Crise, corruption, austérité : la Slovénie descend dans la rue

mercredi 23 janvier 2013
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Le Courrier des Balkans

Osservatorio sui Balcani

Crise, corruption, austérité : la Slovénie descend dans la rue

Traduit par Mandi Gueguen

Publié dans la presse : 18 janvier 2013
Mise en ligne : mercredi 23 janvier 2013

Mercredi 23 janvier, les Slovènes descendent dans le rue pour protester contre les politiques d’austérité imposées par le gouvernement conservateur de Janez Janša, mais aussi pour dénoncer les scandales financiers qui frappent la classe politique slovène. Autrefois « bon élève des Balkans », la Slovénie est au bord de l’implosion.

Par Franco Juri

Où est passée la proverbiale tranquillité de la Slovénie ? Depuis plusieurs semaines, les Slovènes manifestent et le 23 janvier, le secteur public se mettra en grève.

Encore récemment, la Slovénie brillait par ses succès, dans une Europe prompte à en faire un exemple pour les Balkans.

L’enchantement a pris fin avec la crise politique enclenchée par la crise économique et les choix « merkeliens » du gouvernement de centre droite dirigé par Janez Janša. Plus insidieusement que son prédécesseur de centre gauche, Borut Pahor, le gouvernement actuel assume des penchants plutôt inquiétants, mais qui reflètent au fond, sur un petit territoire politiquement incestueux, les objectifs de la « révolution » conservatrice et néolibérale en cours dans l’Union européenne.

Différente de la Grèce, en termes de paramètres économiques et sociaux, la Slovénie, au cours des vingt dernières années, ne faisait pas partie de cette Europe post-soviétique, prompte à régler ses comptes avec son passé communiste.

Car les pays d’Europe de l’Est ont opté pour des modèles économiques brutalement capitalistes, impitoyables pour la protection sociale et les droits syndicaux, vus comme des écueils dangereux pour le développement et la prospérité.

La Slovénie, en revanche, avait progressivement introduit l’économie de marché, en évitant les modèles excessivement libéraux et en maintenant à un niveau enviable de son État providence, s’approchant, pour beaucoup du modèle « scandinave ».

La privatisation a été réalisée de manière sélective, elle n’a pas touché les grandes sociétés d’État, les infrastructures, les écoles, le système de la santé.

Le principe de « l’intérêt national », même durant les privatisations, a rendu possible la préservation d’une structure publique qui protège le système social et une certaine équité pour les citoyens. Cependant, le fait que le capital privé reste entre des mains slovènes n’a pas interdit le clientélisme politico-financier et une corruption diffuse.

Bien des entreprises publiques sont ainsi passées aux mains de managers nationaux peu scrupuleux, comme certains anciens directeurs d’entreprises publiques liés à des partis politiques. Certains anciens ministres ont utilisé leurs amitiés et leurs accointances politiques pour obtenir des crédits, souvent gratuits, offerts par les banques d’État. Ils ont ainsi acheté la plupart des actions, et spéculé allègrement jusqu’à la ruine ou à la revente factice de sociétés compétitives à de nouveaux propriétaires étrangers.

Aux yeux de l’opinion publique, la politique et la démocratie parlementaire sont ainsi de plus en plus perçues comme une infrastructure au service de la corruption et du clientélisme. C’est ce qui a déclenché la désillusion de ces derniers mois, et qui fait descendre dans les rues des milliers de Slovènes en colère. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et qui rapproche la Slovénie du scénario grec, est la politique d’austérité radicale imposée depuis un an par le gouvernement de Janez Janša.

Comme s’il voulait mettre en œuvre la « doctrine du choc » décrite dans le livre homonyme de Naomi Klein, cet ancien communiste, est devenu à la fin des années 1980 un « héros » de l’indépendance et un irréductible nationaliste conservateur. Inspiré par son collègue et ami hongrois Victor Orban, il a réussi à obtenir son deuxième mandat de Premier ministre (le premier mandat de 2004-2008 s’était soldé par un échec électoral), grâce à un programme apocalyptique. L’actuel Premier ministre et son appareil ont réussi à bloquer toutes les réformes structurelles du gouvernement Pahor, en exploitant autant l’opposition que la « société civile ». Il en fut ainsi de la réforme des retraites et même de l’économie informelle.

Finalement, le gouvernement a été déstabilisé, il n’a pas remporté les élections anticipées seul, mais grâce à un nouveau protagoniste politique, la Liste civique de Gregor Virant, un parti à forte inspiration néolibérale. Janez Janša a ainsi pu, en fin stratège, être élu Premier ministre d’une coalition de centre droite, avec le soutien de l’Église catholique.

