Les enfants, premières victimes de la pollution de l’air

vendredi 25 juin 2021
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : reporterre

Les enfants, premières victimes de la pollution de l’air

Plus de trois enfants sur quatre respirent un air toxique en France. La pollution de l’air, qui touche surtout les villes, a des effets désastreux sur la santé des plus petits : asthme, allergies, troubles cognitifs... Elle affecte même les humains avant leur naissance puisqu’elle peut provoquer des malformations des fœtus.

« Début 2018, notre fils, quatre ans et demi, a commencé à avoir des toux isolées et irritatives, des gênes respiratoires alors qu’il n’était pas malade. Le soir et le matin, il toussait tellement fort qu’il vomissait environ une fois par semaine. Il avait les sinus toujours pris, les amygdales très gonflées. Il était obligé de dormir et de manger la bouche ouverte. Après six rendez-vous, un test allergique et une radio des poumons, notre pédiatre nous a expliqué qu’il était sans doute “allergique aux polluants des voitures”. » Pour Constance [1], qui sort du cabinet avec une ordonnance d’antihistaminiques, c’est la douche froide. Elle pensait pourtant sa petite famille plutôt à l’abri. « Nous habitions au cinquième étage et donnions sur une cour et des jardins. D’après AirParif, que mon mari et moi consultions régulièrement, nous n’étions pas dans la zone la plus polluée de Paris, au contraire. Pas de voitures, pas de tabac, au parc de Bercy tous les soirs, au bois de Vincennes tous les weekends », raconte-t-elle à Reporterre. Quelques mois plus tard, alors que les traitements de son fils sont toujours inefficaces, que sa fille de deux ans se met à tousser à son tour et qu’elle est enceinte de son troisième enfant, elle a décidé avec son mari de quitter Paris pour Nantes dans l’espoir de retrouver un air plus pur. Une décision qu’elle ne regrette pas du tout : « Depuis notre emménagement en juin 2019, nos deux aînés ne toussent plus et notre troisième enfant n’a jamais eu de problème respiratoire ! »

L’histoire de Constance est tristement banale. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de trois enfants sur quatre respirent un air toxique en France. Le problème est européen, voire mondial. En décembre, un tribunal britannique a pour la première fois fait le lien entre le décès d’une fillette de neuf ans à la suite d’une très grave crise d’asthme et son exposition à la pollution de l’air.

De quelle pollution s’agit-il ? « On parle surtout de la pollution de l’air en ville, où vivent 70 % des Français, explique à Reporterre Olivier Blond, directeur de l’association de lutte contre la pollution de l’air Respire, qui a participé au rapport de l’Unicef « Pour chaque enfant, un air pur. Les effets de la pollution de l’air en ville sur les enfants » publié en 2019. Les polluants sont émis par les transports mais aussi le chauffage, l’industrie... » Ainsi, en France, le transport représente 60 % des émissions d’oxydes d’azote (NOx) (jusqu’à 62 % à Paris) et 15 % des émissions de particules fines (jusqu’à 54 % à Paris), d’après l’Ademe et AirParif (2012). La part des émissions liées au chauffage est de 11 % pour les oxydes d’azote et de 27 % pour les particules fines. Les lieux d’accueil des jeunes enfants ne sont bien évidemment pas épargnés par ces panaches toxiques : en 2017, 27 % des établissements de Paris et de la petite couronne recevant du public sensible, comme les crèches, les écoles et les hôpitaux, présentaient des dépassements des seuils pour le dioxyde d’azote, d’après AirParif.

« La fréquence de l’asthme a été multipliée par deux entre les années 1960 et 2000 »

Certes, l’association Respire, qui met régulièrement à jour sa carte des écoles polluées en Île-de-France, a constaté une amélioration de la qualité de l’air sur les dioxydes d’azote. « Mais on est toujours au-dessus des recommandations de l’OMS pour ce qui est des particules fines. Sachant que plus elles sont fines et plus elles pénètrent profondément dans l’organisme, et qu’on mesure encore très mal les concentrations et les effets des particules au diamètre inférieur à 2,5 micromètres », alerte Olivier Blond. Les petits y sont d’autant plus exposés car :

 ils sont de petite taille et directement en contact avec les polluants concentrés près du sol,

 ils respirent près de deux fois plus que les adultes proportionnellement à leur taille,

 leurs systèmes respiratoire et immunitaire sont immatures.

