Toulouse-Castres : Une grande marche, des discours, et même une course de bolides. Le 22 avril, près de Toulouse, 8 200 personnes ont manifesté contre l’A69, un projet d’autoroute destructeur de terres et antisocial.

dimanche 23 avril 2023
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Source : Reporterre

Toulouse-Castres : une course de caisses à savon contre l’A69

Par Emmanuel Clévenot
23 avril 2023

Une grande marche, des discours, et même une course de bolides. Le 22 avril, près de Toulouse, 8 200 personnes ont manifesté contre l’A69, un projet d’autoroute destructeur de terres et antisocial.

Une grande marche, des discours, et même une course de bolides.

Le 22 avril, près de Toulouse, 8 200 personnes ont manifesté contre l’A69, un projet d’autoroute destructeur de terres et antisocial.

Saix (Tarn), reportage

Une fourmilière humaine vient d’envahir le macadam de la route N126.

Au milieu de la foule, une dizaine d’opposants tout de noir vêtus bâtissent un mur de parpaings — barrage symbolique au destructeur chantier de l’autoroute A69. Le poing dressé vers le ciel, une femme encagoulée au regard pétillant s’écrie : « L’A69 ne passera pas ! »

Le 22 avril, 8 200 manifestants — 4 500 selon la police — étaient réunis dans la bourgade de Saix, aux portes de Castres, pour une grande marche de 12 kilomètres... mais aussi pour une course de bolides artisanaux, des prises de parole de l’économiste Geneviève Azam ou du climatologue Christophe Cassou.

Le week-end organisé par la Confédération paysanne, Les Soulèvements de la Terre, Extinction Rebellion et le collectif local La Voie est libre, était consacré à la lutte contre cette coulée de bitume de 54 kilomètres devant relier Toulouse à la sous-préfecture du Tarn. « Ce projet est écocide. Jamais on ne laissera sortir de terre », promet Léo, un des manifestants.

Un mur de parpaings de 5 m2 a bloqué les deux voies de la circulation. © Alain Pitton / Reporterre

Seulement, le temps presse.

Des platanes centenaires, où voltigeaient les mésanges et nichaient les choucas, ont déjà été abattus.

Dans certains champs, les pelleteuses ont creusé de profondes tranchées, prémices du grand chantier à venir.

« Pour nous, paysans, c’est terrible et douloureux, a déclaré la secrétaire nationale de la Confédération paysanne, quelques instants avant le départ du pèlerinage, sur un tronçon de l’actuelle route N126. Déverser ce ruban de goudron, c’est détruire 400 hectares de terres nourricières et briser des vies. »

Une centaine d’agriculteurs devrait être affectée par la perte directe de terres.

Bruno Cabrol, 43 ans, est l’un d’eux. Des années durant, il a été un « petit soldat de l’agriculture intensive », jusqu’au jour où il a « compris qu’il fallait s’évader de cette spirale » : « J’ai planté quelques piquets, sorti mes vaches et les ai laissé brouter paisiblement. » Une démarche écologiste pour cet enfant du pays, aux mains crevassées.

Pour dénoncer l’aspect antisocial du projet, les manifestants ont fabriqué des « bolides artisanaux ». © Alain Pitton / Reporterre

Sur l’une de ses parcelles, le concessionnaire compte aujourd’hui creuser à huit mètres de profondeur pour couler l’autoroute. Rien de tel pour assécher les nappes phréatiques et empêcher l’écoulement de l’eau. « Sans parler des arbres qu’ils détruisent. En l’absence de végétation, il ne pleut plus, les sols s’assèchent et les plantes ne fécondent plus, poursuit-il.

Ce sont eux qui font des entailles irrémédiables à la nature, et moi que l’on traite d’écoterroriste. »

Marie-Françoise Itier pensait, elle aussi, devoir céder son chez-soi au concessionnaire. Dans les années 1980, elle a choisi de construire sa demeure dans un petit coin de paradis, où chantent les oiseaux du soir au matin. Des loutres coulent une vie paisible dans le ruisseau en contrebas. « Il y a quinze ans, en découvrant le tracé, j’ai compris que j’allais être expropriée. Un pont devait remplacer ma maison. »

8 200 manifestants étaient réunis dans la bourgade de Saix, aux portes de Castres, pour une grande marche de 12 kilomètres. © Alain Pitton / Reporterre

Seulement, jamais aucun représentant du concessionnaire n’est venu toquer à sa porte. Étonnée, elle interrogea les inspecteurs qui lui apprirent que l’autoroute ne détruirait pas sa maison : « Elle passera juste à 63 mètres, ironise-t-elle, amère. Je n’aurai ni mur antibruit, ni compensation. Je suis condamnée à subir les nuisances sonores, visuelles, psychologiques et la pollution de l’air. Je suis coincée… »

Hérésie écologique et sociale


En 2019, alors ministre des Transports, Élisabeth Borne avait déclaré ce chantier comme « une priorité nationale ».

Pourtant, à l’automne 2022, deux publications officielles ont constaté son inutilité et sa dangerosité : l’avis négatif du Conseil national de protection de la nature (CNPN) d’abord, puis celui de l’Autorité environnementale.

Aux détracteurs, le concessionnaire rétorque, quant à lui, que la création des chaussées de l’A69 ne grignotera que 100 hectares de terres.