En plus de l’ambigu Virant, présenté aux élections anticipées de 2011 comme une alternative libérale « propre » à Janez Janša, le Parti démocrate des retraités slovènes (DeSUS), présent dans toutes les coalitions, a aussi pesé dans la balance.

Aujourd’hui, Janez Janša propose des réformes très dures, accompagnées de restrictions des libertés démocratiques et d’un renforcement de l’appareil répressif. Son « Chicago boy », le ministre du Trésor, Janez Šušteršič (de la Liste civique de Virant) est déterminé à appliquer un plan de libéralisation et de privatisation du secteur publique, semblable à celui mis en œuvre en Amérique latine dans les années 1980-1990.

Ce modèle est marqué par un retrait rapide de l’État du secteur économique, qui passe par une centralisation transitoire du patrimoine public, dont la gestion était jusqu’ici assurée par trois agences para-étatiques.

La nouvelle structure serait une holding capable de concentrer tous les biens de l’État dans les mains du gouvernement. Dans son projet libéral, Janez Šušteršič compte sur le soutien des institutions financières européennes et internationales.

Ces dernières critiquent toutefois les méthodes discutables utilisées pour imposer ces réformes, qui engendrent des conflits sociaux et des crises politiques inconnus en Slovénie. C’est ce qui vaut à Janez Janša sa réputation de « tête brûlée » de la politique.

En réalité, la Slovénie est loin d’être comparable à la Grèce, elle peut encore afficher des paramètres macro-économiques pas si éloignés des moyennes européennes et de pays dont l’économie est considérée stable.

Par exemple, sa dette publique atteint les 44.4% du PIB, alors que la moyenne de la zone euro – selon Eurostat – est de 87.4% et celle de l’Italie de 119.4%.

L’inflation et le chômage se situent autour des moyennes de la zone euro, le déficit en revanche, tend à augmenter et atteint actuellement 6.4% du PIB.

Selon le gouvernement, la réduction drastique des dépenses publiques est inévitable, malgré les avis des spécialistes, qui craignent l’impact de cette mesure sur la classe moyenne.

Les réductions des salaires, des retraites, les licenciements et l’augmentation du chômage, surtout chez les plus jeunes, mettent à genoux le service publique et le marché intérieur.

L’effet obtenu ne devrait pas être si différent de celui observé durant le période Menem en Argentine. Le développement se paralyse, le pays se démoralise et le déficit augmente, la fuite des cerveaux devient quotidienne. Ceux qui le peuvent, partent.

La situation devient de plus en plus insupportable pour le simple citoyen qui ne fait que constater l’augmentation de la corruption, du clientélisme, du népotisme, des privilèges et de l’impunité de la caste politique.

Dans ces circonstances, la proverbiale tranquillité, la diligence, l’entrain, l’obéissance slovène, n’ont pas suffi pour éviter la gronde du peuple.

La rage a éclaté à Maribor, à cause d’un maire corrompu et d’un clergé impliqué dans le crack financier le plus explosif de l’histoire de l’Église, au point de faire sursauter même le Vatican. Le scandale des sociétés Zvon 1 et Zvon 2, propriétés de l’Archidiocèse de Maribor, s’est étendu dans le pays tout entier, accompagné d’une défiance envers la politique.

Le dernier scandale a apparu grâce à un rapport de la Commission pour la lutte contre la corruption. Cette dernière a découvert que deux des principaux partis slovènes, menés par le Premier ministre Janez Janša et Zoran Janković, le leader de l’opposition et maire de Ljubljana, n’avaient pas déclarés leurs revenus durant des années.

Les deux hommes politiques, au lieu de donner leur démission, continuent de jouer aux fourbes et d’esquiver les accusations, en attisant les heurts idéologiques.

Janez Janša a cherché à se défendre en faisant appel au très embarrassé Président du Conseil européen. Herman Van Rompuy n’a ni confirmé, ni démenti son présumé soutien au Premier ministre slovène.

La bagarre politique s’est généralisée, la coalition au gouvernement connait une crise profonde, les accusations réciproque se multiplient, mais personne ne souhaite vraiment d’élections anticipées. Ni même l’ambassadeur américain, pourtant directement entré dans la mêlée en voulant jouer les médiateurs entre les partis de la droite.

En attendant, la grève du secteur publique annoncée pour le 23 janvier sera probablement accompagnée de manifestations populaires, que ne pourront contenir ni le contrôle de Facebook par la police, ni les menaces du gouvernement, ni les amendes imposées aux organisateurs, dont Stane Pejovnik, le recteur de l’Université de Ljubljana.


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