Des maraîchers bio astreints à une amende de 1500 euros par mois à cause de leur habitat précaire

jeudi 6 octobre 2022
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Source : Basta

Des maraîchers bio astreints à une amende de 1500 euros par mois à cause de leur habitat précaire


Injustice

6 octobre 2022 par Sophie Chapelle

Ils veulent vivre sur leur ferme sans construire de maison ni bétonner les sols. Mais ce couple d’agriculteurs, qui fait le choix de la sobriété, encourt une lourde amende s’ils n’évacuent pas leur mobile home.

Cinquante euros par jour d’amende à partir du 8 novembre prochain. C’est ce qu’encourent Adrien Cano et sa compagne Marine Dunand s’ils n’évacuent pas le mobile home de la ferme où ils travaillent. Le 8 août dernier, le maire de la commune a pris un arrêté de mise en demeure sous astreinte, ce qui menace fortement leur installation en maraîchage biologique.

La loi « Engagement et proximité » octroie depuis fin 2019 la capacité aux maires de dresser de lourdes astreintes financières contre les contrevenants au Code de l’urbanisme, sans passer par la justice.

Adrien et Marine, trentenaires, sont tous les deux originaires du Var. « Là-bas, les terrains sont excessivement chers et l’accès au foncier bloqué, explique Adrien.

Nous avons pris la décision d’acheter un terrain en Vendée, même si aucun de nous n’avait d’ancrage sur place. »

En 2018, alors qu’il attend son premier enfant, le couple achète 3,5 hectares de terrain agricole pour faire du maraîchage bio à Maché, commune de 1500 habitants à une vingtaine de kilomètres de La Roche-sur-Yon.

Le terrain comprend plusieurs bâtiments, dont l’un sert aujourd’hui de point de vente et de lieu de stockage, et l’autre d’abri pour leurs cinq moutons.

« Le rachat a coûté nos économies, explique Adrien. L’ancien exploitant vendait sa maison juste à côté, mais c’était trop cher pour nous. »

Ils décident donc d’installer deux mobile homes dans le troisième bâtiment, « sans aucune nuisance visuelle ou environnementale ».

Ceux-ci servent de logement pour eux et leurs deux enfants qui ont aujourd’hui deux et trois ans.

« Les mobile homes ne sont pas visibles de l’extérieur. Faire comme ça était pour nous une évidence et une obligation financière. En plus, ce mode d’habitat écologique et réversible correspond à nos valeurs personnelles. Nous ne voulons pas participer un peu plus à l’artificialisation des sols en construisant une maison. On a eu l’accord verbal du maire de l’époque. Marine était enceinte, notre projet démarrait, le maire nous laissait du temps. »

Un délai de trois mois pour évacuer les mobile homes

Voilà donc quatre ans qu’ils préparent leur projet agricole.

En attendant que la terre puisse passer en bio – il faut compter un délai légal de trois ans – Adrien enchaîne les formations et les stages, achète du matériel et aménage un local de vente à la ferme. « Nous constatons une amélioration constante de la biodiversité sur le terrain auparavant en monoculture, avec des hérissons, des vers de terre, des insectes, des oiseaux, des batraciens... Nous avons d’excellents rapports avec nos voisins qui nous soutiennent dans notre projet et notre souhait de vivre sur place. »

Le 10 janvier 2022, Adrien s’installe enfin comme chef d’exploitation. Depuis début octobre, Marine est salariée à temps partiel de l’entreprise.

Les ennuis commencent le 11 février 2022 avec un courrier rédigé par le nouveau maire de la commune. Il leur reproche l’installation de mobile homes dans un bâtiment agricole « contraire au règlement d’urbanisme », ainsi que la réalisation d’un assainissement autonome « sans autorisation ».

« On n’avait pas fait de déclaration préalable de travaux pour l’aménagement d’un logement de fonction, car on avait besoin de l’attestation MSA (mutuelle sociale agricole) selon laquelle je suis agriculteur, et je ne l’ai que depuis janvier 2022 », souligne Adrien.

Dans son courrier, le maire les informe qu’il souhaite constater l’éventuelle infraction en venant sur leur propriété le 22 février. « On l’a vu arriver avec deux gendarmes, il a pris des photos », se souvient le jeune maraîcher.

Cinq mois plus tard, le 22 juillet, un nouveau courrier du maire les informe qu’il envisage de prendre un arrêté de mise en demeure sous astreinte. « Il indiquait que nous avions dix jours pour faire un argumentaire. Les personnes qui suivaient notre dossier étaient en congé. On a demandé un délai supplémentaire, mais il nous l’a refusé, à deux reprises. » Le 8 août, l’arrêté de mise en demeure sous astreinte est signé par le maire laissant trois mois à Adrien et Marine pour évacuer leurs mobile homes, supprimer leur système d’assainissement et remettre en état les parcelles.


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« C’est aberrant dans un contexte de crise climatique qui s’ajoute à la crise du logement »

La possibilité pour un maire de prendre ce type d’arrêté, avec des astreintes à la clé et où il est seul juge pour le temps du contradictoire, fait partie des nouvelles dispositions de la loi « Engagement et proximité » de 2019. Elle leur octroie la capacité de dresser de lourdes astreintes financières contre les contrevenants au Code de l’urbanisme, sans passer par la justice [1].

