Mort à Prague de Petr Uhl (1941-2021)

dimanche 5 décembre 2021
par  onvaulxmieuxqueca
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Source :NPA

Mort à Prague de Petr Uhl (1941-2021)

Catherine Samary
Hubert Krivine

C’est avec émotion que nous avons appris la mort de Petr Uhl à 80 ans le 1er décembre, après une longue maladie. Comme les militants marxistes polonais Kuron et Modzelevski au milieu des années 1960, Petr Uhl en Tchécoslovaquie avait incarné à nos yeux au cœur du Printemps de Prague en 1968 l’expression vivante d’une critique radicale du règne du parti unique au nom des idéaux socialistes qu’il prétendait incarner.

Francophone, c’est à Paris que Petr a découvert les idées de la Quatrième Internationale au cours de plusieurs voyages et rencontres où il avait pris contact avec Alain Krivine.

Il avait fait sa connaissance à Moscou, au Festival international de la jeunesse, en 1957 où Alain Krivine était délégué de la jeunesse communiste de France. Petr Uhl découvrit donc à Paris, les activités de la gauche « krivinienne » dans l’Union des Etudiants communistes, puis celles de la Quatrième internationale. Il partageait avec elle de profondes convictions anti-impérialistes internationalistes et notamment l’espoir de nouveaux soulèvements dans les pays d’Europe de l’Est visant à réduire l’écart entre leur réalité bureaucratique et les buts socialistes.

Il fut un prisonnier politique de l’ancien régime, passant près de dix ans de sa vie en prison dans des conditions souvent dures, la dernière fois (dans le contexte de 1968) pour « complot trotskiste ».

Petr Uhl ne cachait pas ses sympathies, mais il n’a pas été membre de la Quatrième Internationale – ce dont notre déléguée à son procès, en octobre 1979, devait témoigner1.

Il lui était en fait reproché d’avoir osé regrouper quelques dizaines de jeunes dans le contexte de l’émergence des « mouvements par en bas » qu’il évoque, stimulés par le « Printemps de Prague », puis d’être actif avec d’autres dans la Charte 77 et autres associations de défense des droits. Sans être lui-même membre du PCT, il était proche du père d’Anna Šabatová (son épouse), Jaroslav Šabata, un des animateurs de l’aile autogestionnaire du Parti communiste tchécoslovaque : ce courant soutint, à la fois contre l’aile conservatrice (Novotny) du régime et contre les réformateurs technocrates, les conseils ouvriers dans les entreprises qui se développèrent pendant l’intervention soviétique, jusqu’en 1969.

Petr Uhl était alors, à nouveau, en prison.

Et c’est là qu’il a côtoyé pendant plusieurs années l’écrivain Vaclav Havel qui devint son ami. C’est avec lui (et bien d’autres intellectuel·es) qu’il a formé en 1977 la Charte 77, puis le VONS (Comité de défense des personnes injustement poursuivies). Petr Uhl n’était pas (contrairement à beaucoup d’autres membres, comme Havel) un « dissident » anti-communiste. Par contre, il considérait comme essentielles les batailles démocratiques pour un socialisme digne de ce nom.

Il s’est donc engagé dans la mise en place d’organismes et fronts pour le respect des droits, rassemblant des personnes d’horizons idéologiques divers que rapprochaient les luttes « contre » (la répression ou la censure) mais sans réel programme commun « pour » et définissant une autre société.

Un tout autre contexte s’ouvrit en 1989, lorsque, dans la foulée de la chute du Mur de Berlin, la « révolution de velours » de 1989 mit fin au règne du Parti communiste de Tchécoslovaquie et porta au pouvoir Vaclav Havel. Petr Uhl décida alors de s’inscrire, un temps, dans le pluralisme politique émergeant en devenant député du Forum civique – renonçant, de ce point de vue, à un combat pour le socialisme.

Mais il garda jusqu’à la fin de sa vie un attachement à l’internationalisme et une opposition résolue à l’OTAN, percevant la construction de l’Union européenne (UE) comme un contrepoids positif aux États-Unis. Insatisfait de la vie politique des partis (tout en se rapprochant des Verts), il se concentra sur deux facettes de ses activités : celle de journaliste (au Právo), et celle de défenseur des Droits humains.

