Léna Lazare : « Il faut surprendre les dirigeants, être créatifs, les fatiguer »

samedi 25 mars 2023
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Source : Reporterre

Léna Lazare : « Il faut surprendre les dirigeants, être créatifs, les fatiguer »

Par Gaspard d’Allens
24 mars 2023

Retraites, climat, même combat ? Alors que la répression se durcit partout, il est temps « d’augmenter le rapport de force contre ce gouvernement brutal », estime la militante des « Soulèvements de la Terre ».

Léna Lazare, 24 ans, est l’une des porte-paroles de Youth for Climate. Elle est engagée dans la dynamique des « Soulèvements de la Terre » qui se mobilise notamment contre les mégabassines.

Reporterre — Face au gouvernement, le mouvement social et le mouvement écologiste semblent vivre une situation similaire : ils ne sont pas écoutés. Qu’en pensez-vous ?

Léna Lazare — Oui, c’est intéressant de faire le parallèle entre la lutte contre la réforme des retraites et celle pour le climat. Les mêmes méthodes sont utilisées par le gouvernement pour faire taire la contestation ou la contenir au maximum. Il l’ignore et essaye de lui retirer toute légitimité. Dès que le mouvement se durcit, les autorités sortent les matraques.

Ils nous traitent de « factieux » ou d’« écoterroristes », tentent de nous discréditer et nous criminalisent. À quelques jours d’écart, on a vécu une répression identique. Les manifestations à Paris contre la réforme des retraites place de la Concorde ont été interdites. Notre mobilisation antibassines aussi. Des zones rouges avec des arrêtés d’interdiction de circulation, en plus des arrêtés d’interdiction de manifestation, ont été décrétées. Il y a des amendes et des arrestations arbitraires. Le gouvernement veut nous faire peur.


La situation a-t-elle empiré ces dernières années ?

Effectivement, j’ai l’impression qu’on avait plus de marge de manœuvre, avant. Quand on a débuté le mouvement climat en 2019, on était plus insouciants, plus légers. À l’époque on pensait beaucoup moins à la police. Je me rappelle aussi de mes premiers blocages de fac, en 2017, la police intervenait peu. Nos actions de désobéissance civile n’étaient pas réprimées de cette manière. L’espace de la contestation s’est aujourd’hui largement rétréci. Insidieusement, on perd nos droits petit à petit, et avec notre liberté, la possibilité même de s’engager.

Le 23 mars, les collectifs antibassines ont rejoint la manifestation contre la réforme des retraites. Twitter/BassinesNonMerci

Que pouvez-vous faire dans ce contexte ? Comment les faire reculer alors que vos moyens d’agir sont de plus en plus limités ?

Je n’ai pas un programme clair personnellement mais dans les milieux de luttes écolos que je fréquente, nous partageons certaines intuitions. Par exemple, nous pensons désormais qu’il ne faut plus rien attendre des institutions et assumer une conflictualité directe avec elles. Il est indispensable d’augmenter le rapport de force jusqu’à ce qu’elles plient. Nous ne devons plus collaborer avec elles, il faut arrêter de croire au dialogue face à des forcenés de ce type.

« Les élites ne sont pas à convaincre mais à contraindre »

Un peu comme le disait le Cgtiste Olivier Mateu : « C’est la fin du dialogue social, c’est la guerre… » ?

Du moins, c’est une confrontation claire et franche. Ce constat est de plus en plus partagé dans les luttes qu’elles soient écologiques ou sociales. Depuis la révolte des Gilets jaunes, les mascarades du grand débat ou la farce de la Convention citoyenne pour le climat, on sait que ce gouvernement se fiche de nous.

Après, je ne dis pas qu’il faille complètement déserter les institutions, il faut aussi chercher des brèches, trouver des alliés à l’intérieur, soutenir le travail de lobbying que font certaines associations.

