Pour préserver une clinique psy alternative, ses salariés veulent la reprendre en coopérative

lundi 18 juillet 2022
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Basta

Pour préserver une clinique psy alternative, ses salariés veulent la reprendre en coopérative

Autogestion

18 juillet 2022 par Rachel Knaebel

Des soignants disponibles, des patients associés aux décisions, la centralité du collectif : c’est la marque de la clinique psychiatrique de la Chesnaie.

Face à la menace des grands groupes lucratifs, l’équipe veut créer une société coopérative.

Quand je suis arrivée à la clinique, le premier mois, je n’ai pas fait le travail pour lequel j’avais été embauchée, mais j’ai rencontré tous les collègues et tous les patients. Cela a permis que les gens m’identifient et j’ai pu me mettre dans le bain. » Magalie Tostain travaille depuis deux ans à la clinique psychiatrique de la Chesnaie, à Chailles, dans le Loir-et-Cher.

Elle n’a pas de formation spécifique, ni médicale ni en psychologie. Elle est salariée du club de la clinique, une association dont sont membres soignants et soignés, où les décisions se prennent en commun. La jeune femme s’occupe plus particulièrement de la programmation du projet culturel du club : concerts, résidences d’artistes, ateliers.

« Je viens du milieu du spectacle. J’ai auparavant travaillé dans des salles de concert, sans aucun lien avec la psychiatrie ou la santé. » Le volet associatif et culturel fait ici partie intégrante du soin.

« Notre travail se fait autour du collectif, pour permettre de sortir de l’aliénation sociale »

La clinique de la Chesnaie est l’un des lieux emblématiques de ce qu’on appelle la « psychothérapie institutionnelle ».

Dans cette approche de la psychiatrie, il n’y a pas d’enfermement.

L’ensemble du collectif est considéré comme ayant un potentiel soignant : médecins, psychologues, infirmières, mais aussi les personnels de la cuisine, du club, et les autres patients. « Notre travail se fait autour du collectif, pour favoriser la rencontre, pour permettre de sortir de l’aliénation sociale », résume Jean Gaillot, moniteur – c’est le nom des soignants à la Chesnaie – à la clinique.

Les cliniques de psychothérapie institutionnelle ont toutes ce type de clubs – comme certains services de psychiatrie des hôpitaux qui fonctionnent sur cette approche. Les membres de l’équipe et les pensionnaires y décident collectivement des activités organisées. « La programmation culturelle du club se fait avec les pensionnaires, on y organise aussi des sorties pour aller voir des artistes, précise Magalie Tostain. Tous les jours, une demi-heure est consacrée à une réunion collective avec les salarié.es et les pensionnaires, pour parler de toutes les questions qu’on peut avoir si quelque chose dans la journée nous a interpellés. »


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Des cliniques longtemps restées à l’abri des appétits financiers des grands groupes

Le courant de la psychothérapie institutionnelle est né dans l’immédiat après-guerre en France, et a joué un rôle majeur dans la réforme de la psychiatrie française qui a suivi. La clinique de la Chesnaie a ouvert en 1956, quelques années après celle, plus connue et voisine, de La Borde. Les deux ont préservé la pratique de la psychothérapie institutionnelle, qui demande du temps et de l’engagement. Elles sont aussi restées à l’abri des appétits financiers des gros groupes de santé privés lucratifs. Jusqu’à aujourd’hui.

À la Chesnaie, l’actuel directeur, un médecin, avait repris l’établissement au début des années 2000. En mars, proche de la retraite, il annonce son souhait de la revendre.

« Cela fait plusieurs années que le directeur disait qu’il allait partir. Il avait dans l’idée de refaire ce que lui a connu, c’est-à-dire vendre la clinique de la main à la main. Il a cherché un poulain qui pourrait la rependre. Il ne l’a pas trouvé », explique Magalie Tostain.

Depuis, les salariés craignent que l’institution ne se retrouve bientôt entre les mains d’une grande entreprise à but lucratif, pour laquelle les réunions soignants-soignés auront surement moins de poids que les assemblées d’actionnaires en quête de dividendes.

Les groupes de maisons de retraite Orpea et Korian ont par exemple des filiales spécialisées dans les cliniques psychiatriques.

Mise en vente de la clinique : « Il y a d’abord eu un moment de sidération »

Le directeur de la Chesnaie, Jean-Louis Place, a souligné auprès de France Inter qu’il exige des futurs repreneurs que les principes de la psychothérapie institutionnelle soient maintenus.

Mais les craintes des salariés semblent légitimes quand on connaît le sort d’anciennes cliniques autant engagées.

Celle de Freschines
, créé en 1973 par un ancien collaborateur de la clinique de La Borde, a été rachetée en 1993 par le groupe Générale de Santé (depuis lui-même racheté par le groupe australien Ramsey, devenu Ramsey-Santé).

Le groupe avait d’abord laissé se poursuivre la pratique psychiatrique habituelle. Avant de fermer définitivement la clinique en 2013.

À l’annonce d’une potentielle vente de La Chesnaie, « il y a d’abord eu un moment de sidération. Beaucoup ne s’imaginaient pas vraiment qu’on pouvait proposer quelque chose », rapporte Magalie Tostain.