Or, les effets délétères de la pollution de l’air sur la santé des enfants sont désormais bien documentés. L’asthme, d’abord. D’après l’étude Aphekom de 2012, « habiter à proximité de voies à forte densité de trafic automobile pourrait être responsable d’environ 15 à 30 % des nouveaux cas d’asthme de l’enfant » ; « 15 à 30 % des crises d’asthme chez l’enfant (...) peuvent également être causés par la pollution ».

Et l’évolution de ces chiffres ne va pas dans le bon sens.

« La fréquence de l’asthme a été multipliée par deux entre les années 1960 et 2000 », indique à Reporterre la professeure Jocelyn Just, cheffe du service d’allergologie pédiatrique à l’hôpital Trousseau à Paris.

Aujourd’hui, 10 % des enfants en sont atteints. Une réalité statistique à laquelle Olivier Blond a été confronté lors d’une intervention scolaire sur la qualité de l’air : « J’étais face à une classe de quatrième, dans un collège parisien situé juste au-dessus du boulevard périphérique au niveau de la porte de Pantin. Quand j’ai demandé qui avait déjà eu une crise d’asthme, un quart des élèves a levé la main ! »

Pire, les crises sont souvent de plus en plus sévères.

D’après Santé publique France, en 2015, 62.782 séjours hospitaliers d’enfants pour asthme ont été enregistrés — plus des deux tiers des séjours concernaient des enfants âgés de moins de quinze ans. Et ce chiffre est en augmentation de 2,7 à 3 % par an depuis 2004. « Quand je suis arrivée à l’hôpital, dans les années 1980, l’asthme était relativement simple à traiter, raconte Jocelyn Just. Aujourd’hui, il est de plus en plus compliqué, notamment chez les nourrissons. Nous avons de plus en plus recours à la nébulisation [l’administration d’un médicament liquide par pulvérisations nasales ou buccales], ce qui était rarissime avant. »

Les premiers dégâts causés par la pollution de l’air sont infligés avant même que l’enfant ne voie le jour

La pollution de l’air favorise aussi les autres affections respiratoires — « bronchiolite, rhume », note Olivier Blond —, mais pas seulement. « On constate aussi plus d’allergies au pollen, rapporte Jocelyn Just. Le changement climatique rend les périodes de pollen plus longues et plus intenses et la pollution rend les pollens plus agressifs.

Avant, les allergies se limitaient souvent à un simple rhume des foins. Aujourd’hui, elles entraînent des crises d’asthme, des allergies associées aux fruits et légumes, voire des anaphylaxies [a forme la plus spectaculaire et dangereuse de l’allergie, avec urticaire, œdème du visage et œdème de Quincke, difficultés respiratoires, troubles digestifs, malaise, perte de connaissance voire coma] qui peuvent conduire au décès.

Globalement, on voit de plus en plus d’enfants souffrant d’allergies multiples avec asthme, eczéma, dermatites atopiques, etc. » Un lien a même été démontré entre l’exposition au benzène chez les enfants qui habitent près d’une route très fréquentée et la leucémie infantile.

Plus largement, c’est tout le développement de l’enfant qui est affecté. Une étude britannique de 2018 a montré que les enfants de huit à dix ans vivant dans des zones urbaines très polluées risquent une diminution de leurs capacités pulmonaires allant jusqu’à 10 %. « On a aussi constaté dans de très nombreuses travaux scientifiques des conséquences sur le plan cognitif.

Des Américains ont montré que la pollution de l’air est associée à un moindre quotient intellectuel chez les enfants. Ça abîme la vie toute entière », alerte Olivier Blond.

