« Paysan, je refuse la Légion d’honneur car l’État piétine notre métier »

mercredi 9 février 2022
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Reporterre

« Paysan, je refuse la Légion d’honneur car l’État piétine notre métier »

8 février 2022 à 16h08 Mis à jour le 9 février 2022

Très investi dans les luttes paysannes, Patrick Bougeard a refusé d’être décoré par la Légion d’honneur. Motif : « Il n’y a rien de positif dans la politique agricole d’Emmanuel Macron. »

Patrick Bougeard, agriculteur à la retraite, est sociétaire et membre du conseil de surveillance de l’Atelier paysan et a été président de l’association nationale Solidarité paysans pendant cinq ans. Il a été nommé au grade de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur fin 2021.


Reporterre — Pourquoi avoir refusé la Légion d’honneur dont vous a décoré le ministère de l’Agriculture ?

Patrick Bougeard — J’ai du mal avec le fait d’être honoré individuellement alors que tous mes engagements l’ont toujours été au sein d’organisations, que ce soit au mouvement des Paysans-travailleurs ou à la Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans (CNSTP) [1], où les actions ont été conduites collectivement.

Dans une lettre, le ministère de l’Agriculture dit reconnaître mon engagement au service de l’intérêt général. Je trouve malhonnête de la part de l’État de justifier ainsi l’octroi d’une médaille alors qu’il piétine les structures dans lesquelles je suis intervenu et qui sont porteuses de l’intérêt général.

En effet, quelques jours plus tôt, les organisations de promotion et de développement de l’agroécologie en France, dont Solidarité paysans et l’Atelier paysan font partie, venaient de recevoir leurs financements du ministère de l’Agriculture.

Sur onze structures, trois seulement avaient bénéficié d’une petite augmentation.

97 % des dotations avaient été affectées à ce que nous appelons le complexe agro-industriel, ce système permettant les superprofits de la filière agro-alimentaire — chambres d’agriculture, syndicalisme majoritaire, etc.

Pour obtenir ces dotations, les organisations doivent désormais signer une convention d’engagement citoyen et respecter un certain nombre de règles – par exemple, ne pas troubler l’ordre public. Ces engagements contraignent leur fonctionnement et peuvent annihiler leur capacité de lancer l’alerte.

Dans ce contexte de défis environnementaux majeurs, de changement climatique, de baisse de la biodiversité, de paupérisation d’une partie de la population et d’augmentation du recours à l’aide alimentaire, et alors qu’il avait la possibilité de faire un signe en faveur de l’agroécologie, l’État a donc pérennisé et conforté le pôle agro-industriel.

Dans votre lettre de refus, vous mentionnez aussi le plan gouvernemental pour « la prévention du mal-être et l’accompagnement des agriculteurs en difficulté » qui, selon vous, ne permettra pas d’enrayer la vague de suicides chez les agriculteurs — 527 en 2015 selon la Mutualité sociale agricole…

Il est important que l’État s’occupe du problème des suicides chez les paysans, mais surtout qu’il aboutisse à des résultats. Or ce plan ne permettra pas d’améliorer les conditions de travail des paysans.

En introduction de ce plan, le ministre de la Santé Olivier Véran explique que les suicides chez les paysans résultent de problèmes de santé mentale — donc de problèmes individuels. Autrement dit, que les paysans qui se suicident sont des personnes malades et qu’elles sont en quelque sorte responsables de leur situation. C’est indigne. Prétendre ceci, c’est refuser de regarder en face ce que sont devenues les conditions de travail des paysans aujourd’hui.

Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, lui, explique que si les paysans ont des revenus trop faibles, c’est de la faute des consommateurs qui refusent de sortir leur carte bleue pour acheter en circuits courts des produits français.

« Les ministres dédouanent complètement le complexe agro-industriel de ses responsabilités. »

Ces propos des ministres dédouanent complètement le complexe agro-industriel de ses responsabilités dans le portage et la mise en œuvre du modèle productiviste. Le plus fou, c’est que la mise en œuvre de ce plan a été confiée à ce complexe agro-industriel. [2] C’est-à-dire que ceux qui portent la responsabilité de la dégradation des conditions d’exercice du métier de paysan deviennent les acteurs devant accompagner les agriculteurs en difficulté ! Ce n’est pas entendable.

Quel bilan tirez-vous du quinquennat d’Emmanuel Macron pour l’agriculture ?

Emmanuel Macron est le digne héritier des présidents qui l’ont précédé sur les questions agricoles.

Il est peut-être même pire, puisqu’il développe des fonds pour la robotisation et la numérisation de l’agriculture, alors qu’on sait que les technologies déployées dans le secteur ont été un facteur de dégradation des conditions de vie des paysans. Il n’a jamais remis en cause les pratiques du complexe agro-industriel. Il en est même un des acteurs, en mettant en place les lois et règlements qui autorisent les super-profits de l’agro-industrie.

Pour moi, il n’y a rien de positif dans la politique agricole d’Emmanuel Macron.

Le dernier recensement agricole montre qu’il n’y a eu aucun infléchissement du rythme de diminution du nombre de fermes depuis le début de son quinquennat.

Sa loi Egalim n’a pas permis d’enrayer la disparition des paysans ni d’améliorer leurs conditions de travail.

Face à cela, nos organisations agricoles alternatives ont été considérées comme un complément de gamme aux propositions du complexe agro-industriel, qui s’accommode très bien de nous puisque nous offrons aux classes aisées l’accès à une agriculture de qualité.

Il faut qu’on pense ensemble les politiques agricole et alimentaire et qu’on crée de nouveaux partenariats.

Collaborer avec ceux que j’appelle les mangeurs, c’est-à-dire les citoyens qui souffrent également des politiques agricoles et alimentaires qui mettent sur le marché des produits certes peu chers, mais standardisés et de piètre qualité.

Il n’y a qu’à voir l’explosion des maladies liées à la malbouffe pour se rendre compte que l’agriculture et les produits agricoles ultratransformés sont aussi des armes de dégradation des conditions de vie des citoyens.


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Notes
[1] Créée en 1981 par des dissidents de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), elle a fusionné avec la Fédération nationale des syndicats paysans (FNSP) pour former la Confédération paysanne, résume-t-on sur le site de la BNF.
[2] Ainsi, comme l’écrit le magazine Plein champ, l’un des axes de ce plan « a pour objet de renforcer les réseaux de sentinelles, mis en place en 2018 par une trentaine d’organismes agricoles. Les sentinelles, ce sont des conseillers de Chambre d’agriculture, de centre de gestion, des inséminateurs, des techniciens de coopérative, des vétérinaires ou encore des préventeurs de la Mutualité sociale agricole. »


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