Transition énergétique en Allemagne : le gâchis des années Merkel. Heureusement que les mouvements citoyens et coopératifs ont agis concrètement

mercredi 21 décembre 2022
par  onvaulxmieuxqueca
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Transition énergétique en Allemagne : le gâchis des années Merkel

Source : Reporterre

Transition énergétique en Allemagne : le gâchis des années Merkel

Pendant plus d’une décennie, les lobbies fossiles ont usé de leur influence pour ralentir le développement des renouvelables, largement portés par des mouvements citoyens. [1/4]
Vous lisez la première partie de l’enquête « En Allemagne, une transition à tout prix ». La suite sera publiée demain.

https://reporterre.net/Transition-energetique-en-Allemagne-le-gachis-des-annees-Merkel


La neutralité carbone est-elle une utopie ?

Pas du tout, répondent les habitants de Rhein-Hunsrück, à l’ouest de Francfort.


Eux l’ont réalisée.

Les émissions de CO2 de leur canton, qui s’élevaient autrefois à 690 000 tonnes par an, sont nulles depuis 2018.

Un succès fait de sobriété énergétique et d’abandon des énergies fossiles : éoliennes, panneaux solaires et déchets végétaux alimentent en électricité et en chauffage les quelque 100 000 habitants du canton.

Le surplus est revendu sur le marché, les millions d’euros de bénéfices en sont redistribués entre les communes et les coopératives citoyennes. « Chacun tire profit de la transition, ça génère une très forte acceptation », explique Frank-Michael Uhle, en charge des questions climatiques au sein du canton.

Renouvelable, décentralisée, aux mains des citoyens : Rhein-Hunsrück incarne le modèle de la transition énergétique à l’allemande, telle qu’elle a été théorisée dans les années 1980 dans les milieux pacifistes. Une énergie sans gaz à effet de serre, sans polluants… ni déchets radioactifs, pour ces opposants farouches au nucléaire. Un projet écologique, démocratique, social.

Les habitants de Rhein-Hunsrück sont bien seuls. Il s’agit de l’unique canton neutre en carbone outre-Rhin. D’autres communes sont certes sur la même voie. Mais à l’échelle nationale, le bilan de la transition énergétique est loin d’être reluisant. Le secteur de la production d’électricité reste le plus gros émetteur de gaz à effet de serre : en 2021, le charbon représentait 30,2 % de la production électrique, le gaz naturel 12,6 %. Or, sans énergie verte, pas d’industrie verte, ni de transports verts. Pas de transition tout court.

© Clarisse Albertini/Reporterre

L’Allemagne pionnière dans les années 90


Comment l’Allemagne pionnière a-t-elle pu prendre autant de retard ?

Pour comprendre, il faut rembobiner le film.

En 1991, l’aventure a bien commencé.

L’Allemagne d’Helmut Kohl instaura la toute première loi au monde en faveur des renouvelables : dorénavant, les grands énergéticiens auraient l’obligation de récupérer et rémunérer l’électricité produite par des tiers à partir de renouvelables.

Le chancelier conservateur percevait l’Energiewende (littéralement « tournant énergétique ») comme un projet industriel qui devait ouvrir de nouveaux marchés au « made in Germany », un récit collectif dans une Allemagne fraîchement réunifiée.

Quatre ans plus tard, Berlin accueillait la toute première conférence de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur le climat, la COP1.

Helmut Kohl suscita l’admiration internationale en promettant de baisser d’un quart les émissions de CO2 de son pays en quinze ans. L’organisatrice de la COP1 n’était autre que… Angela Merkel, une physicienne d’ex-RDA alors parfaitement inconnue, nommée ministre de l’Environnement quelques mois plus tôt.

La gauche est arrivée au pouvoir, allant plus loin.

À partir de l’an 2000, l’électricité renouvelable serait injectée « en priorité » dans le réseau.

Un nouveau système de tarif d’achat garanti sur vingt ans incitait les particuliers à investir.

Une taxe payée par les consommateurs finance la transition.

