Le gouvernement met le paquet sur les renouvelables… et sacrifie la nature

lundi 26 septembre 2022
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Reporterre

Le gouvernement met le paquet sur les renouvelables… et sacrifie la nature

Par Grégoire Souchay
26 septembre 2022

Vite vite, le gouvernement Borne veut rattraper son retard sur les renouvelables. Le projet de loi présenté par la ministre de la Transition énergétique met donc le turbo en faisant fi de l’environnement.

Après deux décennies d’atermoiements, un gouvernement, celui d’Élisabeth Borne, s’active enfin sur le front du déploiement des énergies renouvelables. Le projet de loi présenté lundi 26 septembre avec la foi des néoconvertis par Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, s’inscrit malheureusement dans la lignée des textes portant atteinte au droit et à la démocratie environnementale. Le projet de loi facilite en effet le développement de projets même en cas d’atteintes à l’environnement (artificialisation, destruction de la biodiversité...).

Vite, vite. Et même « deux fois plus vite » sur la mise en service de projets d’énergie renouvelable, a déclaré Emmanuel Macron à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), jeudi 22 septembre, lors de l’inauguration du premier parc éolien en mer. Être le seul pays européen à ne pas tenir ses objectifs en matière de renouvelables [1], voilà qui fait mauvais genre pour celui qui veut développer « en même temps » le nucléaire et les renouvelables. Et pour aller vite, quoi de mieux qu’une « loi d’accélération des renouvelables » ?

Lundi 26 septembre, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, présente en Conseil des ministres un panel de « mesures d’urgence temporaires pour accélérer les projets d’énergies renouvelables et les projets industriels nécessaires à la transition énergétique ».

Un projet de loi d’urgence avec des mesures valables pendant quatre ans maximum et dont le périmètre reste très large : photovoltaïque, éolien, gaz renouvelable mais aussi « la fabrication ou l’assemblage des équipements nécessaires » à ces énergies, les « travaux sur les ouvrages publics de distribution ou de transport » d’énergie et même les « activités économiques considérées comme durables », au sens de l’Union européenne.

Des espèces protégées sont menacées ?

L’État distribue des dérogations

Mais l’essentiel du texte est bien « électrique », selon Alexandre Roesch.

Le délégué général du Syndicat des énergies renouvelables (SER) estime que ce projet est « une bonne base qui doit être rendue plus ambitieuse ». Principal motif de satisfaction selon lui : la possibilité de reconnaître plus facilement que les projets renouvelables relèvent de la « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM).

Une notion déjà débattue dans les batailles juridiques à Notre-Dame-des-Landes ou en Guyane. La RIIPM est en fait l’une des trois conditions nécessaires pour que les projets obtiennent une dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées.

Ce document est de plus en plus indispensable pour valider les dossiers d’énergies renouvelables et le texte propose de l’accorder de facto à une série de projets.

Ainsi en vont les autres dispositions : possibilité de débuter l’enquête publique sans attendre les réponses du porteur de projet à l’avis de l’autorité environnementale, procédure simplifiée de modification des documents d’urbanisme pour les projets d’une certaine taille.

Et pour les projets qui auraient été annulés par la justice pour cause de vice de procédure, création d’une voie de régularisation.

Cet enchevêtrement de dispositions juridiques permettra de repêcher des projets qui ne franchiraient pas les filtres de l’administration, jugée trop tatillonne aux yeux de certains développeurs. Et tant pis si cette dernière n’est pas responsable, car « les principaux facteurs d’allongement [des délais] tiennent aux difficultés de financement des projets et au processus de décision politique », rappelait fin 2021 l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd).

Les petits projets photovoltaïques exemptés d’étude environnementale

Cela fait plusieurs mois que le pouvoir égratigne par petites touches la démocratie environnementale en arguant de la nécessité de développer les renouvelables.

Exemple : depuis le 1er juillet, le seuil d’examen systématique de l’impact environnemental des projets photovoltaïques au sol a été relevé à 1 mégawatt de puissance, exemptant donc de cette contrainte les projets plus modestes (moins de 1,5 hectare).

Plus récemment, une circulaire du 16 septembre, révélée par Contexte, a mis la pression sur les préfectures. Plus question de mettre plus de 24 mois pour instruire les dossiers des projets renouvelables, l’objectif, c’est désormais 18 mois d’instruction.

Selon cette circulaire, les préfets devront veiller à faire remonter chaque trimestre la liste de projets de plus de 5 mégawatts de puissance et tous ceux en cours d’instruction depuis un an. Enfin, il est demandé aux préfets de ne pas hésiter à mener un « contrôle de légalité » sur les documents d’urbanisme refusant par principe tout déploiement d’énergies renouvelables.