Très vite, les salariés se mobilisent et ont créé une association, Les Ami.es de la Chesnaie, dans laquelle s’est investie Magalie.

Leur idée : développer leur propre projet de reprise de la clinique sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (Scic).

« Une grande majorité des salariés ont pris une adhésion à l’association.

Nous sommes suivis par l’union régionale des coopératives, qui nous aide à nous structurer, et par un cabinet d’expertise comptable lui même en Scic.
On a été voir toutes les collectivités locales concernées. La Chesnaie, c’est quand même emblématique, il y a un attachement à ce lieu et au fait qu’il reste ce qu’il est », explique la salariée.

La Scic est l’une des deux formes possibles d’entreprises coopératives.

« La grosse différence entre Scop, société coopérative et participative, et Scic, c’est que les Scop sont des coopératives uniquement de salariés, qui en détiennent la majorité du capital. Les Scic, elles, permettent le multi-sociétariat », explique Marguerite Christopol, déléguée régionale de l’union régionale Scop et Scic, du Centre-Val-de-Loire.

Les Scic associent au minimum trois parties prenantes à la gouvernance. À la Chesnaie, il y aurait dans la Scic les salariés, une ou plusieurs collectivités, comme la commune ou le département, et l’association Les Ami.es de la Chesnaie. »

Deux cliniques d’addictologie déjà en coopérative

Sa collègue, Florence Delacroix, accompagne le projet à l’union régionale des coopératives, et rencontre l’association chaque semaine.

« Nous travaillons notamment sur la partie financière, et jusqu’à quel montant on peut reprendre l’entreprise. On rachète au prix juste, avec un volet social en plus. Les salariés mobilisent leur réseau pour avoir un maximum de sociétaires. Une reprise en Scic permettrait de garantir la continuité de la psychothérapie institutionnelle, car c’est la volonté des salariés. L’emploi sera non délocalisable, car on ne peut pas la revendre. On ne va pas trancher dans la masse salariale. »

Une clinique en Scic serait une innovation en France.

Il existe déjà deux cliniques médicales en coopérative, sous statut Scop.

Il s’agit des cliniques « Calme », des centres de cure spécialisés dans le traitement des addictions à l’alcool et aux substances psychoactives. La première clinique Calme est née directement en coopérative en 1981, à Cabris, dans les Alpes-Maritimes. La deuxième, créée d’abord en SARL dans l’Eure, s’est transformée à son tour en Scop en 2019.

« La première clinique Calme, ce sont deux psychologues cliniciens et un médecin qui se sont rencontrés en 1974 dans un lieu de soin où ils ont essayé de monter une méthode thérapeutique alternative.
Suite à des désaccords avec leur direction, ils ont ouvert leur propre clinique, avec un autre jeune médecin et des infirmières.
Ça leur a paru évident de lancer le projet sous forme de coopérative, retrace Michèle Armofini, psychologue et directrice de la clinique Calme de l’Eure.
Le passage en Scop de la seconde clinique, c’était pour remettre en cohérence le management participatif et la structure juridique. »

Aujourd’hui, 26 salariés sur 30 sont sociétaires de la Scop de cette seconde clinique (il faut un an d’ancienneté comme salarié pour pouvoir devenir sociétaire). Le site accueille en permanence 40 à 45 patients en hospitalisation complète pour des séjours de cinq semaines, et a en plus dix places de prise en charge de jour et des consultations externes.

« C’est un modèle vraiment efficient pour les patients »

« Dans notre clinique, on participe à toutes les décisions, on est au courant de tout ce qui se passe. La coopérative est en adéquation avec la thérapie institutionnelle », défend la psychologue. La pratique de soin « se structure autour de réunions soignants-soignés, ajoute Michèle Armorfini.

Et la pratique institutionnelle, en termes de gestion, est complètement différente d’une clinique classique.

Nos psychologues sont disponibles même en dehors de leur séances.

Les médecins sont salariés, ils ne viennent pas juste pour leurs consultations.

C’est un modèle vraiment efficient pour les patients. Et nous parvenons à rester à l’équilibre. »

À la Chesnaie, c’est aujourd’hui le volet financier qui fait peser le plus d’incertitude sur le projet de coopérative.

« Nous n’avons aucune idée de qui va postuler à la reprise et proposer combien », concède Magalie Tostain. Le collectif affirme toutefois avoir une proposition financière solide.

« Nous n’avons pas que notre bonne volonté à offrir », assure Angélique Uzureau, monitrice à la clinique et engagée dans le projet.

En plus des grands groupes lucratifs, des grosses structures médico-sociales à but non lucratifs pourraient aussi être sur les rangs.

« Nous nous opposons à tout repreneur extérieur, défend Jean Gaillot, lui aussi moniteur à la clinique. Même avec une structure à but non lucratif, on craint des coupes franches, pas dans deux mois, mais sur plusieurs années. Nous estimons être le repreneur légitime pour sauvegarder les emplois et l’outil de soin. »

« Notre argument est que le cahier des charges de la reprise préserve le projet. Là-dessus, nous sommes les mieux placés, ajoute Magalie. Nous, on bosse tous les jours sur place, certains depuis trente ans. »

Rachel Knaebel
Photo : Le chapiteau de la fête du club de la clinique de la Chesnaie, fin juin 2022. ©Club de la Chesnaie.


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