En Italie, des ouvriers d’une usine automobile luttent pour sa reconversion écolo. Vélo cargo actuellement…et bientôt des panneaux photovoltaïques. La lutte ne s’arrête pas, soyons solidaire.

mardi 12 décembre 2023
par  onvaulxmieuxqueca
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Source : Reporterre

En Italie, des ouvriers d’une usine automobile luttent pour sa reconversion écolo

Par Caroline Bordecq et Piero Cruciatti (photographies)
12 décembre 2023

Depuis deux ans, les ouvriers d’une usine qui fabriquait des composants automobiles, s’organisent contre la fermeture du site et pour sa reconversion. Le 1er janvier 2024, 185 travailleurs pourraient être licenciés.
Campi Bisenzio (Italie), reportage

Sur le parking de l’ancienne usine GKN de Campi Bisenzio, près de Florence, le brouhaha joyeux des conversations tranche avec le silence de plomb à l’intérieur de l’immense salle des machines, à l’arrêt depuis deux ans. « En juin dernier, j’ai fêté vingt-six ans de boîte. C’est plus que la moitié de ma vie », calcule Mirko Abatangelo, en buvant son café, emmitouflé dans sa polaire floquée « Collettivo di fabbrica », un collectif réunissant les travailleurs de cette usine de composants automobiles.

« L’assemblée commence dans dix minutes dans le réfectoire ! » s’époumone Massimo Cortini, avant de sauter en riant du grillage sur lequel il s’était juché pour mieux se faire entendre. La bonne humeur contagieuse de l’ouvrier ferait presque oublier ce qui a poussé des centaines de travailleurs et soutiens à sortir dans le froid matinal, dimanche 3 décembre.

À l’ordre du jour : le licenciement des 185 ouvriers, le 1er janvier 2024. Un coup dur pour ceux qui mènent une bataille depuis deux ans contre la fermeture de leur site et pour sa reconversion écologique.

Un groupe de choristes de France et d’Italie chantent des chansons pendant le petit déjeuner dans le bar de l’ancienne usine GKN de Campi Bisenzio, le 3 décembre 2023. © Piero Cruciatti / Reporterre
La plus longue résistance ouvrière italienne

Tout a commencé le 9 juillet 2021. Ce matin-là, Dario Salvetti, délégué syndical, s’apprêtait à partir à la mer quand il a reçu un courriel de son employeur, la multinationale GKN Driveline. On lui annonçait le licenciement des 442 travailleurs et la fermeture de l’usine, qui serait délocalisée.

L’ouvrier a alors prévenu ses collègues, tous mis en congé par l’entreprise ce jour-là.

« Comme on se fait souvent des blagues, parfois un peu poussées, personne ne m’a pris au sérieux », se souvient-il.

Très vite, des centaines d’entre eux sont arrivés devant l’usine. Les ouvriers sont parvenus à forcer un portail et à s’infiltrer, malgré la présence d’agents de sécurité.

« On leur a dit : “Vous êtes peut-être grands et forts, mais nous sommes nombreux et ici c’est chez nous !” », raconte Massimo Cortini, revivant la scène.

Dès ce jour-là, la lutte s’est mise en place à travers le collectif d’usine et la devise « Insorgiamo » (« Soulevons-nous »), empruntée aux partisans florentins antifascistes de la Seconde Guerre mondiale.

Depuis, les ouvriers se relaient jour et nuit dans l’usine, organisant la plus longue résistance de l’histoire ouvrière italienne.

Dans le bar autogéré de l’usine, le logo de Collettivo di fabbrica et le slogan « Insorgiamo » (« Soulevons-nous »). © Piero Cruciatti / Reporterre

En septembre 2021, la justice a annulé les licenciements.

Trois mois après, un entrepreneur italien a racheté l’usine, promettant de la relancer. Mais l’usine n’a pas redémarré. Rien n’a bougé. Pire : un an plus tard, et pendant huit mois, les ouvriers n’ont plus été payés. Plus de la moitié ont fini par démissionner. En février dernier, le propriétaire a annoncé la liquidation. L’occupation a empêché la relance de l’usine, disait-il.

« Notre lutte est collective »

Malgré les coups encaissés, la lutte a continué de s’organiser.

Les ouvriers ont créé une société de secours mutuel pour ceux en difficulté.

Certains ont parcouru le pays pour raconter leur histoire.

Et les liens avec les autres causes sociales et écologiques se sont renforcés.

« Notre lutte est collective. Nous sommes allés dans d’autres usines, on s’est rapprochés des mouvements pour les droits LGTBQ+, des écologistes, etc. », explique Massimo Cortini.

Les ouvriers de l’ex-GKN sont partout.

En octobre 2022, ils ont réuni des milliers de personnes dans les rues de Bologne avec Fridays For Future. Ils ont été parmi les premiers à venir en aide aux sinistrés, au lendemain des inondations de novembre de cette année. Et même dimanche 3 décembre, un groupe a filé dans le centre de Florence pour manifester contre le sommet de l’extrême droite européenne, organisé par le vice-premier ministre italien Matteo Salvini.