Il se mobilisa notamment et concrètement pour les droits des Roms, affichant publiquement son refus de la citoyenneté Tchèque – après la division de la fédération qu’il déplorait, lorsque le régime tchèque fit bâtir un mur pour empêcher les Roms de Slovaquie d’entrer dans le nouveau pays indépendant. Mais il occupa aussi plusieurs fonctions officielles dans la défense des droits : de 1991 à 2001, il a en effet été expert auprès de la Commission des droits de l’homme des Nations unies et, de 1998 à 2001, commissaire aux droits de l’homme du gouvernement tchèque, présidant le Conseil gouvernemental pour les nationalités, le Conseil des droits de l’homme et la Commission
interministérielle pour les affaires de la communauté rom.

De multiples façons, sa femme et ses enfants ont partagé cet engagement pour des droits universels : Anna Šabatová fut comme lui membre de la Charte 1977 et assuma même la fonction de porte-parole. Elle devint médiatrice de la république de 2014 à 2020.

Et Petr était particulièrement fier de l’exploit de sa fille, Saša Uhlová, « infiltrée » dans les entreprises de son pays pour en révéler les conditions inhumaines de travail, dans un reportage qui fut très popularisé (jusque dans le Monde du 8 décembre 2017) dans un article intitulé « Sasa Uhlova porte-voix des oubliés du miracle économique tchèque ». Petr Uhl fut jusqu’à la fin de sa vie un défenseur courageux de tous les « oubliés  ».

Il est donc resté à cet égard pleinement notre camarade.

Nos pensées émues et solidaires vont à sa femme et ses enfants.
Catherine Samary et Hubert Krivine au nom de la Quatrième internationale
2 decembre 2021

Nous mettons ci-après en ligne, en hommage à son combat, ce texte de Petr Uhl « Réformer d’en haut ou démocratiser d’en bas », publié dans la revue L’Homme et la Société de 1988 dans son numéro 88-89 Staline est mort hier. L’émergence du social en URSS (pp. 161-175), l’Harmattan
https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1988_num_88_2_2348?pageId=T1_162
• 1. Pour ce procès d’octobre 1979 contre Vaclav Havel, Peter Uhl et quatre autres membres de la Charte 77, une délégation unitaire fut envoyée associant Patrice Chéreau (Association des artistes) Jean-Pierre Faye (Comité International contre la répression), Pr. Jean Dieudonné (comité de mathématiciens) et, pour Petr Uhl, Catherine Samary (Comité du 5 janvier pour une Tchécoslovaquie libre et socialiste). Cf. les comptes rendus dans Rouge d’octobre 1979.


Le socialisme emprisonné. Une alternative socialiste à la normalisation


L’Humanité

Petr Uhl : un destin tchécoslovaque

Samedi 20 Novembre 1999

http://www.humanite.fr/petr-uhl-un-destin-tchecoslovaque-217686


Le Monde

Le dissident et journaliste tchèque Petr Uhl est mort

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/04/le-dissident-et-journaliste-tcheque-petr-uhl-est-mort_6104735_3210.html


Source : Wikipédia

Petr Uhl (né le 8 octobre 1941 à Prague et mort 1er décembre 20211) est un journaliste et essayiste tchèque, ancien dissident ayant participé au printemps de Prague et emprisonné pour cela en 1969. C’est aussi un militant marxiste anti-stalinien et ce fut un proche de Václav Havel.

Après la révolution de Velours en 1989 il fut directeur de l’agence de presse tchécoslovaque ČTK. Il s’intéresse depuis toujours aux arts, à la philosophie, aux sciences et aux questions d’environnement.

Biographie
Petr Uhl étudie le génie mécanique à l’université technique de Prague et devient ingénieur. La Tchécoslovaquie étant de loin le pays du bloc de l’Est le plus ouvert, il put se rendre à deux ou trois reprises en France, pays dont il parlait la langue. Dans les librairies de Paris, il découvre le trotskisme et, alors qu’il cherche, comme beaucoup de ses compatriotes, des variantes de communisme « à visage humain », il sympathise avec la Quatrième Internationale : il notamment a été influencé par les idées d’Evseï Liberman et d’Ernest Mandel.