Mais nous devons être conscients que si l’on veut remporter des victoires réelles, il va falloir tout bouleverser. Le mouvement écologiste doit s’interroger sur son rapport aux autorités et au pouvoir. Dans ce milieu, nous avons parfois été trop naïfs. On a trop longtemps cru que l’on pouvait sensibiliser les décideurs économiques et politiques, qu’on pouvait les convaincre du bien fondé de nos revendications, qu’ils pouvaient comprendre. C’est une illusion qui nous fait perdre un temps infini. En réalité, ces élites ne sont pas à convaincre, mais à contraindre. Nous devons sortir d’une vision de l’écologie sans aucune conflictualité. Face à un gouvernement aussi brutal, il nous faut être offensifs. Plus personne n’est dupe.

Mais concrètement, comment comptez-vous l’emporter ?

Les contraindre, cela veut dire les déborder massivement dans la rue, dans les blocages, ne plus rester cantonner aux formes légalistes et traditionnelles. Il faut les surprendre, être créatifs, les fatiguer. Cette bataille dans la rue n’est cependant pas suffisante, il faut aussi penser au temps long, inscrire le mouvement dans la durée, créer une culture de résistance.

Partout en France, la tension est montée d’un cran entre la police et les manifestants contre la réforme des retraites. © NnoMan/Reporterre

C’est-à-dire ?

La question que je me pose et qui a une résonance écologique, c’est comment on tient ? Il nous faut des bases matérielles, des lieux, des maisons du peuple où se retrouver, des assemblées de mouvement où échanger, des espaces pour se réapproprier nos moyens de subsistance.

Personnellement, je suis très privilégiée car je suis salariée militante [à Terres de luttes, une association qui accompagne les luttes locales], mais la question des ressources est importante.

Il est difficile de militer ou de faire la grève dans la durée lorsque l’on est précaire.

Au début des mobilisations, des caisses de grève sont mises en place. Nous devons penser à ces systèmes d’entraide sur le temps long et les généraliser.

La mégamachine capitaliste n’est pas abstraite, c’est quelque chose qui nous tient, nous enferre, nous écrase. Nous devons essayer au maximum de nous en défaire pour gagner en autonomie et en subversion. Cela devrait être un des objectifs majeurs du mouvement social et écologique. Le philosophe Aurélien Berlan en parle très bien dans son livre Terre et liberté. La question de la subsistance ne doit plus être un impensé.

« Nous devons apprendre à nous organiser sans les institutions »

Vous-même, vous avez mené une reconversion agricole et avez vécu sur la zad de Notre-Dame-des-Landes. Pensez-vous que le mouvement social devrait s’inspirer de ce type de désertion ? Faudrait-il renforcer la collaboration entre lieux autonomes agricoles et piquets de grève ?

Oui, c’est une stratégie importante qui renoue avec les luttes historiques paysannes qui ont été décisives dans notre pays. Il va falloir aussi démultiplier les alternatives qui permettent aux gens de s’émanciper de leur boulot et de retrouver de l’autonomie.

Les liens entre le monde paysan et le mouvement social existent. Il y a des cantines de grève, des livraisons de légumes gratuites, des solidarités et des bases d’entraide qui sont fortes et qu’il faudrait renforcer.

De manière générale, vu que nous n’attendons plus rien des institutions, nous devons apprendre à nous organiser sans elles. C’est pourquoi je mise également beaucoup sur nos actions de reprise de terre et de culture collective. Il faut aussi puiser dans l’histoire du mouvement ouvrier : ce sont eux qui ont créé les premiers jardins partagés pour tenir la grève. À l’époque, ce n’était pas une lubie d’écolo mais une arme dans la lutte des classes.

Pareil pour les maisons du peuple et les bourses du travail, les syndicalistes révolutionnaires les ont construites pour s’organiser de façon autonome, avoir des lieux à eux. Cela doit nous inspirer. Avoir des bases matérielles solides est indispensable. Ce sont des moyens concrets pour tenter de s’émanciper du capitalisme.

À travers « Les Soulèvements de la terre », vous proposez aussi de nouvelles manières de se battre contre les désastres écologiques, avec de nouvelles tactiques et stratégies. Pouvez-vous nous en parler ?