« C’est faux, dit Geoffrey, du collectif local La Voie est libre. L’autoroute est la première pierre d’une spirale d’artificialisation. Demain, ils créeront des centres commerciaux et des McDonald’s à chaque sortie d’autoroute, détruisant encore et encore des terres agricoles, des corridors écologiques et des zones naturelles. »

À en croire l’enquête publique, datée de juillet 2020, le futur tronçon offrirait un gain de temps de trente-cinq minutes pour rallier la Ville rose à Castres. Un chiffre contesté par les riverains : « Je mets à peine plus de trois quarts d’heure pour parcourir l’itinéraire, assure Didier. Autrement dit, avec l’autoroute, je bouclerais ça en dix minutes ? J’ose espérer qu’ils ne mettront pas de radars dans ce cas. »

Autoroute écocidaire et mégabassines : la convergence des luttes locales était de mise ce weekend. © Alain Pitton / Reporterre

Une chose est sûre : pour s’accorder le privilège de fouler ce futur ruban de bitume, il faudra débourser pas moins de 8,37 euros pour un aller simple.

En comparaison, le tronçon entre Toulouse et Albi coûte seulement 1,60 euro, pour une distance similaire.

Pour dénoncer l’aspect antisocial du projet, les manifestants ont fabriqué des « bolides artisanaux ». Balayés par le vent d’autan, « l’Amish car », « le pied au plancher » et autres voiturettes en carton se sont élancés sur le macadam de la 2x2 voies.

« La Greenmobile est sacrée grande gagnante de la course, s’écrie finalement Alice, des Soulèvements de la Terre, dans le mégaphone.

Elle reçoit ainsi l’honneur de faire une halte au péage pour signer un chèque à Pierre Fabre. » Décédé en 2013, l’ancien président richissime de laboratoires pharmaceutiques, Pierre Fabre est l’initiateur de ce projet. Il voulait relier les centres de production de sa société à la métropole de Toulouse.

Le traumatisme de Sainte-Soline

« Il fallait que je sois là, aujourd’hui, dans ce territoire où Serge a passé une partie de sa vie et où [le militant antibarrage de Sivens] Rémi Fraisse a perdu la sienne », glisse Julien Le Guet entre deux chants anticapitalistes.

Victime d’un tir de grenade à Sainte-Soline, Serge, accompagnateur en montagne toulousain est toujours entre la vie et la mort. Pour le porte-parole du collectif Bassines non merci, la convergence des luttes locales est vitale : « L’État et les entreprises privées ont des stratégies parfaitement rodées. Seules, les populations locales ne peuvent pas faire capoter ces projets délétères et écocides. »

« Chuchotez, s’il vous plaît », murmure-t-il à ses camarades, le doigt pointé vers un étang paisible.

Le matin même, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a alerté les organisateurs de la présence de hérons cendrés, en pleine période de nidification. « Évidemment, on ne veut pas détruire par le bruit ce qu’on est venu défendre. Se déplacer, venir voir ce pour quoi on se bat, se reconnecter à la terre… C’est là aussi tout l’intérêt de la convergence des luttes. »

« On ne dissout pas la terre qui se soulève. No macadam. » © Alain Pitton / Reporterre

Le 25 mars, les affrontements de Sainte-Soline s’étaient soldés par 47 blessés du côté des gendarmes et 200 du côté des manifestants.

Les séquelles psychologiques de cette répression, où 4 000 grenades furent lancées, sont palpables : « Désormais, on sait précisément à quel monstre on a à faire, poursuit Julien Le Guet. Nos corps mutilés ont bien retenu la leçon. Gérald Darmanin cherchait à nous terroriser, pour qu’on se terre chez nous. C’est exactement l’inverse qui est en train de se produire. »

Un peu plus loin, une carte plastifiée dans le creux de la main et les bottes déjà couvertes de boue, Bernard coupe à travers champ, d’un pas pressé. « Je n’ai pas aperçu un seul bleu depuis le début de la marche… Contrat respecté ! », se félicite l’homme de 68 ans.

Militant du collectif La Voie est libre, il est chargé des relations avec les forces de l’ordre. « Pour son image, l’État ne pouvait pas réitérer le carnage du 25 mars, ajoute-t-il, les lunettes embuées. Et Les Soulèvements de la Terre ont été les premiers à plaider pour un rassemblement sans violence. Le traumatisme est encore intact. »

Le 5 avril, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait prédit : « Nous aurons des volontés de manifestations extrêmement violentes contre les forces de l’ordre et contre les symboles de l’État. » Rien de tel n’est arrivé.

De retour au campement, où trois grands chapiteaux jouxtent des centaines de petites tentes, l’ambiance est à la fête. À la lueur des guirlandes lumineuses, une chorale s’improvise aux abords du bois. Juste à côté, quatre jongleurs lancent leurs massues dans le ciel obscur. Des enfants s’amusent sur une calèche de fortune, dont les roues font murmurer le tapis de feuilles mortes.

Une cantine en lutte, placée sous un chapiteau, propose des repas végétariens à prix libre.

La mobilisation dure tout le weekend. Au programme du dimanche : la création de jardins. © Alain Pitton / Reporterre

Et la lutte est loin de s’éteindre.

Le dimanche, « nous reprendrons des terres et y sèmerons des graines vouées à grandir, dit Alice, des Soulèvements de la Terre. Des maraîchers et maraîchères locaux viendront chaque semaine cultiver ces jardins, pour entraver l’avancée du chantier. »

Même son de cloche du côté d’Extinction Rebellion : « S’ils refusent d’arrêter le chantier, nous multiplierons les campings sauvages partout où il le faudra, promet Paul. Jamais nous n’abandonnerons. »


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