Dans la Drôme, une coopérative fait fructifier les semences paysannes

vendredi 16 juillet 2021
par  onvaulxmieuxqueca
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Agriculture

Dans la Drôme, une coopérative fait fructifier les semences paysannes

Depuis quinze ans, les artisans semenciers drômois de Jardin’enVie produisent et vendent des variétés paysannes de semences, plants, légumes, fruits et fleurs. Pour agrandir leur surface cultivable et fertiliser les sols appauvris par l’agriculture productiviste, ils comptent sur l’épargne citoyenne et font appel aux collectivités.
Bourg-Lès-Valence (Drôme)

En périphérie de Valence, dans la vallée du Rhône, une demi-douzaine de personnes agenouillées, les mains dans la terre, travaillent sous un soleil de plomb. Le bruit des voitures porté par le mistral rappelle que les grands axes routiers (la nationale 7 et l’A7) ne sont qu’à quelques kilomètres.

En ce mois de juin, le travail aux champs est particulièrement intense pour les artisans semenciers de Jardin’enVie. La jeune équipe se donne pour objectif de mettre en terre, chaque jour, de 2 à 3 000 plants de tomates, courgettes et concombres sur 2 hectares. Leur but ?

Produire en grande quantité des variétés paysannes et fournir des épiceries, des restaurants et des particuliers toute l’année en semences, plants, fleurs, légumes et fruits issus de semences ou boutures de première génération, sans utiliser de pesticides. Le tout directement vendu à la ferme.

« Tout a commencé par des essais dans une quarantaine de jardins de militants anti-OGM, raconte Éric Marchand, cogérant de la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Jardin’enVie. Au début des années 2000, nous étions inquiets de voir notre agriculture se tourner vers un modèle destructeur du vivant, mettant au second plan la qualité nutritive et gustative des fruits et des légumes. Nous avons donc comparé les variétés paysannes avec les conventionnelles. En adaptant nos méthodes de production, les résultats des semences paysannes ont largement dépassé ceux des graines conventionnelles. C’est pourquoi on a décidé de commencer la vente de nos produits en 2017 en créant une Scop. »

Éric Marchand devant une plantation de seigle qui servira à faire de l’engrais vert.

Petit-fils de paysan, Éric Marchand est donc parti à la recherche des graines oubliées, qu’il considérait comme un patrimoine en danger. Il lui aura fallu quinze années d’apprentissage et d’observation pour qu’il décide d’en faire un métier. « Le plus dur n’a pas été de développer des semences adaptées au territoire et au climat, cela peut se faire assez vite, mais de reconstituer les savoir-faire qui vont avec ces variétés paysannes. »

L’ancien développeur de logiciels libres compare cette perte de connaissances autour des graines à celle d’autres savoirs populaires, « comme cuisiner, coudre, s’orienter sur une carte, réparer un vélo, des choses qui n’ont plus été transmises pendant au moins deux générations ».

Désormais, au plus gros de la saison estivale, les neuf salariés artisans semenciers (vingt-cinq avec les saisonniers) parviennent à expédier 2 à 3 tonnes de fruits et légumes chaque semaine grâce à leur 30 hectares de terre. Ils fournissent des restaurants prestigieux comme Les Résistants, à Paris, ou encore le restaurateur d’entreprises Lecointre Paris.

La ferme du Conflans, avec ses 5 hectares, a été achetée par Jardin’enVie, via leur foncière HumusCité.

C’est sur l’ancienne ferme des grands-parents d’Éric Marchand, à Bourg-lès-Valence, que se situe le cœur du projet. Valérie Peyret, vêtue d’un tee-shirt clamant « semons la résistance », circule dans les allées de la pépinière où une boutique de vente directe a été installée.

Dans la serre réservée aux semis, des bidons noirs remplis d’eau sont disposés sous des bacs de terre.

« Cette méthode permet d’éviter les variations de température entre le jour et la nuit », explique la cofondatrice de Jardin’enVie.