Les Soulèvements de la terre sont à la fois un réseau et une dynamique d’actions. C’est aussi un calendrier de mobilisations. Ce qui fait notre spécificité, c’est que l’on se mobilise principalement là où il y a des luttes ancrées, des luttes territoriales. Nous voulons éviter les coups d’éclat, les happenings médiatiques parfois hors-sol. Nous travaillons avec les associations et les habitants sur le terrain pour construire une résistance sur le temps long et obtenir des victoires concrètes.

Localement, nous avons toujours plus de marge de manœuvre pour lutter contre des projets et des entreprises écocidaires. Cela fait par exemple plusieurs saisons que nous nous battons contre les mégabassines et nous ne sommes pas loin de l’emporter.

Dans nos campagnes, nous assumons la complémentarité des pratiques, des recours juridiques aux actions sur le terrain plus impactantes, ce que nous appelons « les manif’actions ».

Dans le marais poitevin, des collectifs militent contre la construction de mégabassines, ouvrages de retenue d’eau. Twitter/BassinesNonMerci

C’est-à-dire que vous assumez pleinement le sabotage. La généralisation de ces gestes offensifs est-elle un moyen de monter en puissance ?

Oui, il nous paraît important de montrer que nous sommes légitimes à saboter des infrastructures écocidaires. Nous parlons de désarmement, l’objectif est de désactiver une arme qui est braquée sur nous.

Les pratiques de sabotage dans le milieu écolo ont toujours existé, mais on les identifie souvent à des actions clandestines, de nuit, en groupe affinitaire. Nous avons voulu, au contraire, avec les « Soulèvements », les revendiquer en plein jour, les rendre accessibles et rejoignables par le plus grand nombre.

On le fait dans la joie, en écoutant de la disco au milieu de farandoles. Cela nous rend indiscernables. C’est comme ça que nous avons démantelé une cimenterie à Gennevilliers ou débâché plusieurs mégabassines lors de nos manifestations.


Cette radicalité ne risque-t-elle pas de vous isoler ?

Au contraire, c’est une idée reçue. Ces gestes n’ont pas d’effet repoussoir, les gens reviennent toujours plus nombreux. Ils savent que la manifestation va avoir un impact et que ces actions sont nécessaires face à l’entêtement du gouvernement. De façon générale, nous n’avons rien inventé.

Le sabotage est inscrit dans le répertoire des modes d’action ouvrier depuis plus de cent ans, la CGT le prônait à une époque. C’est un lien qui nous relie d’ailleurs avec le mouvement social. Récemment les syndicats ont aussi coupé l’électricité dans certains lieux de pouvoir contre la réforme des retraites. Ces gestes sont légitimes et nous donnent de la force.

« Nous devons rester ensemble, construire de grandes alliances »


Mais alors comment faire face à la répression qui grandit ?

Nous devons apprendre à nous protéger de manière collective et diffuser dans nos luttes une culture du soin.

Dans nos campements, nous avons mis en place des équipes de soutien psychologique, des bases arrières médicales et juridiques. Ce sont autant de moyens de lutter contre la répression.

Je crois aussi qu’il faut qu’on réfléchisse à certaines stratégies. Je suis de plus en plus sceptique sur l’idée de multiplier les procès politiques, d’aller volontairement devant la justice ou en garde à vue. Cette expérience peut être traumatisante et nous n’avons pas vocation à devenir des martyrs. Cette stratégie s’adresse surtout à des privilégiés qui n’ont pas grand-chose à craindre. Nous essayons au contraire d’être le plus inclusif possible.

Comment voyez-vous la suite ?

À court terme, je pense qu’il faut faire très attention aux stratégies gouvernementales qui cherchent à nous séparer.

Comme le disait le philosophe Grégoire Chamayou dans La société ingouvernable, les autorités veulent « négocier avec les réalistes, dialoguer avec les idéalistes, isoler les radicaux et avaler les opportunistes ».

Nous devons au contraire éviter ces tentatives de capture. Rester ensemble. Construire de grandes alliances et ne jamais se désolidariser les uns des autres. Au sein du mouvement social et écologique, il faut qu’on assume notre complémentarité pour constituer des fronts unis, via des luttes offensives qui s’inscrivent dans la durée.

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