Suite à l’écrasement du printemps de Prague et à la normalizace (retour à un État communiste répressif), il fonde le mouvement clandestin Hnutí Revoluční mládeže (HRM, « Mouvement de la jeunesse révolutionnaire »), petit groupe de seulement quelques dizaines de personnes.

Arrêté en décembre 1969, le HRM est dispersé : certains membres dont Petr Uhl sont condamnés, dans un procès-spectacle, à quatre ans d’emprisonnement2. En 1977, il est parmi les premiers signataires du mouvement pour les droits civiques dit « Charte 77 » et fait partie des rédacteurs du bulletin d’information de la Charte. En avril 1978, il fonde avec Václav Havel et d’autres dissidents, le « Comité pour la défense des personnes injustement persécutées » (VSN, Výbor na de stíhaných nespravedlivě). En octobre 1979, il est condamné à nouveau, cette fois à 5 ans d’emprisonnement.

Il a également été un militant de l’équivalent tchécoslovaque de Solidarność, syndicat libre indépendant du régime, et a coordonné la coopération entre les dissidents polonais et tchécoslovaques de 1988 à 1989. Simultanément, il a été correspondent clandestin de l’Agence européenne de l’information pour l’Est.

Petr Uhl était dans les années 1970 l’un des modèles de la résistance contre l’hégémonie soviétique en Tchécoslovaquie, et l’appartement où il vivait, rue Anglická, était dans les années 1980 un important lieu d’échanges entre les dissidents regroupés autour de la « Charte 77 », leurs homologues d’autres pays de l’Europe de l’Est et des journalistes étrangers en visite à Prague (ce que la police secrète communiste, considérait comme des « activités anticommunistes » et de l’« espionnage », surveillant et suivant Petr Uhl et ses proches dans tous leurs déplacements, et filmant son immeuble en permanence).

Après la révolution de Velours de 1989 et la chute des régimes communistes en Europe qu’il qualifia de « fin de la grande escroquerie du XXe siècle dont la classe ouvrière fut victime », Petr Uhl fut nommé directeur de l’Agence de presse tchécoslovaque. Entre 1998 et 2001, le gouvernement tchèque, présidé par Václav Havel, le recruta comme conseiller dans le domaine des droits de l’homme. Entre 2002 et 2007, il a aussi rempli diverses missions d’expertise concernant les minorités, s’occupant spécialement de l’intégration des Roms. À ce titre il a, sans se départir de son point de vue marxiste, été membre de la commission pour les minorités du Parti social-démocrate tchèque, et a aussi milité chez les écologistes du Parti vert. Après 2007, Uhl reste actif en tant que journaliste.
Hommages
• 1998 : médaille du Mérite tchèque
• 2002 : prix autrichien de Reporters sans frontières
• 2006 : Légion d’honneur
• 2008 : prix européen « Charlemagne » pour ses travaux sur la question des Allemands des Sudètes
Publications
• Le Défi, Francfort-sur-le-Main, 1981 (ISBN 3-88332-055-2)
• Regards sur le droit et l’inégalité, Prague, 1998
Références
1.
• (cs) « Zemřel novinář, bývalý disident a politický vězeň Petr Uhl » [archive], sur Deník N, 1er décembre 2021 (consulté le 1er décembre 2021).
2. • Après un lien avec une artiste-peintre francophone roumaine, Ioana Olteș, autorisé puisqu’elle était ressortissante du bloc de l’Est, Petr Uhl eut une compagne ouest-allemande : la journaliste Sibylle Plogstedt de Berlin-Ouest, donc du « camp impérialiste », ce qui n’était pas autorisé : arrêtée à Prague, Sibylle Plogstedt fut condamnée et emprisonnée elle aussi. Depuis 1974, Petr Uhl est marié à l’historienne et philosophe Anna Šabatová, devenue plus tard médiatrice de la République tchèque (de 2014 à 2020).
Sources
• (cs) Biographie sur On-line s Petrem Uhlem [archive]
• Max Borin, Vera Plogen, Management und Selbstverwaltung in der CSSR : Bürokratie und Widerstand, Berlin, 1970
• Groupement marxiste international Solidarité avec la Charte 77, liberté pour Petr Uhl, Frankfurt/Main, 1980


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