Dépassant toutes les espérances, la part de renouvelables est ainsi passée de 6,3 à 17 % en dix ans, les innovations technologiques se bousculant.

« On est allés si loin qu’en 2010, la région de Bavière comptait à elle seule plus de panneaux solaires que les États-Unis et le Japon pris ensemble », se souvient l’écologiste Hans-Josef Fell, qui a coécrit la loi « EEG », copiée depuis dans des dizaines de pays.

Attablé dans un café du parc du Tiergarten à Berlin, le retraité de la politique se remémore les négociations qui ont abouti à la loi.

« Douze paragraphes ayant permis de créer une vraie participation démocratique dans la production d’énergie », dit-il fièrement.

En 2010, près de la moitié des capacités de production en renouvelable appartenait à des personnes privées : coopératives citoyennes, particuliers et agriculteurs. Seuls 5 % étaient détenus par « die großen Vier », les quatre géants de l’électricité outre-Rhin que sont RWE, Vattenfall, E.ON et EnBW. La transition était non seulement technologique, mais aussi sociétale.

Le mythe des énergies renouvelables trop chères

La contre-attaque n’a pas tardé.

Les grands groupes voyaient d’un mauvais œil cette Bürgerenergie (« énergie citoyenne ») qui lui prenait des parts de marché : 1 kilowattheure sur 7 lui échappait.

Angela Merkel parvenue au pouvoir, un décret passé en catimini signait la fin de la croissance exponentielle du solaire et de l’éolien.


Les énergéticiens obtinrent le droit de revendre en bourse l’électricité renouvelable, tout en bénéficiant de généreuses aides de l’État.

Tandis que les bénéfices des sociétés s’envolaient, les consommateurs payaient le courant toujours plus cher.

En outre, le gouvernement exempta de plus en plus d’entreprises de payer la taxe, ce qui reportait d’autant la charge sur les ménages.

Le coupable de la hausse des tarifs, qui deviendraient les plus chers d’Europe, était tout trouvé : le renouvelable.

En discutant avec les acteurs de l’époque, le nom d’une entreprise revient souvent : RWE, 53 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2010, 55 % de production électrique à base de charbon, 19 % à partir de gaz, 20 % à partir de nucléaire à l’époque.

Avec l’association patronale INSM, elle a multiplié les campagnes de désinformation auprès des politiques, des médias et du grand public. « Ils racontaient que les énergies renouvelables étaient très chères et qu’on subventionnait des technologies qui ne marchaient pas, raconte Christina Deckwirth, de l’association de surveillance des lobbies Lobbycontrol. L’argument du coût, ça marche toujours très bien auprès de la population. »

« Il s’agit d’un mythe destiné à discréditer les renouvelables, déplore Claudia Kemfert, économiste de l’Institut pour la recherche économique (DIW).

Au tout début, il est vrai que l’éolien et le solaire coûtaient cher, quand c’était une niche. Mais avec le développement du marché, les prix avaient déjà baissé nettement. »

Sans jamais citer de source, le fidèle bras droit d’Angela Merkel, Peter Altmaier, propageait le chiffre de 1 000 milliards d’euros que coûterait la transition énergétique. À ce prix-là, qui en voudrait ?

Les grands groupes assuraient avoir la solution pour offrir une électricité à la fois sûre, bon marché et bonne pour le climat : revenir aux vieilles recettes.

Ils parvinrent presque à faire annuler la sortie du nucléaire qui avait été décidée en 2002, avec l’accord d’Angela Merkel. Mais le plan échoua lorsqu’un tsunami déferla sur la centrale de Fukushima, au Japon, le 11 mars 2011.

