Iran/Lyon : Bonjour et au revoir...

samedi 31 décembre 2022
par  onvaulxmieuxqueca
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Source le site Médiapart

Billet de blog 30 déc. 2022 Moineau persan. Sepideh Farsi, Cinéaste
Paris - Iran
Sa biographie
Iranienne, devenue parisienne depuis un bon bout de temps déjà. Je suis cinéaste. L’image est mon élément naturel, les mots le sont un peu moins... Mais quand il le faut, je prends la plume.

Bonjour et au revoir...

« Vive la liberté ! Femme, vie liberté… Nous serons victorieux.

Le sang versé pour la liberté ne sera pas perdu. Ne soyez pas tristes.

Soyez joyeux, car la victoire est proche. » dit Mohammad Moradi dans son message d’adieu avant d’éteindre sa caméra à jamais. Un rassemblement à sa mémoire aura lieu le lundi 2 janvier 2023, de 18h à 20h. Place Mahmoud Darwich (3-5 Quai Malaquais 75006 Paris)

"Lorsque vous verrez cette vidéo, je ne serai plus vivant. Je serai mort. Je ne peux plus continuer à vivre cette vie « sans dignité », ni ici, ni en Iran, dit Mohammad Moradi, d’une voix qui trahit beaucoup plus ses émotions dans la version en langue persane de ses adieux, avant de mettre fin à ses jours ce lundi 26 décembre, en se jetant dans le Rhône. "Je veux montrer au monde que nous, iraniens, nous sommes très fatigués de cette situation, que nous iraniens avons besoin d’aide. Donnez votre attention à notre pays, l’Iran." continue-t-il.

Il avait pris soin de faire deux vidéos, une en persan, adressée aux iraniens, où il est plus direct et plus émotionnel, et l’autre, dans un français quelque peu hésitant, mais néanmoins très touchant, où il remercie les lyonnais pour l’accueil qu’ils lui ont réservés depuis trois ans.

Mais de cette vie « sans dignité » comme il la qualifie, il n’en veut plus, ni en Iran, ni même à Lyon, où l’air est pur, où il gagne bien sa vie, comme il l’explique, où il aime sa femme et où il étudie l’histoire.

N’est-ce pas cette perspective historique des choses qui pousse Mohammad à mettre fin à ses jours. Pour que sa mort, au-delà de son existence, serve la cause iranienne ? Lui, plongé dans des études d’histoire, qui sent que l’Iran est voué à disparaître en tant qu’entité territoriale, si nous iraniens et le monde extérieur avec nous, ne faisons pas ce qu’il faut, pour nous débarrasser du régime islamique qui massacre le pays et ses habitants depuis bientôt 44 ans.

C’est une décision prise au calme et sans stress précise Mohammad, sans dérober son regarde de la caméra. Mais est-ce possible de mettre fin à sa vie, si calmement et avec autant de modestie ?

J’essaie de comprendre. Si tant est qu’une lecture sensée d’un tel acte soit possible. Je me plonge dans son compte instagram où il a posté les vidéos annonçant sa décision et qui est couvert de postes sur la révolte iranienne, depuis trois mois.

Ses postes plus anciens et plus personnels, datant d’avant le mois de septembre, montrent un homme jeune et plutôt fin. On devine un être curieux de la vie, un grand lecteur, aimant sa femme, qui ne dessine, elle, que les martyres de la révolte, qu’elle partage à son tour sur son compte instagram. Ce qui montre leur souci commun pour la révolte en cours en Iran. Au hasard des publications de Mohammad, je vois des couvertures de livres postés. « Les justes » de Camus. « Prélude au néant » de Bartelemy. « Les versets sataniques » de Rushdi. « Le ministère du bonheur suprême » de Arundhati Roy…

Un bonheur qu’il ne supportait plus.

Mais ce n’est pas la première fois qu’un iranien agit de la sorte. Homa Darabi l’avait déjà fait, et de façon très flagrante, elle aussi.

Elle était pédopsychiatre à Téhéran et militait contre le Chah pendant ses années d’études, et depuis la 1979, pour le droit des femmes et contre le hijab, qu’elle avait refusé de porter, s’exposant à son renvoi pur et simple de l’université, puis à l’interdiction totale de l’exercice de son métier. Son mari s’opposant à son départ du pays.

Elle avait résisté tant qu’elle avait pu, jusqu’au jour au mois de février 1994 où elle avait décidé d’en finir, mettant fin à ces jours en s’immolant sur la place publique en criant « vive la liberté ».

La mort de Homa Darabi est un couteau tourné dans la plaie, note Shahrokh Meskoub, grand écrivain iranien, lui-même mort en exil à Paris en 2005.
Parvaneh Forouhar, grande activiste iranienne dit à propos de Homa Darabi « Elle pensait qu’après la révolution, les femmes auraient leur place dans la société, or depuis, les femmes ont surtout perdu et n’ont rien gagné. On ne se souviendra de Homa Darabi que par des images faisant preuve de force, même jusqu’à son dernier cri, poussé au moment où elle brûlait. »

Parvaneh Forouhar ainsi que son mari Dariush Forouhar furent sauvagement assassinés par les milices du régime iranien en 1998.

Depuis la prise de pouvoir de Khomeini en 1979, d’autres figures de la diaspora iranienne ont choisi de mettre fin à leurs jours à Paris, et toujours dans des circonstances fort dramatiques. Ce fut le cas de Hajir Dariush (metteur en scène) en 1994 ou de Eslam Kazemieh (écrivain) en 1996.

Mais la mort de Mohammad Moradi me frappe par ce que son acte véhicule de candeur et d’innocence, par cette incompatibilité avec le bonheur et son incapacité à vivre alors que ses compatriotes se font massacrer par ce régime dans leur combat pour la liberté.

Hier soir, sur la timeline tweeter, j’ai vu passer un bout de poème de Forough Farrokhzad partagé par une iranienne qui disait…

« La vie
N’est qu’un adieu
Et le bruit de tes pas, le dernier son qui reste. »
Et juste après, un autre tweet, d’une autre iranienne qui écrivait que ce poème est certes magnifique, mais qu’il y a des moments dans l’existence, où la poésie ne suffit plus comme rempart contre l’horreur.
C’est peut-être ce que Mohammad Moradi a pensé avant de décider nous quitter.


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