Réforme ferroviaire : l’Allemagne n’est pas un modèle

dimanche 17 juin 2018
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Reporterre

Réforme ferroviaire : l’Allemagne n’est pas un modèle

14 juin 2018 / Vincent Doumayrou

Alors que la loi « réformant » la SNCF doit être adoptée ce jeudi par le Sénat, l’auteur de cette tribune explique pourquoi le modèle ferroviaire allemand — loin d’être idéal — n’est pas transposable à la France, notamment du fait du manque de considération des élites françaises pour ce mode de transport.

Vincent Doumayrou est l’auteur de La Fracture ferroviaire, pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer, préfacé par Georges Ribeill, Les Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007. Il anime également un blog.


Le gouvernement, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), diverses parties prenantes et observateurs louent la réforme ferroviaire allemande de 1994, qui a notamment organisé l’arrivée de la concurrence : elle aurait créé un cercle vertueux et permis la croissance ferroviaire à moindre coût pour le contribuable.

Les chemins de fer allemands méritent-ils tant d’honneur ?

Je voudrais tenter de répondre comme observateur de la chose ferroviaire, comme germaniste et comme abonné ferroviaire dans les deux pays (Bahncard 25 chez Deutsche Bahn [DB], Carte week-end chez SNCF).

Il est vrai qu’aujourd’hui, 25 ans après la Bahnreform, le paysage ferroviaire allemand apparaît beaucoup plus dynamique que son homologue français.

Il convient cependant de nuancer le propos et de pousser plus loin l’analyse, car ce n’est pas forcément dû à la concurrence.

Le dynamisme du transport régional en Allemagne tient à une tradition politique

La SNCF comme la DB exploitent un réseau de trains de grandes lignes ou Fernverkehr (en France, le TGV ; en Allemagne, le train classique Intercity et le train à grande vitesse ICE) selon une logique commerciale.

L’Allemagne a fait le choix d’une grande vitesse graduée  : les villes intermédiaires, même de taille très moyenne, restent desservies par les trains de long parcours. La grande vitesse n’est vue que comme l’élément de la globalité du service : qualité des correspondances, confort à bord, cadencement, effet de réseau, etc.

Dans ces conditions, le voyageur ne bénéficie pas toujours de temps de parcours attractifs et, pour relier Hambourg et Munich, il faut presque 6 heures de train.

De plus, les trains de grandes lignes allemands ont une ponctualité déplorable, le prix du billet est souvent élevé, bien que les enfants ayants droit voyagent gratuitement et que les abonnements soient beaucoup moins chers qu’à la SNCF.

Cependant, l’ICE est un train spacieux et confortable, accessible sans réservation obligatoire, doté d’une voiture-restaurant, avec une tarification lisible et un marketing moins tapageur (pas de « oui.deutschebahn »).

Il s’agit d’un concept de train classique accéléré, alors que le TGV est un concept d’avion sur rail.

Par ailleurs, les opérateurs de trains de grandes lignes concurrents de la Deutsche Bahn ont une part de marché de 1 %, la concurrence ne joue donc qu’un rôle résiduel.

Les Länder sont les autorités organisatrices du transport régional (Nahverkehr) et peuvent mettre les exploitants en concurrence.

Pays très urbain, l’Allemagne a mis en place des réseaux RER (S-Bahn) dans une quinzaine de villes, souvent de très longue date : depuis 1972 à Munich par exemple.

Le dynamisme du transport régional en Allemagne tient donc à une tradition politique  : la concurrence a débuté sur une base beaucoup plus favorable que dans la France d’aujourd’hui. Les régions même les moins peuplées bénéficient d’une offre ferroviaire développée, comme le massif montagneux du Harz.

Quant au transport de marchandises, la part de marché du train est de 17 % en Allemagne contre 10 % en France ; pour les acheminements de conteneurs, elle s’établit à 47 % au port de Brême contre 3 % au port du Havre (en 2013).

Le fossé s’explique non par la concurrence, puisque celle-ci est en vigueur dans les deux pays, mais par la sociologie : l’existence en Allemagne d’un tissu de petites et moyennes entreprises (PME) — le Mittelstand — qui a logiquement engendré un réseau de quelque 300 PME de fret ferroviaire.

En France au contraire, aucun opérateur n’a les reins assez solides pour reprendre les trafics abandonnés par la SNCF. Depuis 2000, Fret SNCF a perdu les 2/3 de son trafic tout en restant déficitaire : les marchandises sont parties, les déficits sont restés.

La vision d’une SNCF devenue un Facebook de la mobilité

Un autre facteur tient à l’idéologie des élites françaises, notamment à leur dédain pour les activités industrielles et assimilées.

L’entreprise sans usine annoncée par un dirigeant d’Alcatel il y a quinze ans donne logiquement un pays sans voies ferrées.

M. Macron, cité par Le Monde, a lui-même déclaré que « beaucoup ont encore le sentiment […] que la fierté de SNCF, c’est d’avoir de beaux trains, de belles gares et des infrastructures. Ce n’est pas vrai. Ce sont les voyageurs, les chargeurs, les données les concernant qui ont de la valeur dans cette entreprise ».

Certes, mais en même temps, sans infrastructure, il paraît compliqué d’avoir des voyageurs et des chargeurs. Cette vision d’une SNCF devenue un Facebook de la mobilité, avec à la clef un métier ferroviaire en déclin, apparaît consensuelle dans les milieux dirigeants.

Vision rabougrie du rôle du rail, déliquescence de nombreux points du réseau, ces deux dynamiques se nourrissent l’une l’autre, et rendent très improbable une dynamisation du trafic à l’allemande : à quoi bon mettre le premier violon en concurrence, si les murs de la philharmonie s’écroulent et que le chef d’orchestre n’a pas envie de faire de musique ?

Le point à imiter de l’Allemagne n’est pas la mise en concurrence, mais la culture ferroviaire très développée chez les décideurs et dans toutes les couches sociales du pays, et la fierté d’avoir de beaux trains.


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