Basta ! alertait à ce sujet dans une enquête publiée en décembre 2020. « Ces dispositions visent à accélérer les procédures, mais elles sont excessives, voire anticonstitutionnelles, réagit Paul Lacoste du réseau Halem (Association d’habitants de logements éphémères ou mobiles).

On a connaissance d’au moins trois arrêtés de ce type qui ont été pris fin juillet en Vendée, dans les Alpes-Maritimes et dans l’Hérault, en pleine période de vacances des avocats. À chaque fois, ce sont des familles qui sont visées avec des enfants souvent en bas âge. »

Les délais de recours au tribunal administratif sont de trois mois dans le cadre des procédures classiques.

Or, le couple des Alpes-Maritimes visé par le même type de procédure que Adrien ne dispose que de 45 jours. Au bout de ce délai, l’administration envoie un titre de perception précisant la somme redevable. En cas de non-paiement, les biens peuvent être saisis.

« Si ces arrêtés se généralisent, ils vont créer des sans-abris, reprend Paul Lacoste. Les gens en habitat léger le sont souvent par manque d’habitat accessible et parce que c’est excessivement cher. Dans le cas d’Adrien, 50 euros par jour, ça fait 1500 euros par mois ! Peut-on dépouiller ainsi des gens ? C’est aberrant à tous points de vue dans un contexte de crise climatique qui s’ajoute à la crise du logement. »

« Ces arrêtés, s’ils se généralisent, vont créer des sans-abris »

« Moi, j’agis au nom de tous ceux qui, eux, respectent les règles, se défend le maire, Frédéric Rager, dans Ouest France. D’ailleurs, des solutions de logement ont été proposées à Adrien Cano, mais il les refuse. »

« C’est vrai qu’une des premières fois où il nous a convoqués dans son bureau, il nous a parlé de logement social, réagit Adrien. C’était une proposition à l’oral. On lui a dit que ça ne nous intéressait pas, car nous voulions habiter sur la ferme. Nous avons besoin d’être sur place à des horaires très variés, de surveiller les semis et les lieux, car la ferme est un lieu ouvert... Aujourd’hui, même si on cherchait un logement à tout prix, on ne trouverait pas : la liste d’attente pour un logement social à Maché est longue comme le bras. » Une agence immobilière confirme une pénurie de biens en location sur le secteur de Maché.

Le droit de créer des résidences démontables

Interrogé par la presse locale sur la situation d’Adrien et de Marine, le maire de Maché défend sa position. « En matière d’urbanisme, il est hors de question que je valide ce projet, déclarait-il au Courrier Vendéen en février dernier. Je ne soutiendrai pas son dossier d’habitation illégale.

C’est irrégularisable. On autorise l’habitation en mobile home dans des cas d’urgence et avec parcimonie. » Pourtant, le nouveau plan local d’urbanisme intercommunal et habitat de la commune mentionne la possibilité, en zone agricole, de mettre en place des « secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées » (Stecal) « où peuvent être autorisées des résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs ».

Le nouveau plan local d’urbanisme de la commune de Maché mentionne la possibilité d’autoriser des résidences démontables.

« La création de Stecal relève du pouvoir dérogatoire du maire, souligne Paul Lacoste. Il y a là un vrai défaut de loyauté de l’administration : on a un couple qui s’installe, qui était en formation, qui a trouvé une solution de logement sur place évitant de faire du transport, qui demande comment ils peuvent régulariser... "On ne doit pas artificialiser", dit l’administration. Mais justement, c’est ce que fait Adrien. Le problème c’est la complexité, les refus successifs, alors que c’est un droit, c’est intégré dans le plan local d’urbanisme qu’on peut créer des Stecal. Le pendant de cette attitude, c’est l’intimidation. »

Situation kafkaïenne

Suite à la mise en demeure, Adrien et Marine sont en train de prendre connaissance de tous les recours possibles.

Ils ont également déposé une demande de déclaration préalable pour un projet d’aménagement d’un logement de fonction, auprès de la communauté de communes. « On doit compléter notre demande en précisant la nécessité d’une présence permanente sur la ferme », dit Adrien.

Les récentes déclarations du maire dans la presse les traitant de « pollueurs » en raison de leur assainissement non contrôlé [2], ont aussi conduit Marine et Adrien à déposer plainte pour harcèlement moral.

« Il n’était pas obligé de nous mettre en demeure, de refuser un délai supplémentaire pour la procédure contradictoire, et de faire des déclarations mensongères dans la presse en disant qu’on polluait, sans preuve. »

Pour prouver leur souci de l’environnement, le couple vient de faire réaliser des analyses de la qualité de l’eau de la mare située juste après leur phytoépuration.

Aucune « pollution particulière » n’est relevée selon les analyses que nous avons pu consulter. Ils ont bien tenté de faire contrôler leur phytoépuration par le service public local chargé de vérifier les installations d’assainissement non collectif, le Spanc.

« Ils m’ont répondu en mai dernier qu’il fallait d’abord faire ma maison... Mais s’ils ne viennent pas faire le contrôle, je ne pourrais jamais régulariser. C’est le serpent qui se mord la queue ! »

Suite à la mise en demeure, le Spanc les a informés ne pas vouloir « réaliser le contrôle avant l’instruction et les conclusions de la procédure pénale ». Une situation tout droit sortie de Kafka.


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