Vendredi 23 septembre, Emmanuel Macron a également annoncé de futures dispositions règlementaires pour limiter la durée d’examen des recours juridiques (dix mois maximum). Il faut aller vite, tant pis si la justice administrative est elle aussi débordée. Et si le pouvoir manie le bâton face à des élus trop tatillons, il agite aussi la carotte du « partage territorial de la valeur ».

Un système qui conduira les riverains des installations renouvelables à pouvoir toucher un versement annuel forfaitaire en fonction de la puissance de l’installation près de chez eux — le périmètre sera fixé ultérieurement — sous forme d’une ristourne sur leur facture d’électricité.

« Si on veut vraiment accélérer sur les renouvelables, il faut investir davantage »

Et pourtant, nombreuses ont été les oppositions à ces intentions gouvernementales.

« Nous ne sommes pas d’accord avec le gouvernement sur le postulat de base du texte », explique Morgane Piederriere, responsable de plaidoyer pour France Nature Environnement.

« Si on veut vraiment accélérer sur les renouvelables, il faut investir davantage, notamment en donnant à l’administration les moyens de travailler et que les projets soient meilleurs. »

Dans une position commune, FNE et les ONG et associations membres du collectif Cap nature et biodiversité plaident pour un déploiement des renouvelables « sans régressions écologiques et démocratiques ».

Au centre de leurs inquiétudes, l’article 3 de l’avant-projet de loi qui permettrait de relever tous les seuils d’évaluation environnementale pour quatre ans. Une disposition qui irait à l’encontre du principe de « non-régression du droit de l’environnement » voté dans la loi biodiversité de 2016, et qui a soulevé le 8 septembre dernier de lourdes réserves au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE).

Cette instance officielle « insiste sur la nécessité d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables sans remettre en cause ce principe » de non-régression. Selon plusieurs sources, cet élément pourrait être supprimé dans la version du texte présentée lundi en Conseil des ministres et inconnue à cette heure.

« La biodiversité est absente des réflexions »

Plus largement, la philosophie générale du projet interroge. Consulté le 16 septembre, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a constaté que « la biodiversité est absente des réflexions ».

Et pour cause, dans l’étude d’impact menée par le gouvernement, l’environnement n’apparaît que sur la seule question de l’impact carbone.

Avec un certain sophisme : puisque ces projets « renouvelables » permettent de diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES), ils sont réputés bons pour l’environnement, il n’est donc pas nécessaire d’évaluer l’impact environnemental de ceux de faible taille.

Pourtant, rappelle Geoffroy Marx, responsable du programme énergies renouvelables et biodiversité de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), « les projets les plus problématiques ne sont pas forcément les plus gros ou puissants, mais ceux, notamment éoliens, qui sont implantés dans les sites à fort enjeu de biodiversité ».

Des zones convoitées dans lesquelles la loi pousse encore un peu plus les possibilités d’implanter de tels projets notamment sur des friches situées en zone loi-littoral. « Des anciens sites d’enfouissement de déchets », selon Alexandre Roesch, du SER, sur lesquels il estime possible d’implanter 2 gigawatts de puissance photovoltaïque.

S’y ajoute également une possibilité d’étudier les projets photovoltaïques « en discontinuité dans les zones de montagne dotées d’une carte communale ».

En face, les contraintes posées aux développeurs s’avèrent bien maigres. Ainsi, l’obligation d’équiper de panneaux les parkings extérieurs de plus de 2 500 m² est conditionnée à l’absence de contrainte technique, architecturale ou patrimoniale, ou « en cas de rendement économique insuffisant ». Pis encore, l’obligation ne porte que sur la moitié de la surface, et avec l’option alternative d’une végétalisation. « Ça n’a pas de sens de laisser ce choix tout en favorisant à côté le photovoltaïque au sol. Autant laisser la nature intacte et équiper les zones déjà artificialisées », relève Morgane Piederriere, de FNE. C’est pourtant le chemin inverse que semble emprunter le gouvernement. À grande vitesse.


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Notes
[1] La filière éolienne est particulièrement à la peine : fin septembre 2021, la puissance installée de l’éolien terrestre s’élevait à un peu plus de 18,5 gigawatts (GW), soit à peine 1 GW de plus que l’année précédente. Ce chiffre est deux fois inférieur aux objectifs de la feuille de route énergétique du pays voté en 2020.


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