l’association est en train d’ouvrir.


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