Quand les ouvriers se révoltent (5/5) | Bosnie-Herzégovine : l’Université ouvrière de Tuzla, des bancs d’école dans les usines

samedi 28 mai 2022
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Le courrier des Balkans

Quand les ouvriers se révoltent (5/5) | Bosnie-Herzégovine : l’Université ouvrière de Tuzla, des bancs d’école dans les usines


Courrier des Balkans | Correspondance particulière | jeudi 30 janvier 2020
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Par Aline Cateux
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Si la Bosnie-Herzégovine est aujourd’hui un pays désindustrialisé, grignoté par la corruption, le clientélisme et les privatisations illégales, elle a été, durant la période yougoslave, un fleuron industriel de la Fédération, la République ouvrière par excellence. Tuzla, la grande ville du nord-est du pays, rassemblait des industries chimiques, des mines, des fabriques de meubles, des entreprises d’électricité. Ville rouge, ouvrière, industrielle, Tuzla a en outre longtemps bénéficié d’une aura de ville antifasciste, non-nationaliste, résistante... Un peu comme Sarajevo qui, elle, vit depuis 25 ans sur son image aujourd’hui trompeuse de ville multiethnique et tolérante.

L’esprit d’action collective

Qu’est devenue Tuzla alors que, comme partout ailleurs en Bosnie-Herzégovine, ses industries ont été privatisées illégalement et sont tombées aux mains d’anciens profiteurs de guerre et de criminels devenus d’opulents hommes d’affaires ? Qu’advient-il de cette ville dirigée depuis 20 ans par Jasmin Imamović, ancien grand espoir du Parti social-démocrate (SDP) qui, s’il a tout d’abord lui aussi bénéficié d’une aura d’intellectuel dans un océan de politiciens incultes, s’avère depuis l’année dernière et l’arrivée de réfugiés dans sa ville, être aussi populiste et incompétent que ses confrères ?
C’est à Tuzla qu’ont démarré les révoltes sociales de 2014 et c’est là qu’elles ont été les plus puissantes. Berceau de ce soulèvement qui a brièvement embrasé le pays, Tuzla a été la ville d’où sont parties les manifestations des travailleurs de nombreuses entreprises et usines non payés depuis des mois, non couverts par la sécurité sociale bosnienne, qui réclamaient leur dû pour leur retraite.

Ce n’est donc pas un hasard si c’est à Tuzla que l’Université ouvrière - Radnički Univerzitet - a vu le jour. Projet ambitieux de l’association Novi Front Slobode (« Nouveau front de la liberté », en référence au mythique journal de Tuzla Front Slobode) créée en 2013, l’Université ouvrière veut changer les termes du débat.

« Tout a commencé sur la question des droits des travailleurs », explique Sanja Horić, membre de Front Slobode et très active dans l’organisation de l’Université ouvrière. « Ils ne savent pas quels sont leurs droits, ils ne savent pas quelles sont les obligations des employeurs. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive quand on ne les paie plus, quand ils découvrent que les cotisations pour leur retraite n’ont jamais été versées. Ils sont seuls. »

Des écoles à l’usine

C’est ainsi qu’ont débuté les « classes sur les bancs des usines », véritables cours de droits sociaux où l’Université ouvrière enseigne les contenus des lois sur le travail, des règles des mises en faillite, des privatisations... L’équipe a fait ses armes pendant la lutte des travailleurs de l’usine de détergents Dita, qui avait réussi dans un premier temps à sauver les moyens de production de l’entreprise et à la remettre en route après une première privatisation crapuleuse jusqu’à son rachat par Senad Džambić, un magnat douteux à la tête de la chaîne de supermarchés Bingo et proche du Parti de l’action démocratique (SDA).

« Nous avons organisé de petits campements devant l’usine Dita », raconte Sanja Horić. « Après, nous sommes allés visiter les employés des autres usines qui se battaient et nous leur avons expliqué comment ceux de Dita s’étaient battus. Nous sommes allés à Konjuh à Živinice et à Fortuna à Gračanica. Nous avons ensuite proposé des services légaux, juridiques, et monté des ateliers pour apprendre à rédiger une plainte, un rapport, une demande. »

Dans un pays où le clientélisme est roi, nombreux sont celles et ceux qui hésitent à s‘engager dans les luttes syndicales par peur des conséquences : peur de perdre son emploi, mais aussi peur des menaces physiques, sur la famille, ou des intimidations dont sont victimes les syndicalistes ou militants non syndiqués. Ceux qui prennent la tête des mobilisation ouvrières sont souvent les plus âgés. Cette génération qui a fait l’essentiel de sa carrière pendant le socialisme autogestionnaire yougoslave a appris à s’organiser dans les conseils ouvriers. Si l’autogestion yougoslave n’a pas été particulièrement émancipatrice, elle a tout de même légué aux travailleurs un solide savoir-faire sur les questions touchant au collectif : organisation, élaboration de revendications, de documents écrits, de comptes-rendus. Or, depuis dix ans, cette génération est en train de disparaître des rangs des salariés, emportant avec elle un savoir-faire qu’elle n’a pas toujours pu transmettre.

Action politique

En plus de ces actions sur le terrain, l’Université ouvrière a développé un séminaire estival baptisé « école d’éducation sociale ». Différents cours destinés aux plus jeunes autour de l’activisme et de la solidarité sont enseignés. L’Université ouvrière organise en outre régulièrement des rencontres ouvertes sur des thèmes économiques, sociaux, politiques, culturels où chacun peut venir écouter et interroger les intervenants, universitaires, experts, militants. L’énorme fond d’archives de Front Slobode, qui a paru de 1943 à 1992, a été mis à la disposition des étudiants travaillant sur le mouvement ouvrier ou de toute personne intéressée.

Dans un pays de plus en plus répressif contre toute opposition au pillage des ressources économiques, naturelles et sociales, le travail de l’Université ouvrière, et plus largement de Novi Front Slobode, est crucial. Depuis 25 ans, l’impunité où évoluent les élites ethno-nationalistes et criminelles en a découragé plus d’un. Celles et ceux qui se mobiliseraient volontiers estiment souvent que les batailles sont perdues d’avance. L’Université ouvrière réfléchit, elle, à de nouveaux modes d’action, sachant que plus rien ne sera obtenu par les voies traditionnelles de mobilisation dans la rue.


https://www.courrierdesbalkans.fr/Universite-Ouvriere-de-Tuzla-action-solidarite-education-ouvriere
Autogestion de l’usine Dita
https://autogestion.asso.fr/dita-bosnie-interview-demina-busuladzic-responsable-du-comite-de-greve-et-doccupation/


sur le site « On vaulx mieux que ça »

DITA à Tuzla : Une lutte exemplaire

http://onvaulxmieuxqueca.ouvaton.org/spip.php?article3741

A Tuzla (Bosnie-Herzégovine), les citoyens réinventent la démocratie directe

http://onvaulxmieuxqueca.ouvaton.org/spip.php?article3701


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