Des techniques de ce genre, il a fallu en expérimenter beaucoup. Le travail de recherche a fini par payer. « Pour les cultures que l’on maîtrise bien, comme la tomate, les poivrons, les aubergines, ou encore les céleris, nous parvenons à avoir de très bons rendements, à condition que l’humus de la terre ait été reconstitué. »

Devant le compartiment tomates, où plus de 100 variétés attendent d’être mises en terre, elle ne cache pas sa fierté : « Avec 4 000 clients particuliers et 200 professionnels, nous avons plus de demandes que ce que nous ne pouvons fournir. D’où la nécessité pour nous d’agrandir notre surface cultivable grâce à l’épargne citoyenne. »

Des résultats freinés par la pauvreté des sols

L’ennui, c’est que les terres agricoles situées le long de l’axe routier français nord-sud sont particulièrement convoitées.

Les combats se mêlent : à la défense des semences paysannes s’ajoute la lutte contre l’étalement urbain. « En 2006, le groupe Auchan prévoyait l’installation de son entrepôt logistique à Bourg-lès-Valence et l’artificialisation de 1 000 hectares de terres agricoles. 3 000 citoyens se sont mobilisés en créant le collectif Terre Avenir Ville, dont le but était de faciliter la participation citoyenne aux politiques d’aménagement de l’agglomération de Valence.

En 2019, 110 d’entre eux, dont je fais partie, ont décidé d’utiliser leur épargne pour acquérir 10 hectares de terres convoitées », raconte Éric Marchand. Après avoir renoncé à l’urbanisation d’une partie de ces terres agricoles, Bourg-lès-Valence a choisi d’en confier une part à des agriculteurs. Dispositif dont a pu bénéficier Jardin’enVie à ses débuts, en louant pendant dix ans une parcelle de 2 hectares.

La pépinière et son coin tomates. Jardin’enVie en cultive plus de cent variétés.

Ainsi est née la foncière HumusCité, « l’outil d’acquisition du foncier » de Jardin’enVie. Les terres sont désormais à disposition de l’entreprise pour un loyer symbolique de 350 euros l’hectare par an. Les investisseurs qui détiennent des parts à la fois dans HumusCité et Jardin’enVie sont nombreux. Outre les particuliers, on trouve parmi les acquéreurs, des associations locales, une Amap et des épiceries.
La ferme du Conflans et son terrain adjacent de 5 hectares fraîchement acquis donnent leurs premiers résultats.

« Le seigle devrait déjà me dépasser, mime Éric Marchand, le bras en l’air. Un de nos premiers problèmes a été de découvrir à quel point nos sols sont morts. » Même si les parcelles ont été laissées en jachère huit ans, « le terrain reste sale et la terre est tassée ». « Face à une telle pauvreté des sols, les agriculteurs sont tentés, même en bio, d’utiliser des variétés hybrides F1 et les engrais chimiques qui vont avec. Certes, les rendements sont plus rapides, mais on ne change pas le modèle économique. »

Malgré un chiffre d’affaires de 223 000 euros en 2020, Jardin’enVie n’est pas encore rentable. Le prix à payer pour recréer un écosystème est lourd et prendra des années. C’est pourquoi la société sollicite l’aide des citoyens ainsi que de financeurs publics. « La revitalisation des terres ne peut pas reposer uniquement sur les épaules des agriculteurs, dit Fanny Peyrin, responsable de la collecte de fonds. Jardin’enVie n’est plus seulement un projet agricole, c’est un projet alimentaire qui permet d’impliquer les particuliers, mais aussi les collectivités. Ensemble, nous pouvons y arriver ! »

« Tous nos voisins sont en conventionnel, nos parcelles attirent les ravageurs des champs alentour »

C’est d’ailleurs pour permettre à des collectivités locales et à des entreprises d’entrer au capital et de « faire leur part » que la jeune structure a opté pour le statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic), où la gouvernance est partagée entre tous les actionnaires.