Mirko Abatangelo : « En juin dernier, j’ai fêté vingt-six ans de boîte. » © Piero Cruciatti / Reporterre

« Ils n’ont jamais caché leur vulnérabilité : s’ils se limitaient à leur cause ils allaient perdre, les rapports de force étant trop disproportionnés. Dès le début, ils ont ouvert l’usine au territoire et aux personnes externes solidaires.
Et beaucoup ont répondu à leur appel à converger », raconte Leonard Mazzone, chercheur à l’université de Florence et auteur de l’ouvrage Le Imprese ricuperate in Italia (Les entreprises récupérées en Italie).

De ces convergences est née une évidence : s’il faut réindustrialiser l’usine, la reconversion sera écologique. « Quel genre de fous on aurait été de ne pas partir de là ? » interroge Dario Salvetti.

Vélos cargo et panneaux photovoltaïques

À l’aide d’un groupe de chercheurs solidaires, les ouvriers ont identifié deux projets. Le premier : la fabrication de vélos cargo. L’idée est partie de la volonté de « proposer une mobilité différente du fourgon qui pollue pour le transport de marchandises », raconte Giovanni Biancalani, 47 ans. Un enjeu de taille dans les centres historiques italiens, comme celui de Florence.

Dario Salvetti est le premier à avoir appris le licenciement des salariés, le 9 juillet 2021. © Piero Cruciatti / Reporterre

« Plutôt que de rester à pleurer sur notre sort, chacun a mis à disposition ses connaissances pour monter un plan de réalisation. On a rencontré des personnes qui produisaient déjà des vélos cargo, on a réfléchi aux compétences qui nous servaient », se souvient-il.

Au même moment, une coopérative florentine de livraison leur a demandé de lui construire un de ces vélos.
« On a écouté leurs exigences, en fonction des poids à transporter, du fait qu’ils roulent sur des rues pavées, etc. », explique-t-il, en montrant les prototypes réalisés à partir de vélos abandonnés.

« Celui-ci est plein de boue, car on l’a utilisé pour apporter de l’eau, de la nourriture, des bottes, aux sinistrés pendant les dernières inondations. Les voitures ne passaient pas, mais notre vélo oui », raconte l’ancien responsable de service.

Simone Di Giulio, de Robin Coop, est aidé par le boucher Luca Menoni pour charger une cargaison de marchandises sur un prototype de vélo développé par le Collettivo di Fabbrica GKN, dans le centre de Florence, le 4 décembre 2023. © Piero Cruciatti / Reporterre

Aujourd’hui, l’équipe a même développé un modèle de processus de production de type industriel, en pensant aux machines, aux étapes de fabrication, etc.

Mais à ce stade, « on ne pourrait pas engager deux cents personnes sur ce projet, une dizaine suffirait pour démarrer », tempère Giovanni Biancalani.

Ainsi, le cœur du plan de réindustrialisation des salariés de l’usine repose surtout sur une autre activité : la fabrication de panneaux photovoltaïques.

L’idée est née d’une entreprise italo-allemande qui a breveté une technologie bas carbone permettant de fabriquer ces produits sans utiliser de lithium, de silicium et de cobalt. Évitant ainsi l’exploitation des terres dans des pays du Sud.

« On a toujours gardé la tête haute »

« Cette start-up a besoin d’un établissement et de compétences. Nous, on en a quelques-unes, il faudrait aussi embaucher, mais il manque surtout beaucoup d’argent, c’est un projet qui a besoin de plusieurs millions d’euros pour être lancé », continue Giovanni Biancalani.

Pour ne pas perdre de temps, le groupe de chercheurs et ouvriers a créé une coopérative grâce aux quelque 170 000 euros récoltés en quelques mois grâce à une levée de fonds auprès du public. Un accord a aussi été conclu avec des investisseurs.

Parallèlement, « on continue à demander une intervention des autorités publiques sans laquelle aucune réindustrialisation ne pourra aboutir, ne serait-ce que pour pouvoir utiliser ce bâtiment », explique Leonard Mazzone. Mi-octobre, le gouvernement a enfin convoqué une réunion technique permettant au collectif de travailleurs de présenter leur plan. Depuis, plus rien.

« On pourrait chercher un autre établissement plus petit, mais notre force c’est la question sociale autour de l’avenir de ces 80 000 m² : qu’est-ce qu’on en fait ?

Pourquoi j’ai perdu mon emploi ? Puis, est-ce que le mouvement de solidarité va suivre si on fait notre entreprise ailleurs ? » s’interroge Dario Salvetti.

« En attendant que le soleil se lève, l’ouvrier se lève », est-il écrit sur cette banderole installée devant l’ancienne usine GKN de Campi Bisenzio. © Piero Cruciatti / Reporterre

Quant aux licenciements collectifs prévus pour le 1er janvier 2024, le gouvernement n’a convoqué aucune réunion de crise.

Impossible de faire autrement puisqu’il s’agit d’une liquidation volontaire, a justifié Adolfo Urso, ministre des Entreprises et du Made In Italy.

De la pure fantaisie, rétorquent les syndicats.

Malgré l’échéance qui approche, Massimo Cortini y croit encore.

« Cette lutte, c’est une revanche personnelle. Puis, si les choses doivent aller mal, on restera le collectif qui a écrit l’histoire ouvrière de ce pays. On a toujours gardé la tête haute », dit-il en levant le menton. Et si ça se finit bien, ils auront créé la plus grande entreprise récupérée d’Italie.


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