Serbie-Hongrie : quand la rue défie le pouvoir

samedi 12 janvier 2019
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Arte

Serbie-Hongrie : quand la rue défie le pouvoir

De vastes mouvements de contestation secouent la Hongrie et la Serbie depuis plus d’un mois.

À Budapest, des milliers de manifestants battent le pavé chaque semaine contre une série de lois adoptées par le Parlement. À Belgrade, le mouvement a été déclenché par l’agression d’un membre de l’opposition. Les manifestants dénoncent la dérive autoritaire de leurs dirigeants, qui bénéficient du soutien de plusieurs États membres de l’UE.

(Marion Roussey)

Un phénomène “gilets jaunes” ?

Quatre cents kilomètres séparent Belgrade de Budapest. Malgré le froid hivernal et la présence des forces de l’ordre, des milliers de manifestants de tous âges et de tous bords politiques défilent pacifiquement dans les rues des deux capitales. Les premiers rassemblements ont eu lieu mi-décembre. Depuis, ils se répètent chaque semaine. “Comme pour les gilets jaunes en France, les manifestants investissent la rue durablement car ils n’obtiennent pas de réponse de la part de leur gouvernement”, analyse Jacques Rupnik, politologue spécialiste de l’Europe de l’Est.

En Serbie, le mouvement est né suite à l’agression d’un leader de l’opposition en plein meeting, Borko Stefanović. L’acte aurait été commandité par des proches du gouvernement pour intimider les opposants. Mais depuis le premier rassemblement le 8 décembre, le mouvement prend de l’ampleur. Les manifestants dénoncent pêle-mêle l’emprise du pouvoir sur les médias, le contrôle du pouvoir judiciaire mais aussi la corruption et les crimes mafieux dont le nombre a explosé en un an dans la capitale. “Malgré la peur, de plus en plus de gens nous rejoignent, explique Borko. Si cela continue, le régime n’aura pas d’autres choix que de nous écouter ou de démissionner”.

En Hongrie, la gronde vient principalement de deux lois : l’une réforme le système judiciaire en réduisant l’indépendance des magistrats.

L’autre modifie le code du travail et permet aux chefs d’entreprise d’imposer quatre cents heures supplémentaires annuelles à leurs employés.

Objectif pour le gouvernement : doper l’économie en incitant davantage d’entreprises étrangères à venir s’installer. “Avec cette réforme, le gouvernement de Viktor Orbán touche une corde sensible, commente Jacques Rupnik. Il porte atteinte au niveau de vie et à la sécurité économique de nombreux citoyens, ce qui explique leur forte mobilisation”. Mais au-delà de la réforme du travail, c’est au gouvernement nationaliste lui-même que les slogans s’adressent. Les manifestants demandent la destitution de plusieurs ministres.

Dénoncer les dérives autoritaires

Ce n’est pas la première fois que des vagues de protestation secouent les deux pays.

En 2014, un projet de loi visant à taxer internet avait poussé des milliers de Hongrois dans la rue.

“C’est la seule fois qu’une manifestation a forcé le gouvernement de Viktor Orbán à reculer”, rappelle le chercheur. Les autres n’ont pas abouti. Car après avoir gagné six élections de suite et face à une opposition divisée, son parti accapare le pouvoir, enchaînant les mesures polémique. Dernières en date : la réforme de la Cour constitutionnelle en 2013, la loi contre les universités étrangères et celle coupant le financement des ONG en 2017.

La fin de la transition démocratique

“Après la chute de l’URSS, la Hongrie était pourtant considérée comme un modèle de transition démocratique évoluant vers un État de droit, commente Jacques Rupnik.

C’était le pays d’Europe de l’Est où le contrôle par la Cour constitutionnelle et le parlementarisme étaient les plus effectifs”. Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orbán, la démocratie fait marche arrière.

Car le premier ministre hongrois applique le régime libéral à sa manière : sous prétexte que lui et son parti obtiennent la majorité aux élections, il s’attaque à tous les contre-pouvoirs. “Les élections deviennent un instrument contre la démocratie puisque le parti au pouvoir a tout mis en oeuvre en amont pour être assuré de les gagner sans véritable compétition”, analyse Loïc Trégourès, chargé d’enseignement à l’institut catholique de Paris et spécialiste des Balkans. Tant qu’il ne touche pas à leurs revenus, la majorité des électeurs le soutiennent, encouragés par ses discours patriotiques et anti-migrants.

Un retour vingt ans en arrière

En Serbie, l’État de droit s’est contenté d’une brève apparition.
Dans le cortège, les étudiants qui défilent pour la première fois sont rejoints par des Serbes plus âgés. “Ils manifestaient déjà contre l’autoritarisme de l’ex-dictateur Slobodan Milošević en 97, explique Loïc Trégourès. Ils ont le sentiment d’être revenus vingt ans en arrière”. Certes, l’ancien régime autoritaire a été remplacé en 2000 par un pouvoir plus modéré, sous le regard bienveillant des démocraties occidentales. Mais derrière la façade, l’autoritarisme n’est pas loin. En 2017, l’élection d’Aleksandar Vučić, ancien ministre de l’information sous la dictature, a été contestée par de nombreux citoyens serbes. Omniprésent dans les médias, il a tissé un vaste réseau dans les secteurs-clés du bâtiment, de la justice ou des finances.

“C’est une véritable oligarchie et ceux qui osent élever la voix contre le pouvoir vivent dans la peur”, confie l’opposant Borko Stefanović. À l’étranger, le nouveau Président soigne son image en adoptant une posture résolument pro-européenne.

L’UE, un rempart démocratique ?

“On doit changer le système en profondeur, martèle Borko. Or pour créer une société européenne, il faut d’abord que les principes valables en France ou en Allemagne s’appliquent ici aussi”. Comme lui, de nombreux manifestants invoquent le cadre légal européen comme référence pour dénoncer les atteintes aux libertés.

Mais le processus d’adhésion entamé en 2009 par la Serbie est reporté jusqu’en 2025. Parmi les principaux obstacles : la normalisation des relations avec le Kosovo. “Aleksandar Vučić a réussi à convaincre les États occidentaux qu’il était le garant de la stabilité régionale et le seul à pouvoir conclure un accord avec le Kosovo”, explique Loïc Trégourès. Or depuis que les négociations ont repris cet été, la situation s’est envenimée, aboutissant à la création d’une armée kosovarde. Le succès de la mission est donc loin d’être assuré. Celle-ci permet au Président serbe de bénéficier du soutien de la plupart des chefs d’État européens.

Avec la Hongrie, les relations qu’entretient Bruxelles sont aussi ambiguës.

Membre de l’UE, le parti nationaliste hongrois de Viktor Orbán siège au Parlement depuis 2009.

Il fait partie du Parti populaire européen (PPE), une grande famille hétéroclite regroupant un large éventail de droites européennes.

Ses discours populistes, ses positions anti-migrants et ses atteintes à la démocratie embarrassent le parti. Forcé de condamner ses atteintes répétées à l’État de droit, le plus grand groupe parlementaire ne peut se résoudre à se dissocier de son enfant terrible. Et pour cause, il a besoin du soutien de ses douze membres pour s’assurer la victoire aux élections de mars prochain.


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