« Si une intercommunalité ou une mairie nous soutenait financièrement, cela nous permettrait de prétendre à des subventions européennes. Certains crédits dédiés à la revitalisation des sols ne sont pas consommés par la France actuellement », se désole Valérie Peyret, cogérante de la Scic. De timides discussions ont eu lieu avec la communauté de communes de Valence-Romans. Contactée par Reporterre, elle n’a pas souhaité échanger à ce propos. Pas facile, donc, d’impliquer les élus locaux.

Jonathan Lesage, salarié chez Jardin’enVie, repique des plants de menthe et de fleurs vivaces.

La Caisse des dépôts, banque d’investissement publique qui gère notamment les Livrets A et les retraites, est, elle, intéressée par le projet.

Elle serait prête à investir plusieurs milliers d’euros. Rien n’est acté, mais ce prêt sur six à sept ans permettrait à l’entreprise Jardin’enVie de poursuivre ses investissements, notamment dans des équipements sur-mesure adaptés à ses méthodes peu conventionnelles. « Pour les légumes racines et feuilles, la rentabilité se jauge au temps de désherbage. Nous sommes devenus trop grands pour faire tout à la main, mais nous sommes trop petits pour le faire à la moissonneuse », résume Éric Marchand.

Et d’ajouter : « Nous nous tirons une balle dans le pied car nous prenons à notre charge ce que nos concurrents [les multinationales productrices de semences] font porter à la collectivité. » Il évalue le coût de la revitalisation des terres à entre 50 000 et 100 000 euros par hectare. Dans cette estimation, il intègre les mauvais rendements des premières années dus à la pauvreté des sols et la destruction de la biodiversité dans les champs. « Comme tous nos voisins sont en conventionnel, nos parcelles attirent les insectes des champs alentour, dit Éric. La difficulté est de trouver des méthodes pour lutter contre les insectes ravageurs sans pour autant tuer leurs prédateurs. C’est pourquoi nous aimerions diviser nos parcelles en plantant des haies pour recréer un écosystème. Cela aussi, ça coûte de l’argent. »

Les artisans semenciers ambitionnent de replanter des haies grâce à leur prochaine collecte de fonds.

Transmettre les savoir-faire perdus

Parmi les salariés de Jardin’enVie, peu sont issus du monde agricole. Cela ne pose aucun problème étant donné que les fondateurs de la Scic ont plutôt tendance à déconstruire tout ce qu’on apprend dans les formations classiques.

« Il n’existe pas de formation sur ce que l’on fait, explique Valérie Peyret. Nous prenons en charge cette transmission. Il faut un minimum de trois ans pour que des gens parviennent à devenir autonomes et compétents et puissent transmettre à leur tour. »

Six salariés apprennent donc le métier d’artisan semencier, une profession qui n’a pas encore de définition officielle. Jardin’enVie espère bien voir la sienne faire consensus dans le réseau des semences paysannes : « Sont artisans semenciers celles et ceux qui produisent des semences en situation réelle de culture, dans un écosystème vivant et diversifié. Ils les sélectionnent et les font évoluer en privilégiant leur capacité d’adaptation aux évolutions du climat, à la diversité des terroirs et aux différentes modes de culture sans pesticide ou engrais de synthèse. »

Des graines de moutarde issues d’une variété paysanne.

À l’heure où les deux tiers des semences sont détenus par quatre grandes multinationales (Syngenta, Bayer-Monsanto, Limagrain, Corteva Agriscience) et que 95 % des semences utilisées par les agriculteurs sont uniformisées et contrôlées par des brevets, l’entreprise de Jardin’enVie peut paraître téméraire. Selon elle, les cultivateurs professionnels de semences paysannes représentent 0,6 % du marché français. « Peu de producteurs mêlent à la production de semences celle de fruits et de légumes, dit Éric Marchand. Il faut en finir avec les cultures trop spécialisées, arrêter de cloisonner la production. C’est en partie pour cette raison que nous avons perdu notre autonomie alimentaire. » En vendant des espèces reproductibles, Jardin’enVie tente en effet de semer l’indépendance.


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