Risque de pré-éclampsie chez la mère (soit une hypertension artérielle et une augmentation de la quantité de protéines dans les urines), naissance prématurée, petit poids... les premiers dégâts causés par la pollution de l’air sont infligés avant même que l’enfant ne voie le jour. Une équipe de recherche de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a démontré que pour toute augmentation de cinq microgrammes par mètre cube de l’exposition aux particules fines pendant la grossesse, le risque de donner naissance à un bébé de petit poids — inférieur à 2,5 kilos pour un enfant né après trente-sept semaines de grossesse — augmente de 18 %. « C’est énorme ! Or, un petit poids à la naissance peut être associé à un risque accru de développer des maladies plus tard, comme l’asthme, précise à Reporterre Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche à l’Inserm, qui a participé à cette étude.
Notre étude a aussi mis en évidence des risques accrus de fausse couche avant la vingtième semaine de grossesse et de prématurité en cas d’exposition aux particules fines, à l’ozone et au dioxyde d’azote. »

En cause : le stress subi par le tout jeune organisme et celui de sa mère, lorsqu’ils sont exposés à des particules dangereuses.

« Les polluants sont des irritants, qui déclenchent dans le corps des mécanismes de défense. Quand le corps ne peut plus faire face, cela entraîne un stress oxydatif, une inflammation et un déséquilibre placentaire », explique la chercheuse.

La pollution atmosphérique nuit également au développement harmonieux du fœtus. « Nous avons observé un risque significativement accru de malformations congénitales, qu’elles soient vasculaires, digestives ou urinaires.

Ces malformations obligent à opérer l’enfant très vite pour qu’ils puissent mener une vie normale », poursuit Isabella Annesi-Maesano. Mais tout n’est pas guérissable d’un coup de bistouri — c’est le cas des dommages causés sur le cerveau en formation. « Des Américains ont trouvé un lien entre l’exposition aux particules fines de la mère pendant la grossesse et des troubles autistiques chez le nourrisson.

Ceci s’expliquerait par le fait que certaines particules fines émises par les moteurs diesel sont des HAP [hydrocarbures aromatiques] qui sont tératogènes [ils produisent des malformations fœtales]. »

L’inertie des pouvoirs publics

Face à ce fléau, que faire ? « On ne peut pas s’arrêter de respirer, mais on peut essayer de réduire son exposition », indique Olivier Blond. Tout d’abord, en changeant de mode de transport. « Les enfants sont surexposés à la pollution de l’air quand ils sont en voiture, car l’habitacle concentre les polluants.

Mieux vaut les conduire à l’école à pied ou en vélo. Si possible, il faut éviter les poussettes qui placent l’enfant à hauteur des pots d’échappement. On peut aussi chercher un itinéraire moins pollué grâce à des applications mobiles comme Itiner’AIR.fr ou Airtogo.fr. » Le directeur de l’association Respire conseille aussi d’installer un purificateur d’air dans la chambre des enfants, surtout s’ils sont asthmatiques.

« Ne pas faire d’activité extérieure pendant un pic de pollution ; pour ceux qui sont malades, bien prendre le traitement de fond à base de corticoïdes inhalés ; aérer les domiciles quand il y a moins de voitures, tôt le matin et tard le soir », énumère pour sa part Jocelyn Just.

Mais ce serait à l’État et aux collectivités locales de protéger les plus jeunes. « La Mairie de Paris s’est engagée à piétonniser les voiries dans un rayon de trois cents mètres autour des écoles à la suite de notre campagne sur la pollution dans les écoles », se réjouit Olivier Blond. Les mesures adoptées restent néanmoins bien en deçà de l’urgence de la situation.

En juillet 2020, le Conseil d’État a condamné le gouvernement à payer une astreinte de dix millions d’euros pour non-respect des normes de concentration en particules fines et en dioxyde d’azote.

En décembre 2020, c’était au tour de la Cour de justice de l’Union européenne de mettre en demeure la France de respecter les valeurs concernant les émissions de dioxyde d’azote dans douze agglomérations particulièrement polluées. Une inertie d’autant plus coupable que la pollution de l’air tue tout au long de la vie, provoquant d’après Santé publique France 67.000 décès prématurés chaque année en France.


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