Bulgarie/Rrom : La mort d’un maire inconnu…

mardi 13 mai 2014
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Médiapart

La mort d’un maire inconnu…

11 mai 2014 | Par CECILE CANUT

Samedi, le 10 mai 2014, Portokal Portokalov s’en est allé après une agonie de trois mois dans sa chambre du ghetto de Nadejda, à Sliven, en Bulgarie. Un ultime combat contre la maladie qui aura conclu une vie jalonnée de luttes moins personnelles, visant notamment à donner à son quartier, nommé « Espoir », un peu de la dignité qu’il mérite et qui lui est refusée.

Dans ce lieu entouré de murs qui enceint plus de 20 000 personnes (mais deux fois plus en réalité puisque la moitié est partie à l’étranger trouver de quoi se nourrir), considéré comme mal famé puisque uniquement constitué de Tsiganes et qualifié de « jungle » par ceux qui font de ses habitants l’objet de leur haine ordinaire, ce magasinier connu sur la place du quartier était devenu le « maire[1] » de Nadejda depuis quelques années. Son but était simple : faire tout ce qui était possible pour que l’on arrête de dire que les Tsiganes sont des fainéants, des voleurs, des imposteurs, des menteurs, des parasites, etc. Il avait décidé de mettre en place les « vodomètres » afin que chacun puisse enfin avoir de l’eau et prouver qu’il la paye.

Il avait dessiné un jardin, avec des bancs, des arbres, de la pelouse, une fontaine… au centre du quartier où tout le monde se retrouve quotidiennement. Il avait fait repeindre les murs du tunnel par lequel tout le monde passe afin d’accéder au ghetto, et fait installer des lumières publiques, etc.

Son prochain projet consistait à veiller à ce que l’asphalte des routes soit enfin refait (plus personne aujourd’hui ne se souvient du jour où elles l’avaient été) puisque le revêtement est à ce point dégradé qu’il n’est plus que pierres et nids de poules, ainsi qu’à ce que des poubelles individuelles soient installées à chaque porte.

Il n’hésitait pas à payer de sa poche si nécessaire… Il voulait redonner à ce quartier sa beauté d’autrefois, lorsqu’avec sa mère, ses frères et sœurs, tout était « rose » comme dit Stefka Stefanova Nikolova, sa nièce, dans son livre La vie d’une femme rom (Tsigane).

Faire accepter tout cela n’était pas chose aisée. Portokal devait faire face à de multiples obstacles, notamment au projet insensé voulu par certains « business-man » d’implanter un centre commercial en plein milieu de cette place où se déroulent tous les événements importants liés à la vie des familles : mariages, enterrements, naissances, baptêmes…

Portokal n’est plus, et soudain l’espoir retombe : « Personne ne pourra le remplacer », répètent les jeunes du quartier. L’impuissance, à cause du chomage et de la mortalité galopante du quartier, se lit sur chaque visage. Pourquoi mourons-nous si jeunes ? Pourquoi les médecins demandent-ils tant d’argent à côté ? Pourquoi lorsque nous entrons dans un hôpital, on entend souvent : « Encore un Tsigane » ? Pourquoi tant de misère, de rejet, d’abandon ?

Portokal, il y a quelques jours encore, demandait à ce qu’on le conduise à la fenêtre pour voir cette place à laquelle il avait consacré tant d’efforts.

Il ne s’est jamais plaint. En ce jour où j’écris ce texte à sa mémoire, après une nuit de veille, il sera conduit vers sa mère, Baba Malia, que tout le monde aimait, qui repose dans le cimetière de Nadejda depuis l’an dernier.
Sa femme a commandé cent roses pour Portokal.

Avant de se taire à jamais, il lui a murmuré : « Ma tracha », n’aie pas peur.

Cécile Canut, Nadejda, Sliven (Bulgarie)

http://btvnews.bg/video/video/tazi-sutrin/plna-promyana-v-romskata-mahala-na-sliven.html


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