Greenwashing dans le charbon
« Die großen Vier » ont plus de succès avec le « clean coal » (« charbon propre »), une technologie censée réduire les émissions de polluants et de gaz à effet de serre des centrales. C’est ainsi qu’en pleine transition énergétique, de nouvelles centrales à charbon ont vu le jour outre-Rhin. En 2012, Peter Altmaier inaugurait la plus grande centrale à lignite du monde, Boa 2&3, à Neurath, près de Cologne. « Il ne faut pas mettre dos à dos les renouvelables et les énergies fossiles », assurait-il. En 2015 s’ouvrit la centrale à houille de Moorburg, à Hambourg. Datteln IV suivrait en 2020, près de Dortmund. Quand, finalement, la coalition des conservateurs et des sociaux-démocrates fixa un calendrier de sortie de charbon, c’était à nouveau au détriment du climat : la date choisie est 2038, soit huit ans trop tard pour respecter l’Accord de Paris. Les exploitants de centrales à lignite, RWE et Leag, se dirent satisfaits de l’accord : ils étaient dédommagés à hauteur de 4,35 milliards d’euros.

Dans le secteur des renouvelables, au contraire, on faisait grise mine. Les mandats d’Angela Merkel se succédaient, les ennuis s’accumulaient.

À coup de réformes, la loi EEG est devenue un « monstre bureaucratique » de plus de 140 pages, dénonce Hans-Josef Fell. « Tout devient plus compliqué, plus long, abonde Annika Joeres, autrice d’un livre sur les lobbies fossiles (Klimaschmutzlobby, Piper Verlag, non traduit).

La puissance des nouveaux parcs photovoltaïques a été limitée de façon arbitraire, les subventions drastiquement réduites…

L’industrie solaire allemande, la première au monde en 2011 avec 156 000 employés, était détruite. La vitesse de déploiement est réduite de moitié. « Un grand succès », se félicita en 2012 devant le Parlement Peter Altmaier, ministre de l’Environnement (conservateur, CDU).

En 2017, l’éolien plongeait à son tour. L’Allemagne ne soutenait désormais plus que les projets les moins chers, via un système d’appel d’offres qui entraîna une spirale infernale de dumping des prix.

Faillites et délocalisations s’enchaînaient chez les fabricants d’éoliennes, l’installation de turbines baissa d’un tiers en un an. « Il ne faut pas foncer tête baissée dans la transition énergétique », justifiait en 2018 Peter Altmaier, toujours lui, désormais au portefeuille de l’Économie.

Les coopératives citoyennes, motrices de la transition énergétique, étaient sommées de répondre aux mêmes exigences que les entreprises. Il devint moins facile de créer une coopérative et de gérer l’électricité produite.

Le pouvoir des lobbies

« Les coopératives ne suffisent plus, il faut organiser les choses de manière professionnelle », assurait en 2018 Bernd Westphal, porte-parole du SPD, le parti social-démocrate qui cogouverna avec le parti conservateur durant trois des quatre mandats d’Angela Merkel.

Sur ce sujet comme sur le reste, le gouvernement reprenait l’argumentaire des énergéticiens : le coût des renouvelables, le risque de manquer d’électricité, ou encore le coût social de la disparition des emplois liés au charbon — ils n’étaient qu’à peine plus de 26 000 à l’époque.

Tous les moyens semblaient bons pour influencer les choix politiques. Commandes d’études orientées [1], invitations de dirigeants à des voyages, offres d’emploi grassement rémunéré… et même des pratiques illégales, comme l’a révélé « l’affaire RWE » de 2004 : deux dirigeants de la CDU d’Angela Merkel furent contraints à la démission après que la presse ait révélé qu’ils avaient indûment perçu des dizaines de milliers d’euros de la part de l’énergéticien. En Rhénanie, où RWE exploite des mines, près de 200 élus locaux étaient alors des salariés de la société.

Dans la foulée du scandale, le numéro 1 allemand de l’électricité annonça mettre fin à son habitude de verser chaque année des dons au parti conservateur — le financement des partis politiques par des personnes morales est légal et illimité en Allemagne (et opaque). RWE, à l’instar d’E.ON, Vattenfall et EnBW, continua cependant de financer indirectement le mouvement en sponsorisant des événements comme les congrès des partis. « Le sponsoring est une façon supplémentaire d’avoir accès aux politiques, décrypte Christina Deckwirth. Mais il faut en avoir les moyens. Les entreprises fossiles sont surreprésentées. »

Le lobby du gaz naturel n’était pas en reste.

« Les fédérations ont beaucoup œuvré pour vendre le gaz comme une énergie propre, bonne pour le climat, et donc incontournable », raconte Christina Deckwirth. Moins émetteur de CO2 que le charbon, le gaz naturel est estampillé « technologie de transition » en Allemagne. Sa contribution au réchauffement climatique, par ses émissions de méthane, est largement minorée.

L’industrie du gaz, notamment russe, bénéficie de relais au plus haut niveau, notamment avec celui qui est aujourd’hui surnommé par la presse allemande « le lobbyiste en chef de Vladimir Poutine » : l’ex-chancelier social-démocrate Gerhard Schröder a rejoint dès la fin de son mandat, en 2005, le conseil d’administration de la société des gazoducs Nord Stream.

Du côté d’Angela Merkel, aucun lien personnel n’a jamais été établi, ni même soupçonné avec des entreprises en particulier. Pas de « pantouflage » à ce stade, pour celle qui a quitté la politique l’an dernier. Pourquoi s’est-elle alors si peu engagée pour la transition énergétique de son pays, à rebours de ses prises de position sur la scène internationale qui lui ont valu le surnom de « chancelière du climat » ? « En politique intérieure, Angela Merkel n’a rien entrepris qui aurait pu lui causer du tort. Sa priorité, c’était la stabilité politique », explique son biographe Ralph Bollmann. La principale intéressée évite de répondre à la question, reconnaissant simplement à la fin de son mandat que « le résultat n’est pas satisfaisant ».

« L’empreinte carbone d’un Allemand s’élève à 11,2 tonnes d’équivalent CO2, autant qu’un Français »

Aujourd’hui, l’héritage des années Merkel laisse un goût amer aux Allemands. « Pour l’instant, c’est davantage un laboratoire qu’un modèle » en matière de transition énergétique, analyse le chercheur Gilles Lepesant, auteur de Géographie des énergies (éd. Hermann).

« Les efforts financiers consentis, les avancées législatives, la mobilisation des acteurs restent sans équivalent en Europe, voire dans le monde », souligne-t-il. Avec près de 50 % de renouvelables, le pays a renouvelé la moitié de son mix électrique en moins de vingt ans.

« Sans ces manœuvres pour ralentir le rythme, on serait aujourd’hui à 80 % de renouvelables et on aurait bien moins de charbon et de gaz », déplore Claudia Kemfert, de DIW. « On a perdu plus de dix ans », déplore Viola Theesfeld, de la fédération des coopératives citoyennes d’énergie Bundesverband Bürgerenergie.

Sans le ralentissement économique due à la pandémie de Covid-19, l’Allemagne n’aurait pas atteint son objectif de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2020, par rapport à 1990.

Toutefois, en prenant en compte tous les secteurs d’activité et les importations, l’Allemagne ne fait pas moins bien que la France : l’empreinte carbone d’un Allemand s’élève à 11,2 tonnes d’équivalent CO2, selon l’Office fédéral de l’environnement. C’est autant qu’un Français.

La nouvelle alliance au pouvoir, emmenée par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz, promet de faire mieux.

Elle vise un objectif de 80 % de renouvelables d’ici 2030 contre 65 % précédemment, afin d’atteindre la neutralité carbone dès 2045.
Mais à la surprise générale, RWE vient de recruter un proche collaborateur de l’écologiste Annalena Baerbock, ancienne patronne des Verts allemands et actuelle ministre des Affaires étrangères, pour représenter l’entreprise dans les cercles de pouvoir berlinois.


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Le solaire allemand s’attaque au géant chinois


Détruite sous l’ère Merkel, l’industrie photovoltaïque retrouve des couleurs et rêve d’indépendance vis-à-vis du géant chinois. Reportage au cœur de la « Solar Valley
 ». [3/4]

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